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La résidence alternée : un mode d’emploi. Par Régine Calzia, Avocat.
Parution : lundi 4 mai 2015
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En 2013, le ministère de justice a rendu un rapport sur la résidence des enfants de parents séparés. Le rapport en question montrait que le taux de résidence alternée avait augmenté de 7 points depuis 2003, passant ainsi de 10 à 17%.

Si l’évolution en terme statistique est sensible, celle-ci dénote d’un profond changement de conception de la famille. On passe d’une société fondamentalement patriarcale, où il apparaissait naturel de donner à la femme la garde exclusive de l’enfant, à une société plus égalitaire, où on constate une redistribution du rôle des parents.

Cette évolution appelle différentes questions, notamment sur le contenu de la résidence (I), l’organisation de la résidence alternée (II) et ses implications au niveau européen (III).

I. Qu’est-ce que la résidence alternée ?

La résidence alternée est définie comme un mode d’exercice particulier du droit de garde d’un enfant.

Avant toute chose, il ne faut pas confondre le droit de garde et l’exercice de l’autorité parentale.

L’autorité parentale est un ensemble de droits exercés, en principe, par le père et la mère, ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant et prenant fin à la majorité de l’enfant [1]. Parmi ces droits, on retrouve par exemple l’éducation de l’enfant ou la prise en charge quotidienne de l’enfant.

Le droit de garde fait quant à lui partie des prérogatives relevant de l’autorité parentale. Il est loisible aux parents d’un enfant d’organiser librement les modalités d’exercice du droit de garde. Ainsi, rien ne s’oppose à ce qu’un seul des parents exerce le droit de garde.

En principe, la séparation des parents n’a pas d’incidence sur l’exercice de l’autorité parentale. Néanmoins, dans de nombreux cas, les parents vont se disputer la garde des enfants. C’est alors que l’un des parents (ou les deux par le biais d’une requête conjointe) pourra saisir le Juge aux Affaires familiales aux fins de fixation de la résidence habituelle de l’enfant. Dans cette hypothèse le juge prendra en compte un certain nombre de facteurs, tels que l’intérêt de l’enfant, la volonté des parties ou encore les conditions matérielles d’accueil de l’enfant. Il faut signaler que le Juge peut tout à fait prendre en compte les accords que les parents auraient préalablement pu prendre sur ces différents points.

A l’origine, la résidence alternée était prohibée, le juge pouvait seulement affecter le droit de garde à l’un des parents [2].

Il a fallu attendre la loi du 4 mars 2002 pour que la résidence alternée soit prévue par la loi, à l’article 373-2-9 du Code civil. Un nouveau projet de loi prévoit de faire de la résidence alternée le principe, la garde exclusive devant rester l’exception.

Si la résidence alternée tend à être de plus en plus utilisée, son octroi reste néanmoins soumis à des conditions plus strictes que les autres modes d’exercice du droit de garde. Si aucune condition précise n’existe dans le texte, néanmoins, les juges vont favoriser les cas où il existe une entente entre les parents, et notamment lorsque les deux parents sont d’accord pour la fixation d’une résidence alternée.

L’accord des parents s’avère donc essentiel, même s’il peut aussi s’avérer insuffisant dès lors que les juges constatent que celui-ci ne protège pas suffisamment l’intérêt des enfants (notamment lorsque la résidence de l’un des parents n’est pas adaptée à l’accueil d’un enfant).

Si la notion de résidence alternée se conçoit aisément, sa mise en œuvre peut paraître plus complexe.

II. L’organisation de la résidence alternée.

Il n’existe pas une manière d’organiser la résidence alternée, il en existe une multitude. En effet, le Code civil français, contrairement à d’autres législations - et notamment la législation belge - n’impose rien au juge sur la question. La résidence alternée ne signifie donc pas forcément un partage égalitaire de la garde de l’enfant [3], le juge pouvant accorder un temps de garde majoritaire à l’un des parents.

En outre, le juge, prenant en compte les demandes des parties, décide aussi le rythme de l’alternance. Sur ce point il pourra, à l’aune de l’intérêt de l’enfant, décider que l’alternance se fera soit sur la base d’une semaine, plusieurs semaines ou même en terme de mois.

Finalement, une analyse de la jurisprudence en la matière révèle l’attention particulière que le Juge aux affaires familiales attache à l’intérêt de l’enfant. En effet dans de nombreuses décisions le juge va fixer de manière très précise les modalités de déroulement de la résidence alternée. Ainsi une Cour d’appel est notamment venue accepter la demande des parents souhaitant que la rotation se fasse le vendredi à la sortie des classes « de manière à atténuer le retentissement émotionnel de la séparation » [4]. Le Juge aux affaires familiales fait en quelque sorte du « sur-mesure ».

Il arrive que les parents ne vivent pas tous les deux en France, pour cette raison, on va s’intéresser ici à la question de la résidence alternée en Europe.

III. La résidence alternée en Europe

Il est intéressant de constater que depuis que la France est venue intégrer la résidence alternée, de nombreux pays européens l’ont rendu aussi possible. Ce fut le cas de l’Espagne (2005), l’Italie (2006), la Belgique (2006), le Portugal (2008), les Pays-Bas (2009) et même la Roumanie (2013).

La question est plus complexe en Grande Bretagne, pays de common law, où le juge exprime une réticence à favoriser le développement de la garde alternée (qui reste néanmoins possible). Ainsi, en 2006, lors de l’adoption du « Children act », des associations de pères ont exprimé le souhait que soit inclut dans la loi une présomption de garde alternée en la matière. Cette proposition n’a pas été intégrée à la loi.

Les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme vont aussi avoir une influence importante et notamment en matière de résidence alternée. La Cour, conformément à l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, va d’un point de vue général privilégier l’intérêt supérieur de l’enfant. Par ailleurs dans un arrêt du 3 novembre 2005 la cour est venue indiquer la nécessité pour les enfants de « conserver une image suffisante de leur père en tant qu’éducateur, et que les choix éducatifs du père soient pris en compte au même titre que ceux de la mère ».

Ainsi, on peut constater que la résidence alternée est une solution qui a vocation à s’étendre de plus en plus en cas de conflits sur la résidence de l’enfant. Cela semble être favorable à l’intérêt de l’enfant dans la mesure où celui-ci conserve des relations régulières avec chacun de ses parents. Néanmoins, force est de constater que cette solution ne concerne que 17% des cas. En effet, la résidence alternée n’est envisageable qu’en cas d’accord des parents, ce qui est rarement le cas. Afin de pallier à ce problème, le recours aux modes amiables de résolution des différends pourrait permettre de pacifier les relations entre les parents et ainsi favoriser le recours à la résidence alternée.

Régine Calzia, Avocat au barreau de Lille http://www.avocats-famille-patrimoine.fr

[1article 371-1 du Code Civil.

[2Cour de Cassation 2 mai 1984.

[3Civ. 1re, 25 avr. 2007.

[4Cour d’Appel de Lyon 7 mars 2011.

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