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Information des salariés en cas de cession d’entreprise : quels enseignements tirer de l’arrêt du Conseil d’État du 8 juillet 2016 ? Par Hubert Mroz, Diplômé Notaire.
Parution : jeudi 8 septembre 2016
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Il s’agit du retour devant le Conseil d’État de l’affaire qui avait été soumise au Conseil constitutionnel (QPC du 17 juillet 2015) et qui avait soulagé les praticiens, à défaut de donner des solutions solides.

Le Conseil constitutionnel avait déclaré les quatrième et cinquième alinéas de l’article L. 23-10-1 et les troisième et quatrième alinéas de l’article L. 23-10-7 du Code de commerce contraires à la Constitution.
Il s’agissait des alinéas qui prévoyaient la possibilité d’annulation des cessions de parts ou actions réalisées en violation du droit d’information préalable des salariés. Désormais, la sanction peut atteindre 2% du montant de la vente (pour les cessions de parts ou actions, comme pour les cessions de fonds de commerce). Le juriste est soulagé, il ne pourra plus voir son acte annulé, mais les parties ne sont toujours pas rassurées.

L’objectif du recours devant le Conseil d’État était d’établir le point de départ du délai de 2 mois à compter duquel l’information des salariés doit avoir été faite.

Les articles du Code de commerce fixent un délai de « deux mois avant la vente ». Nous avions à plusieurs reprises déduit de cette terminologie l’impossibilité juridique de constater une vente par un contrat synallagmatique (protocole de cession, compromis etc.) même assorti de conditions suspensives diverses, avant de procéder à l’information des salariés. Seule une lettre d’intention unilatérale émanant du candidat acquéreur pouvait être imaginée.

Le décret du 28 octobre 2014, codifié (notamment article D141-3), précisait que la date de la vente devait être « entendue comme étant la date à laquelle s’opère le transfert de propriété ».

Problème : Pourquoi la date de la vente serait-elle, spécialement pour l’information des salariés, la date à laquelle s’opère le transfert de propriété ?

En effet, le Conseil d’État relève, au visa de l’article 1583 du Code civil, pierre angulaire de notre droit de la vente, promulgué en 1804 et non modifié depuis (!), que la vente est parfaite dès échange des consentements sur la chose et le prix, quelles que soit les modalités de livraison de la chose ou de règlement du prix. C’est la première incohérence du décret : il renvoie à une date qui peut tout à fait être incertaine.

Le Conseil relève également que l’article 1583 est supplétif de la volonté des parties. En effet, celles-ci peuvent tout à fait y déroger pour fixer différemment l’instant du transfert de propriété. C’est la seconde incohérence du décret : il omet la liberté des parties.

Enfin, le Conseil relève spécialement pour le cas présenté que, dans l’hypothèse d’une cession de valeurs mobilières, l’article L228-1 du Code de commerce, issu de l’ordonnance du 24 juin 2004 qui avait aligné les règles régissant les sociétés cotées et non cotées, le transfert de propriété n’intervient qu’au moment de l’inscription des valeurs mobilières au compte de l’acheteur, à la date fixée par l’accord des parties et notifiée à la société émettrice. C’est la troisième incohérence du décret : il ne tient pas compte de règles spéciales issues du droit des sociétés.

La sanction : sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés à l’appui des mêmes conclusions, la société requérante est fondée à soutenir que l’article 1er du décret attaqué est illégal en tant qu’il a inséré l’article D. 23-10-1 dans le Code de commerce.

Jeu sans enjeu ?
Le pouvoir réglementaire avait, dès le 28 décembre 2015, modifié par décret la rédaction de l’article D141-3 pour prévoir que la date de la vente devait être « entendue comme étant la date de conclusion du contrat ».

Cette modification est-elle juridiquement satisfaisante ? Oui et non.

Non : La conclusion du contrat n’est que le moyen de prouver une vente, et non la vente elle-même. Le contrat peut tout à fait faire rétroagir le transfert de propriété de quelques semaines ou quelques mois… Mais l’objectif était de rectifier le décret initial !

Oui : puisqu’il faut bien se référer à un évènement certain.
La date du contrat a le mérite d’être certaine puisqu’au mieux il est établi par acte authentique et il est daté de la date sa signature, et, au pire, il est enregistré auprès de l’administration fiscale (droits de mutation) qui lui confère date certaine… au jour de l’enregistrement !

L’arrêt traite aussi d’un moyen pour faire annuler l’article D. 23-10-2 du Code de commerce (7 modes de consultation des salariés), malheureusement rejeté par le Conseil d’État : la liste des modalités d’information serait de nature à rendre certaine la date de sa réception par les salariés. Nous resterons très réservés sur la question puisque nous rappellerons, par exemple, que le décret répute certaine la date « apposée par l’administration des postes ». Mais comme écrivait Franklin : « dans ce monde, rien ne peut être considéré comme étant certain, à part la mort et les impôts ».

Aussi vertueux que soit le sentiment qui incita, dans la langueur propre aux tièdes soirées d’été, le législateur à adopter ces dispositions, force est de constater que les aspects rédactionnels législatifs, et les aspects de mise en œuvre réglementaires, ont été très largement négligés.
Fort heureusement, eu égard à leurs conséquences quotidiennes pour la transmission d’entreprises, on constatera que les différentes juridictions en ont très vite pris la mesure.

Hubert MROZ PROUVOST & Associés, notaires Département Droit des Affaires .prouvost-roubaix.notaires.fr

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