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Procédures criminelles : panorama (mars 2017). Par Naguin B. Zekkouti, Élève-avocat.
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Parution : mercredi 12 avril 2017
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Le mois de mars 2017 a été marqué par plusieurs arrêts intéressant la procédure criminelle. Pour l’essentiel, ils concernent tant l’instruction que les praticiens de la cour d’assises.
I - Sur le contrôle de la qualification juridique du crime de meurtre opéré par la Cour de cassation
Crim. 15 mars 2017, n°16-87694, Publié au bulletin
Pour renvoyer des mis en examen devant la Cour d’assises des mineurs des Bouches-du-Rhône sous l’accusation de coups mortels aggravés (infirmant partiellement l’ordonnance du juge d’instruction qui avait retenu la qualification d’assassinat), la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 7 décembre 2016, a notamment retenu que :
L’arrêt de mise en accusation allait toutefois être censuré par la Haute Juridiction au visa notable de l’article 593 du Code de procédure pénale selon lequel « les arrêts de la chambre de l’instruction sont déclarés nuls s’ils ne contiennent pas des motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d’exercer son contrôle ».
Corrigeant l’analyse de la juridiction d’instruction, la Chambre criminelle a en effet estimé que la qualification de coups mortels aggravés ne pouvait être retenue au motif que l’intention homicide ne résultait d’aucun élément du dossier tout en relevant dans le même temps que l’auteur suspecté avait utilisé un couteau dont la lame, par sa longueur, pouvait provoquer la mort, d’autre part et frappé sciemment la victime au niveau du thorax, qui constitue une zone vitale.
Aussi, en présence d’un animus necandi, la Cour de cassation invite-t-elle la juridiction d’instruction à envisager la qualification meurtre, plutôt que celle des violences mortelles des articles 222-7 et 222-8 du Code pénal. L’arrêt du 29 mars 2017 confirme que la Haute Juridiction use largement de son pouvoir de contrôle de l’élément moral de l’infraction, en particulier en matière de dol spécial.
II - Durée de détention provisoire excessive : le rappel à l’ordre de la Chambre criminelle !
Crim. 29 mars 2017, n° 17-80642, Publié au bulletin
Dans un arrêt du 29 mars 2017, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a censuré un arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Montpellier du 13 décembre 2016. La cassation est d’autant plus notable qu’elle est notamment prononcée au visa de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme, en vertu duquel la Haute Juridiction estime par principe que « la durée de la détention provisoire ne doit pas excéder le délai raisonnable ».
Concrètement, un mis en cause, placé sous mandat de dépôt le 6 juin 2013, a été renvoyé le 5 mai 2015, pour meurtre et tentative de meurtre, devant la cour d’assises des mineurs de l’Hérault. Par arrêt du 20 mai 2016, il est acquitté par cette même cour d’assises du chef de meurtre et condamné à huit ans d’emprisonnement et trois ans de suivi socio-judiciaire pour tentative. Le ministère public a interjeté appel principal et l’intéressé appel incident ; l’accusé présentera une demande de mise en liberté le 23 novembre 2016.
Pour rejeter cette demande, l’arrêt de la chambre de l’instruction, après avoir relevé que l’information s’était poursuivie pendant vingt-trois mois en raison de la multiplicité des auditions rendues indispensables par les pressions exercées sur certains témoins et les concertations orchestrées entre les auteurs et d’autres témoins, énonce notamment que la durée de l’information ne saurait être considérée comme déraisonnable, les autorités compétentes ayant apporté une diligence particulière à la poursuite de la procédure, et que des efforts ont été entrepris pour permettre l’audiencement du dossier un an après l’ordonnance de renvoi, l’accusé ayant comparu devant la cour d’assises des mineurs de l’Hérault en mai 2016.
Pour justifier le délai de détention, les juges se sont par ailleurs prévalus de ce que :
L’argumentaire développé par les juges de la chambre de l’instruction de la Cour de Montpellier n’a toutefois pas su convaincre les magistrats du Quai de l’Horloge. En effet, si la juridiction a exposé la situation particulière des cours d’assises du ressort et les initiatives accomplies pour remédier à leur encombrement, elle n’a cependant « pas caractérisé les diligences particulières ou les circonstances insurmontables qui auraient pu justifier la durée de la détention provisoire d’un mineur au moment des faits » .
Il s’évince ainsi de l’arrêt rapporté qu’en matière de détention provisoire, la Cour de cassation fait preuve de sévérité - à juste titre - quand à l’appréciation du délai raisonnable. Le fait pour les juridictions de faire mention d’une situation particulière (qui pour une large part relève de choix de politique pénale et pénitentiaire qui dépassent le cadre de ce commentaire) et de l’adoption de mesures curatives est insuffisant. Pour la Chambre criminelle, le standard imposé est plus restrictif (donc plus exigeant) : seule la preuve de diligences particulières ou circonstances insurmontables - qui au demeurant incombe à l’autorité judiciaire - est de nature à justifier une durée de détention au-delà du raisonnable.
Dans le contexte du Livre Blanc pénitentiaire, la décision doit être approuvée.
III - Sur la question spéciale de préméditation posée par le président des assises : « le flou égale le Tout ».
Crim. 29 mars 2017, n°16-82615 et 16-83955, Publié au bulletin
Dans un deuxième arrêt du 29 mars 2017, il était une nouvelle fois question de la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, soulevée par l’avocat dans l’intérêt de l’accusé condamné à vingt-cinq ans de réclusion criminelle pour assassinat.
Ainsi, il était reproché à la cour d’assises de la Moselle d’avoir rejeté, dans son arrêt du 31 mars 2016, les conclusions de la défense tendant à ce que la question spéciale de préméditation, qui n’avait pas été retenue par la cour d’assises statuant en premier ressort, ne soit pas posée, seul l’accusé ayant formé appel principal et le ministère public n’ayant interjeté qu’appel incident. Il convient de noter que le mis en examen avait été mis en accusation sous la qualification de meurtre et que c’est seulement au stade des débats devant la cour d’assises de première instance que le président a demandé à la cour et aux jurés de se prononcer sur le point de savoir si le meurtre avait été commis avec préméditation, en répondant à une question spéciale.
S’il résulte des débats une ou plusieurs circonstances aggravantes, non mentionnées dans l’arrêt de renvoi, le président pose une ou plusieurs questions spéciales (article 350 du CPP).
Bien que la circonstance aggravante de préméditation ait été en l’espèce écartée, l’accusé n’en a pas moins été condamné pour meurtre. Il interjette un appel principal, le ministère public formant un appel incident. Et, lors des débats devant la cour d’assises d’appel, le président informera une nouvelle fois les parties qu’il envisage de poser une question spéciale sur la préméditation. Mais là, l’avocat de l’accusé soulève un incident contentieux, faisant valoir que le caractère incident de l’appel du parquet général s’oppose à ce que soit de nouveau posée cette question spéciale, la réponse négative donnée en première instance par la cour et les jurés équivalant, selon lui, à un acquittement partiel qui ne pouvait plus être remis en cause. Par arrêt incident toutefois, la cour a rejeté la demande de la défense et ordonné que soit posée une question spéciale relative à la préméditation.
Dans l’arrêt rapporté, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a approuvé l’analyse de la cour d’assises d’appel. Ainsi, à la faveur du classique pouvoir souverain du président des assises dans la conduite des débats, la Haute juridiction estime que le président « a le pouvoir de soumettre à la cour et au jury la circonstance aggravante de préméditation résultant des débats, quand bien même elle n’aurait pas été examinée au cours de la procédure d’instruction » . La question spéciale, posée à la fin des débats, peut avoir un impact considérable sur la situation de l’accusé, susceptible de se voir confronté jusqu’à la dernière minute à une question susceptible d’entraîner - dans le pire des scénarii - une condamnation à la perpétuité.
Aussi, au-delà des réflexions qu’il peut susciter en terme de droits de la défense et de fiabilité de l’instruction préparatoire, l’arrêt invite le défenseur à envisager le plus en amont possible l’éventualité qu’une question spéciale soit posée.
Au demeurant, on gardera à l’esprit qu’ainsi que l’estime la Haute Juridiction, le fait que le procès-verbal des débats mentionne que le président, après la clôture des débats, a donné lecture des questions auxquelles la cour et le jury auraient à répondre implique qu’il a été donné connaissance de l’ensemble des questions posées, incluant tant la question principale que la question spéciale.
La Cour de cassation répondait ainsi au deuxième moyen soulevé par la défense, tenant à ce que le fait pour la cour d’assises de se borner à mentionner que le président avait donné lecture des questions auxquelles la cour et le jury auraient à répondre sans précision de ce que ces questions résultaient ou non des débats constituait une violation des articles 348 et 350 du Code de procédure pénale. Pour la Chambre criminelle, il suffit que le procès-verbal indique que le président « a donné lecture des questions » , pour en déduire qu’il a été « donné connaissance de l’ensemble des questions posées » . Ou lorsqu’au bénéfice d’une présomption bénéficiant ici au magistrat, le flou égale le Tout...
Naguin Zekkouti Avocat à la Cour Docteur en droit Certificat de sciences criminelles - université Paris 2 Panthéon-AssasCet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).
Bonjour
ce que j’aprecie c’est votre suivi de la jurisprudence pénale ce qui enrichi les connaissances des jeunes avocats les talents de la profession de demain.
Monsieur le Bâtonnier,
Je vous remercie pour votre délicat message, que je prends comme un encouragement à poursuivre mes efforts de décryptage régulier de la jurisprudence pénale.
Avec mes salutations respectueuses,
NZ