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La constitutionnalité du principe de non-régression du droit de l’environnement selon le Conseil constitutionnel. Par Robin Plasseraud, étudiant.
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Parution : mardi 16 août 2016
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Avec la décision n°2016-737 DC du 4 août 2016, le Conseil constitutionnel affirme la conformité du principe de non-régression en droit de l’environnement avec la Constitution. La publication au Journal Officiel de la loi Biodiversité a donc logiquement été réalisée le 9 août suivant (JORF n°0184 du 9 août 2016) marquant ainsi la fin de plus de deux ans d’élaboration législative, 40 ans après la loi de 1976 relative à la protection de la nature. Le principe, destiné à figurer à l’article L.110-1, II, 9° du Code de l’environnement, doit inspirer l’action de l’administration en matière de protection des espaces, ressources et milieux naturels. Il est ainsi rédigé dans le dernier alinéa de l’article 2 de la loi Biodiversité : « Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment. »
Les sages n’ont pas seulement déclaré la conformité du principe de non régression du droit de l’environnement avec la Constitution, ils en ont également précisé les contours. Ainsi, le Conseil constitutionnel confère une portée large au principe de non-régression (I), bien qu’il dresse également des limites encadrant fortement ce principe (II).
I- UN PRINCIPE DE NON-RÉGRESSION IMPOSÉ AUX POUVOIRS PUBLICS
Afin d’assurer une effectivité à ce principe, il paraît logique de lui attribuer une portée suffisamment large (B), ce qu’à fait le Conseil dans sa décision après en avoir constaté la portée normative (A).
A/ Un principe de portée normative
Le Conseil constitutionnel déduit de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de l’ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l’objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative [1]. Le principe de non-régression énoncé par la loi ne doit pas être une vaine déclaration, il doit distinguer « l’intention de l’action, le possible du souhaitable, l’accessoire de l’essentiel, le licite de l’illicite » [2].
Aussi, le Conseil constitutionnel dispose que le "principe d’amélioration constante de la protection de l’environnement, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment [...] s’impose, dans le cadre des dispositions législatives propres à chaque matière, au pouvoir réglementaire." Il reconnaît ainsi la portée normative du principe [3]. Pourtant, il est communément admis que rare est le texte qui se suffit à lui même pour que les règles qu’il contient reçoivent pleine application. Il est regrettable qu’en l’état, seul le juge saisi d’un litige précisera l’application de ce principe. Quoiqu’il en soit, le principe de non-régression n’est imposé qu’aux pouvoirs publics et ne pourra en aucun cas constituer une faute civile ou pénale susceptible d’engager la responsabilité d’une personne privée. La décision du Conseil est sans équivoque sur ce point.
B/ Un principe fort au large champ d’application
Le principe de non-régression doit guider l’action normative de l’administration en ce qui concerne "la connaissance, la protection, la mise en valeur, la restauration, la remise en état et la gestion de l’environnement" [4]. Force est de constater que cette liste d’actions est plus large que celle de l’article L.110-1, II du Code de l’environnement qui l’inspire. En effet, elle contient en plus la "connaissance" de l’environnement. Cet ajout semble concerner le principe d’accès aux informations relatives à l’environnement et détenues par les personnes publiques (4° de l’article précité), qui est une condition de l’efficience du principe de participation (5° art. préc.). Selon cette décision, le principe de non-régression serait donc applicable en ce qui concerne l’accès aux informations relatives à l’environnement et détenues par les personnes publiques, élargissant ainsi la portée initiale du texte de loi.
Ce principe s’appliquera également aux mesures « ERC » (éviter, réduire, compenser du IV de l’article L.122-1 du Code de l’environnement) prescrites par l’administration dans ses autorisations (i.e. gestion et protection de l’environnement). On en déduit que le juge administratif, à l’occasion d’un contrôle de légalité, sera très probablement le premier amené à en préciser l’application. Le principe de non-régression est par là même voué à devenir une garantie importante pour les tiers par le biais de la réserve du droit des tiers. En effet, « les autorisations administratives sont toujours accordées sous réserve des droits des tiers » [5]. Elle concerne donc les autorisations d’exploiter (L. 514-19 Code de l’environnement), de bâtir (A. 424-8 Code de l’urbanisme) et les « IOTA » (L.214-16 Code de l’environnement). On peut donc imaginer que cette réserve du droit des tiers, notamment avec « le droit de chacun de vivre dans un environnement sain » (L.110-2 Code de l’environnement), va vite s’opposer « aux connaissances scientifiques et techniques du moment » (art. 2, dernier alinéa, Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages n°2016-1087). Toutefois, pour Me Arnaud Gossement « ce sont bien des normes législatives ou réglementaires de portée générale et non des actes administratifs individuels qui devront être conformes au principe de non régression » [6], ce qui ne semble pas correspondre à la lettre du texte, ni au contenu de la décision du Conseil stricto sensu. Le juge devra donc également préciser ce point.
Malgré cette large reconnaissance du principe, le juge constitutionnel dresse dans sa décision des limites strictes à l’application du principe de non-régression. Ces limites sont toutefois le gage de la force que ce principe devrait acquérir en droit positif.
II- LA CONFORMITÉ À LA CONSTITUTION D’UN PRINCIPE DE NON-RÉGRESSION LIMITÉ
S’ils ont consacré un principe au champ d’application et aux conséquences théoriques vastes (voir supra), les sages de la rue de Montpensier ont toutefois procédé à un encadrement du principe dans la continuité de leur propre jurisprudence (A) et afin d’articuler l’application du principe de précaution et celle du principe de non-régression (B).
A/ Le principe de libre abrogation des lois du législateur, exception complémentaire aux connaissances scientifiques et techniques du moment
La décision du 4 août 2016 reprend en filigrane le considérant consacré en la matière [7] : "il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter, pour la réalisation ou la conciliation d’objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité. Il peut également à cette fin modifier des textes antérieurs ou abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Dans l’un et l’autre cas, il ne saurait priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel" (C.C., 4 août 2016, n°2016-737 DC, cons. 11). La garantie légale des exigences constitutionnelles fait référence au principe de la libre abrogation des lois [8]. En effet, depuis 1984 en ce qui concerne le principe [9], et de manière explicite depuis 1986 [10]., le Conseil constitutionnel rappelle que les garanties légales sont établies « au service » des exigences constitutionnelles en tant que moyen de les mettre en œuvre [11]. En matière législative, l’effet cliquet du principe de non-régression n’est donc pas absolu puisqu’il est encadré par un principe supérieur de libre abrogation des lois afin de respecter les exigences constitutionnelles. La non-régression en matière législative est donc subordonnée à une mise en balance des intérêts constitutionnels à promouvoir et ceux, environnementaux, à conserver. Voir cette décision comme une limitation du principe n’est que partiellement légitime car il bénéficie ainsi de la protection renforcée que le Conseil attribue aux libertés fondamentales de premier rang (par ex. : liberté d’association ou droit d’asile). En effet, pour celles-ci, la loi ne peut intervenir qu’en vue de rendre leur exercice « plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes à valeur constitutionnelle » [12].
D’une autre nature est l’exception liée aux connaissances scientifiques et techniques du moment. On regrettera que cette exception légale ne soit pas plus large et n’intègre pas les situations de fait ayant donné lieu à des prescriptions particulières mais devenues sans objet par la suite ou les circonstances provisoires (par ex. : sécheresse). A priori, les arrêtés complémentaires d’une installation autorisée vont toujours pouvoir « atténuer celles des prescriptions primitives dont le maintien n’est plus justifié » [13]. Le Gouvernement indique dans ses observations [14] que la référence « aux « connaissances scientifiques et techniques du moment » manifeste clairement que le législateur a entendu que puisse être réévaluée en permanence l’appréciation portée sur l’intérêt et l’effectivité, pour la protection de l’environnement, des dispositions législatives et réglementaires en vigueur à un moment donné ». Qu’ainsi, le principe « n’entend faire obstacle ni à la nécessaire mutabilité de la règle de droit pour permettre son adaptation permanente à l’évolution des circonstances, ni à la faculté, pour les détenteurs du pouvoir normatif, de tenir compte d’intérêts généraux autres que celui de la protection de l’environnement ». Le principe semble donc voué à avoir une certaine souplesse et à servir d’orientation des politiques publiques en dépit de son caractère normatif.
B/ L’articulation du principe de non-régression et du principe de précaution
L’amélioration constante de la protection de l’environnement ne fait « pas obstacle à ce que le législateur modifie ou abroge des mesures adoptées provisoirement en application de l’article 5 de la Charte de l’environnement pour mettre en œuvre le principe de précaution » [15]. Le principe de non-régression semble inapplicable aux normes remplaçant celles édictées pour mettre en œuvre le principe de précaution. Cette limitation découle, finalement, de la limite générale du principe applicable "compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment", là où le principe de précaution est justement destiné à s’appliquer en « l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment » [16]. Ainsi, une fois l’incertitude levée l’application du principe de précaution n’a plus lieu d’être et la situation juridique créée ne confère donc pas un droit à la non-régression.
[1] CC, 29 juillet 2004, n° 2004-500, cons. 12
[2] rapport annuel du Conseil d’État – 1991
[3] CC, 4 août 2016 préc., cons. 10
[4] CC, 4 août 2016, préc., cons. 7
[5] Cour de Cassation, 2ème civ., 28 avril 1993, n°91-21.691, Bull. civ. II, no 156
[6] A. Gossement, Le principe de non-régression du droit de l’environnement est inscrit dans le code de l’environnement [en ligne], disponible sur http://www.arnaudgossement.com/ - consulté le 9/08/2016
[7] CC, 29 juillet 1986, Réforme du régime de la presse, n° 86-210 DC, consid. 3
[8] cf. Les garanties légales des exigences constitutionnelles, G. Mollion, PUF, p.260
[9] CC, 11 octobre 1984 n° 84-181 DC, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse
[10] Réforme du régime de la presse, préc
[11] CC, n° 2003-483 DC du 14 août 2003, Loi portant réforme des retraites, cons. 8
[12] CC, n° 84-181 DC préc. Cons. 37
[13] R.512-31 Code de l’environnement
[14] Observations du Gouvernement - 2016-737 DC [en ligne], disponible sur http://www.conseil-constitutionnel.fr/ - consulté le 10/08/2016
[15] CC, 4 août 2016, n°2016-737 DC, cons. 13
[16] L.110-1, II, 1° Code de l’environnement
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