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Les marchés publics de fourniture de dictionnaires aux départements doivent respecter la loi sur le prix du livre. Par Rémi Duverneuil, Avocat, et François Guillaud-Boyer, Elève-avocat.
Parution : mardi 24 mai 2016
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L’ordonnance rendue sous le numéro 1603182 par le juge des référés précontractuel du tribunal administratif de Lyon le 19 mai 2016 permet de connaître la position du juge administratif sur la loi n° 81-766 dite « Lang » du 10 août 1981 relative au prix du livre et son application aux marchés publics.

Dans cette affaire, le juge des référés était amené à se prononcer sur l’application de cette loi dite « Lang » du 10 août 1981 aux marchés publics de fourniture de conception et d’impression de dictionnaires personnalisés au bénéfice du département de la Loire.

De nombreux départements sont, depuis longtemps, désireux d’offrir à leurs collégiens entrant en classe de sixième, un dictionnaire personnalisé comportant le logo de l’institution sur la première et la quatrième de couverture, ainsi qu’un feuillet personnalisé inséré dans le dictionnaire et au sein duquel sont inscrites diverses mentions relatives à l’institution.

Traditionnellement, la mission confiée par le pouvoir adjudicateur porte sur l’impression d’un dictionnaire, avec une partie de conception (personnalisation adaptée au pouvoir adjudicateur demandeur), puis la fourniture.
Se posait la question, non encore tranchée par les juridictions administratives, de savoir si la revente par un imprimeur-concepteur de ces dictionnaires personnalisés, entrait ou non dans le champ d’application de la loi Lang.

En l’espèce, cette question était posée dans le cadre d’un référé précontractuel, intenté par un candidat évincé, dont le prix était supérieur à deux fois celui proposé par l’attributaire du marché.

Rappelons à titre liminaire que la loi Lang règlemente le prix du livre dans le but avoué de protéger, d’une part, le livre pris sous son acception la plus noble, et d’autre part, les détaillants, situé à l’extrême bout de la chaîne du livre. Cette protection passe par l’obligation faite aux éditeurs de fixer un prix de revente au public auquel il est possible de déroger sous certaines conditions strictement définies.

Dans la présente affaire, la différence importante de prix résidait dans l’application de la loi Lang par le candidat évincé et, a contrario, par l’inobservation de cette loi par l’attributaire lors de la fixation de son prix unitaire.
La requérante soutenait, dès lors, que l’offre présentée par l’attributaire aurait dû être rejetée comme inacceptable, en raison de la violation de la législation en vigueur, au sens de l’article 53-III du Code des marchés publics alors applicable.

Dans le cadre de ses écritures, le département de la Loire, et l’attributaire du marché soutenaient notamment que la loi de 1981 relative au prix du livre, ne s’appliquait qu’aux livres destinés à la vente au public, et non aux dictionnaires personnalisés.
Le défendeur soutenait ainsi que la personnalisation du dictionnaire, impliquant la création d’un produit fini ad hoc, nullement destiné à la vente au public, suffisait à exclure l’application de cette loi.

Le juge des référés reprenant la démonstration de la requérante annule la procédure de passation entreprise pour les raisons suivantes.

La vente d’un dictionnaire personnalisé est soumise à la loi Lang

Dans l’affaire soumise au juge des référés, le cœur du débat portait sur l’importance des prestations de personnalisation.

La requérante soutenait que l’infime part de personnalisation des dictionnaires ne pouvait suffire à écarter la règlementation relative au prix du livre dès lors que les candidats avaient pour mission, in fine, de vendre des livres.

Aux termes d’un considérant ne souffrant d’aucune interprétation, le juge des référés a jugé que :
« (…) Les dictionnaires en cause sont certes personnalisés mais cette seule circonstance qu’ils comportent une première et une dernière page de couverture modifiée par rapport à la version publique du dictionnaire et 8 pages supplémentaires personnalisées ne suffit pas à les exclure du champ d’application de la loi relative au prix du livre. Il s’ensuit que dans le cadre du marché contesté, le prix du dictionnaire, (…) est soumis aux dispositions précitées de l’article 3 de la loi du 10 août 1981 qui fixent le prix à 9% du prix de vente au public, le plafond légal du taux de remise pouvant être pratiqué (…) ».

En conséquence, et l’application de cette loi relative au prix du livre entérinée, se posait la question du prix de vente auquel les dictionnaires personnalisés pouvaient être vendus au département de la Loire.

Une remise ne pouvant excéder 9% du prix de vente au public

Dans le cadre de la loi Lang, certaines exceptions sont prévues au prix de vente public fixé entre 95% et 100% du tarif fixé par l’éditeur.

Ainsi l’article 3 prévoit que pour leurs besoins propres excluant la revente, les collectivités publiques peuvent bénéficier d’un prix effectif de vente des livres compris entre 91 % et 100 % du prix de vente public fixé par l’éditeur.

Autrement formulé, un prestataire peut, par application de cet article 3, vendre un livre à une collectivité publique en effectuant une remise qui ne saurait dépasser 9% du prix de vente au public.

Une seconde exception, particulièrement permissive, permet au demeurant de déroger aux principes ainsi posés et précités.

L’exception relative aux manuels scolaires inapplicable en l’espèce

L’article 3 de la loi Lang prévoit une exception de taille à la règlementation du prix du livre.

En effet, son dernier alinéa précise expressément que :
« (…) Le prix effectif de vente des livres scolaires peut être fixé librement dès lors que l’achat est effectué par une association facilitant l’acquisition de livres scolaires par ses membres ou, pour leurs besoins propres, excluant la revente, par l’État, une collectivité territoriale ou un établissement d’enseignement ».

Par ailleurs, l’article D.314-128 du Code de l’éducation offre une définition précise du manuel scolaire.
Aux termes de cet article, il est expressément indiqué que :
« Sont considérés comme livres scolaires, au sens du quatrième alinéa de l’article 3 de la loi du 10 août 1981 sur le livre, les manuels et leur mode d’emploi, ainsi que les cahiers d’exercices et de travaux pratiques qui les complètent ou les ensembles de fiches qui s’y substituent, régulièrement utilisés dans le cadre de l’enseignement primaire, secondaire et préparatoire aux grandes écoles ainsi que les formations au brevet de technicien supérieur, et conçus pour répondre à un programme préalablement défini ou agréé par les ministres intéressés.
La classe ou le niveau d’enseignement doit être imprimé sur la couverture ou la page de titre de l’ouvrage »
.

Sur ce point, la requérante soutenait que les dictionnaires, même destinés aux collégiens, ne revêtent pas la qualité de manuels scolaires au sens de l’article précité du Code de l’éducation.

Fort logiquement, le juge des référés a confirmé cette position en excluant cette qualification de manuel scolaire comme suit :
« (…) 8. Le marché en litige porte sur la vente de dictionnaires « personnalisés » au département de la Loire pour ses besoins propres. Un dictionnaire ne constitue pas un manuel, un cahier d’exercices ou de travaux pratiques complétant les manuels. Il ne peut donc être regardé comme un livre scolaire au sens des dispositions précitées du code de l’éducation (…) ».

Ainsi, en refusant cette qualification de manuel scolaire, cette vente à un département de dictionnaires personnalisés ne pouvait qu’entrer dans le cadre de l’article 3-1°, et bénéficier, ce faisant, d’un taux de remise ne pouvant excéder 9% du prix de vente au public.
Il en résulte que la procédure de passation du marché public de conception, d’impression et de livraison de dictionnaires personnalisés du département de la Loire est annulée par le juge des référés.

Nul doute cependant que les détaillants, accueilleront favorablement cette position prétorienne novatrice en la matière, qui présente comme principal mérite de rétablir l’égalité entre « vendeurs » de dictionnaires, dont certains pouvaient jusqu’à présent se sentir victime d’une distorsion illégale de concurrence.

Notons toutefois qu’en l’état, le département peut se pourvoir en cassation.

Rémi DUVERNEUIL AXIOME AVOCATS François GUILLAUD-BOYER Elève-avocat

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