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CJUE : validité des CGVs accessibles par un hyperlien pour les ventes B to B. Par Nina Gosse, Consultante.
Parution : mercredi 8 juillet 2015
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Le 21 mai 2015, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 3ème chambre, arrêt du 21 mai 2015, J. E. M. / CarsOnTheWeb.Deutschland GmbH) s’est prononcée sur la question de savoir si la technique d’acceptation par « clic » (ou clic-wrapping), par laquelle un acheteur accède aux conditions générales de vente (CGVs) figurant sur un site Internet en cliquant sur un hyperlien qui ouvre une fenêtre, satisfait aux exigences de l’article 23 § 2, du règlement Bruxelles I. Cet article, relatif aux clauses attributives de compétence, pose pour condition que celles-ci soient conclues par écrit, et précise qui est assimilée toute transmission par voie électronique dès lors qu’elle « permet de consigner durablement la convention ». C’est sur ce point que la Cour a finalement du se prononcer, apportant ainsi un éclairage souhaitable pour les ventes entre professionnels conclues sur internet.

Le contexte

Le requérant, concessionnaire automobile établi en Allemagne, a acheté sur le site Internet de la défenderesse, dont le siège est également établi en Allemagne, un véhicule à un prix très favorable. Cette vente a toutefois été annulée par le vendeur en raison des dommages prétendument subis par ce véhicule ayant été constatés lors de la préparation pour son transport aux fins de sa livraison à l’acheteur. Le requérant a donc introduit un recours devant le Landgericht Krefeld afin qu’il oblige le vendeur au transfert de la propriété dudit véhicule.

Les deux parties s’opposent alors sur le tribunal compétent. Alors que l’acheteur estime que la compétence revient aux juridictions allemandes dès lors qu’il estime avoir contracté avec la défenderesse, filiale du groupe située en Allemagne, celle-ci soutient que la compétence revient aux juridictions belges puisque l’article 7 de ses GCVs en ligne contient une convention attributive de juridiction en faveur d’un tribunal situé à Louvain (Belgique), et que la contractante serait sa société mère située en Belgique.

Bien que ne contestant pas la réception d’une facture par la société mère belge, précisant les coordonnées de celle-ci, ni avoir effectué le règlement du véhicule sur un compte belge, le requérant estime que ladite clause n’a pas valablement été intégrée au contrat de vente car elle ne respectait pas les formes imposées par le Règlement Bruxelles I (Règlement du 20 décembre 2000 sur la compétence judiciaire et l’exécution des jugements).

L’article 23 dudit Règlement prévoit qu’une clause attributive de juridiction doit être conclue par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou encore sous une forme conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou aux usages du commerce international. Le paragraphe 2 précisant que « Toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite ».

Le requérant a opposé que le fait que la fenêtre contenant les CGVs ne s’ouvre pas automatiquement, mais qu’il faille cliquer pour les consulter, ne respectait pas la disposition précitée. Par conséquent, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de demander à la CJUE de se prononcer sur ce point.

« La technique dite ‘du click-wrapping’ satisfait-elle aux exigences en matière de transmission par voie électronique au sens de l’article 23, paragraphe 2, du règlement [Bruxelles I] ? »

La décision

La CJUE s’est ainsi livrée à une analyse de la disposition en cause afin de décider si la technique d’acceptation par clic des CGVs constituait « une transmission par voie électronique permettant de consigner durablement la convention ».

La Cour rappelle, au préalable, que les clauses attributives de juridiction constituent une exception aux règles de compétence générales et qu’elles nécessitent à ce titre le consentement des parties, dont la manifestation claire et précise est justement assurée par les exigences formelles du Règlement. Or, elle relève que l’acheteur a accepté de manière expresse, en cochant la case correspondante sur le site Internet du vendeur, les CGVs en cause.

En second lieu, elle souligne que le paragraphe 2 de l’article 23 n’impose que la possibilité d’une consignation, le fait d’être effectivement consignée ne constituant pas « une condition requise pour assurer la validité formelle ou l’existence de la clause. »

Au final, la CJUE répond que la technique d’acceptation par clic des CGVs constitue une transmission par voie électronique permettant de consigner durablement cette convention « lorsque cette technique rend possible l’impression et la sauvegarde du texte de celles-ci avant la conclusion du contrat ». Le fait que les CGV ne s’ouvrent pas automatiquement lors de l’opération d’achat ne remet pas en cause la validité de la clause attributive de compétence. Le tribunal belge est alors compétent conformément aux CGVs.

Analyse

Si cet arrêt apporte un éclairage intéressant à la notion de « consentement numérique », et permet de mieux appréhender le cadre juridique applicable aux CGVs sur internet, sa portée se limite aux ventes conclues entre professionnels (B to B).

Les textes européens sont, certes, venus poser un principe d’équivalence entre les supports papier et électronique dans la pratique contractuelle afin de favoriser l’émergence d’un marché unique numérique dynamique, mais ils portent aussi la volonté d’une protection effective de l’e-consommateur.

Dans son arrêt du 21 mai, la Cour prend d’ailleurs soin de distinguer la présente affaire à celle ayant fait l’objet de son arrêt Content Services (CJUE du 5 juillet 2012 Content Services Ltd, Aff. 49/11, 3e ch.). Elle y avait jugé qu’une pratique commerciale consistant à ne rendre des informations accessibles que par un hyperlien sur un site n’était pas satisfaisant au regard des articles 4 et 5§1, de la directive du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance. En effet, la Cour y avait considéré que le professionnel a une obligation de fournir directement et de manière accessible les informations, et ce, sur un support durable. Or, elle avait, jugé que le fait de requérir un acte positif du consommateur (cliquer) pour accéder aux informations pertinentes était insuffisant, et qu’un « un site Internet tel que celui en cause » ne pouvait être considéré comme un « support durable ».

Cette contradiction apparente entre les deux arrêts n’en est pas une, et s’explique, dès lors qu’il s’agit de deux espèces et de textes bien distincts, tant dans leurs libéllés que leurs objectifs. Le cadre juridique applicable aux professionnels (B to B) étant moins strict que celui applicable aux consommateurs (B to C) supposés vulnérables et moins aguérris.

Consultante Juridique & Affaires Publiques chez NPA Conseil