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Homophobie : pour en finir avec une justice subjective. Par Dominique Summa, Avocat.
Parution : lundi 18 avril 2016
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Le terme « pédé » : injure ou homophobie ?
Pour la création d’une liste de termes et de comportements homophobes afin d’appliquer la loi de manière objective.

I- Le jugement

Le jugement du Conseil de Prud’hommes de Paris rendu en décembre 2015 et publié dans la presse en avril 2016 déclarant que le terme de « pédé », envoyé dans un SMS transmis par erreur sur le mobile de l’intéressé, ne pouvait être retenu comme un propos homophobe mais comme une injure, sanctionnée par la condamnation de l’employeur, responsable d’un salon de coiffure, par une indemnisation de 5.000 euros pour le salarié, à titre de dédommagement, n’est pas passé inaperçu.

Cette décision a suscité l’intervention de la ministre du Travail, du Défenseur des droits, partie intervenante à la procédure et initiatrice d’une enquête et d’un rapport, relayées par les médias.

L’appel de cette décision a été interjeté.

Ramené à la réalité du quotidien et du contexte professionnel, tel que ressenti par les conseillers de première instance, le litige était relativement banal et bien payé pour un salarié ayant moins d’un mois d’ancienneté et en période d’essai.

II- Le Défenseur des droits : ses missions

Mais, l’intervention du Défenseur des droits méritait un traitement plus scrupuleux du problème.

Issu de l’ancienne Halde, le Défenseur des droits, regroupant les missions de l‘ancien Médiateur de la République, a pour mission de régler les litiges avec l’administration et de sanctionner les discriminations. Y sont ajoutés, la défense des droits de l’enfant - la protection des mineurs isolés dans le Calaisis et les relations avec les professionnels de la sécurité - notamment, le délit dit de « sale gueule ».

La situation de vigipirate, au degré le plus élevé, actuellement en vigueur, devant poser un problème pour les droits de la personne.

Le Défenseur des droits est un service bien fait et répond avec efficacité aux difficultés rencontrées avec l’administration - notamment pour avoir communication des documents administratifs.

En ce qui concerne les discriminations, la Halde a initié une jurisprudence notamment à l’occasion des embauches, des licenciements ou des accès à des clubs privés refusés en raison de critères déclarés discriminatoires. Bon nombre d’entreprises ont eu des difficultés avec la Halde.

Sur son site, le Défenseur des droits rappelle la définition de la discrimination à l’égard d’une personne, article 225-1 du Code pénal :
« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

La plainte du coiffeur salarié ne pouvait qu’ouvrir une procédure par la Défenseur des droits et son intervention judiciaire.

Le rejet du Conseil de Prud’hommes de son avis ne pouvait que générer les foudres de la mission républicaine.

Et pourtant, force est de constater l’emploi courant - déplacé - de l’expression « pédé » dans les invectives quotidiennes : tant d’enfants et d’adolescents dans le cadre scolaire et sur leurs pages Facebook, que dans certains milieux professionnels où le rudoiement est de mise, ce qui est à déplorer : restauration, marchés, activités sportives (football), etc.

Certes, le Défenseur des droits n’est pas intervenu au secours du footballeur et de l’entraineur traités de qualificatifs tout autant et même plus outrageants par un joueur professionnel, membre de l’équipe professionnelle prestigieuse.

La Fontaine, dans « Les animaux malades de la peste » - Les fables - Recueil II, livre VII - a déjà tout dit : « Selon que vous serez puissant ou misérable… »

Un petit salon de coiffure suffit pour se faire une jurisprudence.

III/ La signification du terme « pédé » et les sanctions possibles

Si le terme « pédé » est tombé dans le langage courant pour le réduire à une injure, il n’empêche que ce terme à connotation péjorative se réfère au mot « pédéraste », dont il est un raccourci, « populaire et péjoratif » selon le Larousse, le terme pédéraste venant du grec grec paiderastês, ( qui aime les jeunes garçons).

Qualifier une personne de « pédé » est incontestablement péjoratif et vulgaire.

Cette seule connotation justifie une sanction.

Laquelle choisir ?

Le droit français réprime pénalement la diffamation et l’injure, depuis la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :
Article 29 : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure »
.
La répression diffère selon que les allégations sont prononcées en public ou en privé.

Dans la présente espèce, l’injure privée pouvait être retenue puisqu’aucun fait n’était imputé à l’intéressé.

Le SMS équivaut à une lettre – avec toutes les conséquences de droit.

Il est permis de s’interroger sur le caractère régulier du SMS, message transmis par erreur et non divulgué - si ce n’est qu’à l’intéressé - qui n’aurait pas du le lire. Et, il n’y avait donc qu’un seul lecteur.

Mais, la maladresse de l’expéditeur ne l’exonère pas de sa responsabilité et facilite la preuve obtenue sans manœuvres frauduleuses du salarié.

IV- L’incidence de la loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.

Cette loi a renforcé les sanctions contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe et a modifié les articles 24, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881.

Ces délits concernent des délits commis par la voie de la presse et ne traitent pas des infractions de nature privée ce qui est le cas d’un SMS diffusé par un canal d’accès privé et non lu que par l’intéressé.

Il semble donc que ne pourrait être retenu que l’injure non publique, contravention de première classe.
Article R621-2 : « L’injure non publique envers une personne, lorsqu’elle n’a pas été précédée de provocation, est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la 1re classe ».
L’injure non publique est punie par une contravention de 38 euros maximum.
Si c’est une injure raciste, sexiste, homophobe ou contre les handicapés, la contravention est de 750 euros maximum, qu’elle ait été prononcée à l’égard d’une personne désignée ou d’un groupe de personnes.
La classification de l’injure non publique en contravention de première classe élude la recherche de l’intention criminelle. Le terme prononcé se suffit à lui seul - élément matériel - pour constituer l’infraction et entrer en condamnation.

Ce qui supprime toute interprétation subjective de la part du juge dans sa recherche de l’élément constitutif de l’infraction.

Cette justice « objective » permettant de sanctionner automatiquement toute dérive verbale est nécessaire pour assurer le respect de la loi.

V- Les méthodes préconisées : une liste des termes homophobes punissables à publier sur le site du Défenseur des droits

Comme pour le droit de la consommation qui a établi les clauses noires et les clauses grises devant être supprimées en amont dans les contrats de certaines activités économiques (abonnements, garanties contractuelles) ce qui a permis une auto-régularisation des prestataires concernés, la lutte contre l’homophobie doit être complétée par une liste des termes et des comportements considérés comme étant homophobes.

C’est par cette méthode d’origine anglo-saxonne ne permettant pas de discussion - la discussion procédant du droit romain trop intellectuel - que la justice quotidienne de petits délits sera appliquée rapidement sans hésitations.

En conclusion : le respect du salarié est un droit

Cette affaire a fait beaucoup de bruit pour un litige relativement banal.
La réaction des médias et de la ministre et du Défenseur des droits montre néanmoins que l’homophobie est un terrain très sensible.

Cette protection peut se comparer aux droits des travailleurs érigés dans la Charte sociale européenne et notamment le droit à la dignité : « 26. Tous les travailleurs ont droit à la dignité dans le travail ».

Ce manque de respect se constate trop souvent dans certaines activités dont la restauration à l’égard des petits emplois. Ce qui n’est pas acceptable. Entendre un patron présenter une nouvelle serveuse : « Elle, c’est une femme avec des poils, elle est portugaise. »

Ce qui est regrettable, c’est qu’elle-même ait ri de cette goujaterie.

Dominique Summa

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