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Dommages ouvrage et recours subrogatoire. Par Victoire de Bary, Avocat.
Parution : lundi 19 septembre 2016
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L’article L 242-1 du Code des assurances prévoit que le maître d’ouvrage doit souscrire, avant l’ouverture du chantier, une assurance garantissant le paiement des travaux de réfection des dommages de nature décennale, en dehors de toute recherche de responsabilité.

S’agissant d’une assurance de préfinancement, l’assurance dommages-ouvrage permet au maître d’ouvrage d’obtenir le préfinancement des travaux de nature à mettre fin aux désordres. L’assureur de dommage qui a indemnisé le maître d’ouvrage peut ensuite exercer une action subrogatoire contre l’assureur du responsable, ou le constructeur responsable lui-même, sur le fondement de l’article L 121-12 du Code des assurances.

L’assureur peut également, dans certains cas, se prévaloir d’une subrogation conventionnelle.
Les règles applicables en matière de subrogation ont été précisées par la jurisprudence et il apparaît important de faire un point sur cette question, d’abord pour distinguer l’action subrogatoire de l’action en garantie puis pour évaluer l’étendue de ce recours.

En premier lieu, il faut distinguer l’action subrogatoire de l’action en garantie car, bien que la seconde évolue souvent, en cours de procédure, vers la première, les conditions de leur recevabilité au fond sont différentes.

Dans un arrêt du 7 avril 2015, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation (n°14-12212) a justement rappelé la distinction entre ces deux actions en indiquant tout d’abord que :
« une partie assignée en justice est en droit d’en appeler une autre en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle, (…) une telle action ne suppose pas que l’appelant en garantie ait déjà indemnisé le demandeur initial ».

Dans un second temps, la Cour précisé que :
« est recevable l’action engagée par l’assureur avant l’expiration du délai de forclusion décennale, bien qu’il n’ait pas eu, au moment de la délivrance de son assignation, la qualité de subrogé dans les droits de son assuré dès lors qu’il a payé l’indemnité due à ce dernier avant que le juge du fond n’ait statué »

Ainsi, l’action en garantie ne suppose pas de paiement ni pour être recevable, ni pour aboutir. Seul l’intérêt à demander la garantie en cas de condamnation doit être rapporté.
Or, en matière d’assurance dommage, l’intérêt à agir résulte du fait que l’assureur dommages-ouvrage n’est qu’un assureur de préfinancement, qui n’a dès lors pas vocation à supporter la charge finale de l’indemnité d’assurance.

En revanche, l’action subrogatoire est également recevable même si le paiement n’est pas intervenu avant l’engagement de l’action, mais elle ne peut prospérer que si le paiement a été effectué au jour où le juge statue (voir également Civ. 3ème, 29 mars 2000, Bull. civ. III, n°67 ou Civ. 1ère, 9 octobre 2001, Bull. civ. I, n°245).

A cet égard, rappelons que la jurisprudence judiciaire considère que, si l’assuré n’a pas interrompu le délai de prescription à l’égard des constructeurs, l’assureur dommages-ouvrage qui n’est pas encore subrogé dans les droits de son assuré ne peut suppléer cette carence (Civ. 3ème, 5 octobre 2011, n°10-20543, Bull. 2011, III, n°154).

A l’inverse, la juridiction administrative retient que l’interruption du délai décennal par l’assureur dommages-ouvrage, à son propre profit, n’est pas subordonnée à la naissance de sa subrogation dans les droits de son assuré et donc au paiement de l’indemnité d’assurance (CE, 12 mars 2014, n°364429, mentionné aux tables).

En deuxième lieu, la question de l’étendue du recours subrogatoire peut se poser.

En effet, il n’est malheureusement pas exceptionnel que les carences de l’assureur dommages-ouvrage occasionnent des sanctions à l’encontre de l’assureur ou des délais et des frais consécutifs pour les assurés.
L’étendue du recours subrogatoire doit donc être déterminée.

Dans une affaire où l’assureur dommages-ouvrage avait été condamné à payer du fait du dépassement des délais applicable à la procédure suivant la déclaration de sinistre, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser si le recours subrogatoire était ou non ouvert dans ce cas.

En effet, la partie adverse considérait que le paiement résultant d’une sanction, il n’y avait pas lieu de considérer que les sommes auraient dû être payées à l’assuré et que, dès lors, le recours subrogatoire ne devait pas trouver application.

Cependant, dans un arrêt du 9 mai 2012 (n°11-11749), la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a jugé que « l’article L 242-1 du Code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur dommages-ouvrage à ses obligations » ce qui interdit de priver l’assureur dommages-ouvrage de son recours subrogatoire contre les auteurs du dommage.

Par conséquent, et même si l’obligation au paiement de l’assureur dommages-ouvrage découle directement de la sanction frappant le non-respect des dispositions prévues par le Code des assurances, le recours subrogatoire reste ouvert.

Cette position a été confirmée récemment par un arrêt du 13 juillet 2016 (Civ. 3ème, pourvoi n°15-22961, à publier) dans les termes suivants :
« attendu qu’ayant relevé qu’une ordonnance de référé avait constaté que l’assureur dommages-ouvrage n’avait pas régulièrement notifié sa position dans le délai légal et qu’il ne pouvait pas opposer un refus de garantie à son assuré, ce dont il résultait que l’indemnité avait été payée en exécution de l’obligation de garantie née du contrat d’assurance, la cour d’appel a exactement déduit de ces seuls motifs que l’assureur était légalement subrogé dans les droits et actions de son assuré contre les tiers auteurs du dommage et qu’il était recevable à agir à leur encontre ».

Bien plus, ce même arrêt retient que le recours subrogatoire de l’assureur dommages-ouvrage peut excéder la somme à laquelle l’assuré pouvait prétendre au titre de la réparation des désordres de nature décennale.

En effet, la Cour de cassation retient que « l’assureur dommages-ouvrage avait indemnisé son assuré après s’être vu interdire, par une ordonnance de référé, à titre de sanction pour inobservation du délai légal de soixante jours, d’opposer au maître de l’ouvrage un refus de garantie » et que, par conséquent, « aucune disposition légale ou conventionnelle ne permettait de limiter en pareille circonstance son recours subrogatoire à la seule responsabilité décennale du constructeur ».

Prudemment toutefois, la Cour rappelle que le recours subrogatoire ne peut aller au-delà de la responsabilité décennale que pour autant que sont réunies les conditions de la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle du constructeur.

Il s’agit là de ne pas aller à l’encontre d’un précédent arrêt du 22 octobre 2014 (Civ. 3ème, n°13-24420, Bull. 2014, III, n°134), dans lequel la Cour de cassation avait retenu que :
« le recours subrogatoire de l’assureur dommages-ouvrage ne peut excéder la somme à laquelle l’assuré peut prétendre au titre de la réparation des désordres de nature décennale, même si, en raison du non-respect de ses obligations légales, l’assureur dommages-ouvrage a été condamné à payer une somme supérieure ».

Par ailleurs, dans un arrêt du 12 février 2003, la 23ème chambre A de la cour d’appel de Paris (n°2002/02485) avait retenu que les assureurs des constructeurs n’étaient pas responsable du retard de paiement par l’assureur dommages-ouvrage qui avait occasionné des frais supplémentaires et que, par conséquent, le recours subrogatoire ne pouvait pas porter sur ces frais.

Au total, le recours subrogatoire peut porter sur les désordres de nature décennale et, le cas échéant, sur les désordres résultant de la responsabilité contractuelle du constructeur mais en aucun cas sur les frais ou conséquences financières du non-respect de ses obligations par l’assureur dommages-ouvrage (voir également Civ. 3ème, 5 mai 2015, n°14-11150).

Rappelons pour finir qu’il appartient aux juges du fond de fixer contradictoirement la créance subrogatoire au montant dont ils apprécient souverainement la valeur (Civ. 3ème, 22 octobre 2014, n°13-24420, Bull. 2014, III, n°134).

Victoire de BARY Avocat Associé www.sherpa-avocats.com