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Le secret bancaire est un empêchement légitime opposable au juge civil. Par Audrey Mégret Roth-Meyer, Avocat.
Parution : vendredi 20 février 2015
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L’empêchement légitime résultant du secret bancaire ne cesse pas du seul fait que l’établissement financier est partie à un procès, dès lors que son contradicteur n’est pas le bénéficiaire du secret auquel le client n’a pas lui-même renoncé.

Ce principe, connu et fidèle à une jurisprudence établie [1], vient d’être rappelé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 10 février 2015 [2].

Le secret professionnel auxquels sont soumis les établissements bancaires en vertu de l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier et les prestataires de services d’investissements (PSI) en vertu de l’article L. 531-12 dudit Code, dit secret "bancaire", vise à protéger leurs clients qui seuls peuvent y renoncer contre la divulgation, pénalement répréhensible, d’informations confidentielles telles que les données chiffrées, les coordonnées bancaires et, de manière générale, tous les "renseignements autres que simplement commerciaux d’ordre général et économique sur la solvabilité d’un autre client" [3].

Les seuls organes auxquels le secret bancaire est inopposable sont l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, la Banque de France et l’autorité judiciaire agissant dans le cadre d’une procédure pénale [4]. A contrario, le secret bancaire est donc opposable dans le cadre d’instances engagées devant des juridictions civiles, ce que confirme une jurisprudence abondante et constante [5].

Car si devant les juridictions civiles et commerciales les articles 10 du Code civil et 11 du Code de procédure civile imposent à chacun d’apporter son concours à la Justice et aux mesures d’instruction, le secret bancaire constitue, au sens même de ces textes, un "motif légitime" ou un "empêchement légitime", notamment dans le cadre de procédures de référé et, a fortiori, sur requête visant à obtenir des mesures in futurum sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile [6].

La Cour de cassation considère en effet que, même si le débiteur du secret bancaire est partie au litige, il est fondé à l’opposer pour refuser la communication d’informations protégées, si son contradicteur n’est pas son client, bénéficiaire du secret et y ayant renoncé, mais un tiers [7].

C’est la permanence de cette solution que vient aujourd’hui rappeler la Haute Juridiction, dans une affaire opposant deux sociétés ayant pour objet le courtage d’instruments financiers – l’une reprochant à l’autre d’avoir provoqué la désorganisation de son activité en débauchant un grand nombre de ses salariés –, où la première avait été autorisée sur requête, sur le fondement de l’article 145 précité, à faire procéder à un constat au siège de la seconde et sur les outils de communication mis à la disposition de ses anciens salariés.

Pour confirmer le rejet, décidé par le premier Juge, de la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête, la Cour d’appel avait retenu :

- que le secret des affaires ne constituait pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145, dès lors le Juge avait constaté que les mesures ordonnées procédaient d’un motif légitime et étaient nécessaires à la protection des droits de la partie qui les avaient sollicitées, et

- qu’en ordonnant la mise sous séquestre par l’huissier de justice des copies de documents/fichiers réalisées dans le cadre de sa mission et en précisant qu’il ne pourrait être procédé à la mainlevée du séquestre qu’à l’issue d’un débat contradictoire en référé, le Juge avait assuré la préservation du respect du secret bancaire ou du secret des affaires et de la confidentialité.

C’est ce raisonnement que la Cour de cassation a censuré en rappelant, au visa de l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier, ensemble l’article 11 du Code de procédure civile, que le secret professionnel édicté par le premier de ces articles "constitue un empêchement légitime opposable au juge civil" qui "ne cesse pas du seul fait que l’établissement financier est partie à un procès, dès lors que son contradicteur n’est pas le bénéficiaire du secret auquel le client n’a pas lui-même renoncé".

Audrey Mégret Roth-Meyer Avocat au Barreau de Paris

[1Cass. com. 13 novembre 2003, n°00-19.573 ; 25 janvier 2005, n°03-14.693 ; 21 février 2012, n°11-10.900.

[2Cass. com., 10 février 2015, n°13-14.779, FS-P+B.

[3Cass. com. 18 septembre 2007, n°06-10.663.

[4L’article L. 511-33, s’agissant des établissements bancaires, ajoutant aujourd’hui à cette liste limitative les commissions d’enquête créées en application de l’article 6 de l’ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

[5Cass. com. 16 janvier 2001, n°98-11.744 ; 13 juin 1995, n°93-16.317 ; 25 février 2003, n°00-21.184.

[6CA Paris 31 octobre 2003, Juris-Data n°2003-230000 ; Cass. com. 8 février 2005, n°02-11044 à propos du secret professionnel de l’expert-comptable.

[7Cass. com. 13 novembre 2003, 25 janvier 2005 et février 2012, précités.

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