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Vendre son bien immobilier avant un divorce par consentement mutuel pour éviter un droit de partage : une pratique courante mais risquée. Par Alexandra Kahn, Avocat.
Parution : lundi 23 mai 2016
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Un divorce par consentement mutuel n’est jamais une formalité, même en l’absence de bien immobilier à partager. Les époux doivent parfois faire des choix stratégiques entre optimisation fiscale et sécurité juridique.

L’article 1091 du Code de procédure civile prévoit qu’à peine d’irrecevabilité, la requête en divorce par consentement mutuel doit comprendre « en annexe une convention datée et signée par chacun des époux et leur avocat portant règlement complet des effets du divorce et incluant notamment un état liquidatif du régime matrimonial ou la déclaration qu’il n’y a pas lieu à liquidation. L’état liquidatif doit être passé en la forme authentique devant notaire lorsque la liquidation porte sur des biens soumis à publicité foncière ».

Lorsque les époux sont propriétaires d’un bien immobilier, il arrive fréquemment qu’ils décident de le vendre avant d’engager la procédure de divorce et ce, afin d’éviter d’avoir à supporter le coût de l’intervention d’un notaire mais surtout le droit de partage de 2,5 % appliqué par l’administration fiscale sur la valeur nette du bien à partager.

Ce faisant, ils se croient libérés de toute charge fiscale et imaginent ainsi alléger la procédure. Toutefois, la réalité juridique n’est pas si simple.

En effet, quatre conditions doivent être réunies pour que le droit de partage puisse être exigé par l’administration fiscale.
Il faut :
1. qu’un acte soit dressé ;
2. qu’une indivision existe entre les copartageants ;
3. qu’il soit justifié de cette existence ;
4. qu’il y ait partage de cette indivision.

Ainsi, en l’absence d’acte, un partage verbal n’est en principe pas soumis au droit de partage (CGI, art. 635, 1, 7°. – V. BOI-ENR-PTG-10-10, 30 mai 2014, § 90).

En application de ces dispositions, une réponse ministérielle dite « Valter » est venue poser le principe selon lequel « le partage verbal entre époux du produit de la vente d’un immeuble commun qui intervient avant un divorce par consentement mutuel n’est pas soumis au droit de partage » (Rép. min. éco n° 9548 à Valter : JOAN Q 22 janv. 2013, p. 825 ; RFN 2013, act. 31, J.-J. Lubin).
Toutefois, l’application de cette règle fiscale suppose qu’il ne soit fait aucune mention de la vente du bien ou de la répartition du prix de cette vente dans la convention de divorce.

En effet, si le partage est évoqué d’une manière ou d’une autre dans un acte, le droit de partage redevient dû.
Les époux doivent dès lors faire un choix entre l’optimisation fiscale à laquelle ils aspirent et la sécurité juridique de leur accord.

Par ailleurs, il est important de préciser que le principe dégagé par la réponse ministérielle « Valter » ne tient pas compte des règles civiles applicables à la liquidation des régimes matrimoniaux.
Or, toute liquidation anticipée du régime matrimonial de communauté est impossible juridiquement de sorte que si, lors de son entretien personnel avec chacun des époux à l’audience, le juge aux affaires familiales découvre l’existence d’un partage verbal en amont du dépôt de la requête, il peut refuser d’homologuer la convention de divorce.

En tout état de cause, il convient de rester prudent à l’égard de la portée de la réponse ministérielle précitée dans la mesure où seuls les commentaires publiés sur la base du « bulletin officiel des impôts » sont opposables à l’administration fiscale, ce qui n’est pas le cas de la réponse ministérielle « Valter ».

Il n’est donc pas possible d’affirmer de façon certaine que l’administration fiscale est liée par les termes de cette réponse.
Dès lors, le risque de requalification de ce type de pratique en abus de droit fiscal ne peut être totalement éludé.

L’abus de droit est en effet caractérisé lorsque l’acte en cause n’a pu être inspiré « par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles » (l’article L 64 du LPF), ce qui semble bien pouvoir s’apparenter au cas d’époux qui, pour éviter d’avoir à s’acquitter d’un droit de partage, procèdent à la vente de leur bien immobilier commun pour s’en partager verbalement le prix peu avant d’engager une procédure de divorce.

Certes, l’administration fiscale risque de se retrouver en difficulté pour démontrer le véritable caractère de l’opération, mais le risque encouru par les époux résultant de cette incertitude juridique doit amener à la prudence dans la mesure où, en cas de redressement, sera appliquée une pénalité pouvant aller jusqu’à 80 %.

Afin d’éviter de s’exposer à de tels risques, l’alternative semble être d’opter pour un divorce accepté (C. civ., art. 233) aux lieu et place d’une procédure de divorce par consentement mutuel (C. civ., art. 230).

Choisir ce fondement aura pour effet de voir prononcer le divorce, puis, après avoir basculé sous le régime de l’indivision post-communautaire, d’opérer le partage verbal souhaité sans être taxé.

In fine, l’impact fiscal du divorce pousse le justiciable à élaborer des stratégies qui complexifient et alourdissent des procédures que le législateur s’évertue par ailleurs à tenter de simplifier.

Alexandra KAHN-Avocat au Barreau de CHAMBERY mail: contact@kahn-avocat.fr Site internet: www.kahn-avocat.fr

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