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Revoir son ou ses enfants dix ans apres une rupture : l’importance de la médiation familale. Par Francine Summa, Médiatrice.
Parution : mardi 3 mai 2016
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Revoir son ou ses enfants dix ans après une séparation ou un divorce et l’apport de la médiation familiale : les écueils à éviter, conseils pour permettre de renouer le lien parental.

I- La situation : demander à un médiateur de reprendre contact après une séparation de dix ans et plus

Venant de recevoir la demande d’un père de revoir ses deux enfants après une séparation de vie de plus de dix ans - le père était parti à l’étranger dans les Dom-Tom et venait de rentrer dans la métropole, et devant cette situation - différente des problèmes de séparation classiques à traiter au moment de la rupture je crois nécessaire de récapituler à partir des médiations que j’ai traitées, ce qui a réussi et ce qui a échoué et d’analyser les raisons de ces échecs, afin de retenir celles qui ont été positives et de définir une méthodologie pour ce genre de médiations.

Les séparations de longue durée entre un parent et son ou ses enfants ne sont pas rares.

Les circonstances de la naissance, particulières, sont souvent la raison de l’inexistence de la relation paternelle. Personnellement, je n’ai connu en médiation que des séparations initiées par le père, la mère laissée, abandonnée, étant souvent enceinte.

Il y a aussi des naissances « imposées » par la mère, le père « piégé » s’étant éloigné et la mère n’ayant pas cherché volontairement le géniteur. Enfant déclaré au seul nom de la mère.

Et il y a aussi des ruptures dues au divorce où la mère s’est éloignée du père intentionnellement, créant un syndrome d’aliénation parentale à son encontre, et privant le père de relation avec ses enfants, convaincus de la faute du père et le rejetant avec violence. Situation pouvant perdurer jusqu’à la majorité de l’enfant et au-delà. Les tentatives de rapprochement sont très difficiles.

Mais qui, sinon le médiateur, a le courage de rechercher le fil de la parentalité, enfoui au fond de sombres sédiments du passé ?
Si la tâche est ardue, elle n’en est que plus belle.

Cette recherche se prend différemment selon que l’enfant est encore mineur, en général un adolescent de 12 ans ou plus. (II). Et quand il est un adulte, ayant parfois formé une famille (III).

II- Reprendre contact au bout de dix ans d’absence quand l’enfant est encore mineur

1°) La situation d’abandon par le père

Comme rappelé supra, les demandes de pères partis avant la naissance du bébé sont relativement courantes.

Le médiateur doit procéder avec circonspection en interrogeant le père, ses motivations, pourquoi avoir fui, pourquoi vouloir reprendre contact, pourquoi ce besoin de paternité ?
Et lui faire comprendre que la preuve d’un investissement paternel passe par une contribution financière, première marque de reconnaissance du père et de la mère.

Les situations sont plurielles : la relation adultère est souvent la cause, situation où le géniteur a refusé de prendre ses responsabilités. Mais la fuite peut être aussi personnelle, due à un refus de paternité, un sentiment de trahison à l’encontre de la mère qui lui a fait un enfant « dans le dos ».

Le sexe de l’enfant peut être une raison d’éloignement. Un géniteur de nationalité turque, ayant deux garçons de son épouse légitime et qui renie jusqu’à l’effacer de sa vie, la petite fille née de sa concubine.

La couleur des yeux du bébé : le bébé n’a pas les yeux bleus du père.

Dans cette situation d’abandon, il faut présumer l’importance du traumatisme subi par l’enfant et la mère.

Il appartient au médiateur, une fois vérifiée l’intention sincère du père et avoir obtenu de lui un projet de paternité solide sur une longue période, présent et à venir, de contacter la mère tout d’abord.

Il lui expliquera le retour du père repentant et son désir de devenir un vrai père, de créer une relation forte avec l’enfant et de l’intégrer dans la famille créée par lui.
Le médiateur s’attend à être mal reçu. Revivre le passé douloureux pour une mère laissée seule vivre sa grossesse et son accouchement, sans aucun soutien financier, représente une épreuve pour la mère et aussi pour le médiateur qui reçoit les reproches et invectives à la place du père.
Mais c’est cela la médiation : faire parler, entendre, écouter, montrer que l’on compatit… mais qu’il faut dépasser ce stade, aller de l’avant dans l’intérêt de l’enfant qui aura un père et de la mère qui aura un soutien financier.

Si la médiation se poursuit par une deuxième séance avec la mère, la situation s’améliore.

Il faut deux, trois séances ou plu quelquefois pour que la mère ait évacué - pour combien de temps ??? - son ressentiment.

Le père est tenu informé.

Le médiateur organise une ou deux séances avec les parents pour qu’ils s’expliquent. Des séances souvent difficiles pour les participants.
Le médiateur ramène à la raison les antagonistes. Ils sont là pour l’enfant, non pour faire leurs comptes.
En général, les parents se calment et après avoir actualisé leur situation, conviennent de faire venir l’enfant.

Le médiateur prend soin d’obtenir l’accord de la mère pour entendre l’enfant avec la mère. L’audition avec l’enfant tout seul est trop incertaine. Il faut du temps au temps.
L’enfant est déjà grand, mûr, une maturité meurtrie, un « écorché vif » sur la question de son père. Parfois brutal.

Le médiateur doit être patient, comprendre, se mettre à la place de cet enfant qui a entendu sa mère se plaindre et qui n’est donc pas prêt à voir son père.
Avec le concours de la mère, l’accord de l’enfant peut être obtenu : le voir, rien qu’une fois pour commencer, ensuite tu verras.

Les réunions avec l’enfant sont tendues. Le médiateur doit créer du lien.
La difficulté réside dans le désir de l’enfant d’entendre le père faire acte de contrition, de regret de n’avoir pas été présent.

Mais, l’intention du père est de ne pas en parler. Il n’a pas à se justifier devant un enfant, son enfant. Déjà la mère, c’est pénible. Y ajouter l’enfant, c’est un rabaissement intolérable et inenvisageable.

Le médiateur doit avoir pris soin de lui faire la leçon : sans s’excuser, le père peut regretter les circonstances passées, l’homme qu’il était alors, celui qu’il est à présent.
Bien sûr, ne pas se décharger sur la mère.
Et s’intéresser à l’enfant, comment vit-il, ce qu’il veut faire… Et l’encourager ou l’aider dans son orientation scolaire notamment.

Lui dire qu’il aimerait le voir mais qu’il ne le forcera pas. Qu’il saura attendre. Lui dire que l’enfant est dans son cœur et qu’il l’aime même si cela lui paraît difficile à croire.

L’enfant ne peut pas être insensible à de si belles déclarations. Ni la mère.

La relation peut reprendre. Tout a été dit simplement sans punition, sans honte.
Seul l’avenir compte.

Un accord peut se faire.

2°) Les échecs

Les échecs dans ce type de séparation tiennent à la non réalisation d’une approche progressive et à l’attitude du père ou de la mère.
Campés dans leur amertume, leur colère, ils n’avancent pas, ils ne s’expliquent pas. L’enfant doit accepter la nouvelle situation ainsi que la mère.
La mère refuse farouchement toute entrevue ainsi que l’enfant.
Le père refuse de s’auto flageller.
Sans pardon (par don) la situation est bloquée.

Plus la situation est figée, plus il faut décortiquer le travail de reconstruction, pouce par pouce. Avec de la patience, la colère peut laisser la place à une ouverture vers la pacification. Il faut le faire comprendre au père.

III - Reprendre contact après dix ans d’absence et plus quand l’enfant est un adulte

a) Les situations qui ont séparé les parents

Le père a été piégé au moment de la séparation. La mère est partie pour diverses raisons : elle a trouvé quelqu’un - le plus courant - le couple ne s’entend plus.
Les enfants mineurs vont partir avec elle.
Le syndrome d’aliénation parentale (SAP) peut s’instaurer de la part de la mère qui pour se déculpabiliser, va charger le père de toutes les fautes.
Une fois implanté, le syndrome d’aliénation parentale est très difficile à supprimer. Toutes les tentatives du père seront vouées à l’échec. Souvent découragé, le père a abandonné.

Il a laissé du temps au temps. A refait sa vie. Pour des raisons inhérentes à sa situation personnelle - nouvelle séparation, changement de vie, retour au pays, maladie grave - le père veut renouer avec l’enfant ou les enfants qui l’avaient rejeté.

Une médiation s’impose.

La priorité est de faire accepter la médiation et le médiateur va s’efforcer de montrer l’importance d’une réconciliation familiale tant pour le jeune adulte que pour ses enfants s’il en a.

Et de présenter le père comme une victime d’une séparation éprouvante. Ce qui est vrai en général. Le travail à faire sur l’enfant devenu adulte est souvent laborieux. Car c’est lui qui estimera être la victime de la séparation. Le travail du médiateur sera de lui faire voir de l’autre côté comment le père a vécu la rupture. Regard sur l’autre et non plus sur soi.

Si ce stade de compréhension est atteint, la réunion entre les protagonistes est possible, pas avant.

La médiation avec le père et le fils ou la fille est un choc après tant d’années. Il faut marcher « sur des œufs » et le médiateur aura la prudence d’avoir un rôle principal au cours des premières séances car la relation est fragile.

Le temps n’efface pas toutes les plaies.

Mais, les retrouvailles sont sources d’émotions fortes et une relation grand-parentale peut se créer.
Le père n’aura pas vu son fils ou sa fille grandir mais il pourra être un grand-père modèle.

b) Les échecs

Si le fils ou la fille refuse de reconsidérer la situation, reste figé dans son passé douloureux, il n’y aura pas de lien renoué.
D’autres situations sont décevantes : une conversation fausse et une promesse de se voir, mais … aucune joie dans les retrouvailles.
Voyant cela, le père sera dépité et triste. Mais, il devait s’y attendre.
Le traumatisme est difficile à surmonter. Cela étant, revoir son enfant vaut la peine d’essayer et de ne pas renoncer.

Conclusion

La médiation permet de reconstruire sur toutes les séparations et cela vaut la peine.


Avertissement de la Rédaction du Village de la Justice :
Le concept du "Syndrome d’aliénation parentale" fait l’objet de controverses. Il ne fait à ce jour l’objet d’aucun fondement scientifique - mais à l’inverse il n’est pas interdit et est utilisé dans de nombreux dossiers juridiques.
L’expression et l’usage du concept sont fortement déconseillés au niveau européen (https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0406_FR.html), étudiée au niveau français avec une note d’information mise en ligne sur le site intranet de la direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice pour informer les magistrats du caractère controversé et non reconnu du syndrome d’aliénation parentale). Note introuvable à notre connaissance (voir à ce sujet : https://www.senat.fr/questions/base/2017/qSEQ171202674.html ).
Les enjeux sont multiples et nous semblent devoir être tranchés par une autorité publique.
Dans l’attente de clarification, nous vous invitons à prendre avec grandes précautions cette expression qui est ici employée sous la seule responsabilité de l’auteur.

Francine Summa, Avocate, Médiatrice familiale.

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