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Le nouvel agent des sûretés en droit français. Par Jason Labruyère, Juriste.
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Parution : mardi 10 octobre 2017
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Efficacité et compétitivité de notre droit interne, voilà les mots à retenir de la réforme de l’agent des sûretés. Marqué par un mécanisme peu adapté et par conséquent, une forte dose de liberté contractuelle au sein de la pratique bancaire, le régime de l’agent des sûretés devait être réformé. Attendu donc par les différents acteurs des financements syndiqués, l’ordonnance n° 2017-748 en date du 4 mai 2017 (prise en application de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 dite « Sapin II ») clarifie et modernise ce régime de l’agent des sûretés. Le nouveau régime, applicable depuis le 1er octobre dernier, présente ainsi des atouts indéniables mais également des interrogations pour les praticiens.
Les faiblesses d’hier
En matière de financements syndiqués, la gestion complexe des sûretés garantissant le financement est un enjeu déterminant. La pluralité des acteurs (prêteurs [1] évidemment mais également, obligataires lors d’émissions obligataires, etc.) renforce l’importance de la désignation et le rôle de l’agent des sûretés. Ce dernier doit, en effet, prendre, inscrire, gérer et réaliser les sûretés garantissant le financement pour le compte commun de l’ensemble des créanciers.
Jusqu’alors, deux mécanismes étaient utilisés : l’article 2328-1 du Code civil et le mandat civil (articles 1984 et suivants du Code civil). Le premier était marqué par des imprécisions et une certaine lourdeur [2] ; le second, venant au secours du premier était, quant à lui, limité et peu pratique [3].
Ainsi, le risque concret était de voir des investisseurs étrangers se détourner de notre ancien régime pour un autre droit applicable ou d’autres mécanismes de droit étranger comme le security trustee ou encore le mécanisme des dettes parallèles [4], figures beaucoup plus performantes de la common law.
Les avantages d’aujourd’hui
Le nouvel article 2488-6 du Code civil dispose que « toute sûreté ou garantie peut être prise, inscrite, gérée et réalisée par un agent des sûretés ».
Primo, le nouveau texte ne fait plus cette distinction - malheureuse - entre sûreté réelle et sûreté personnelle. Outre les sûretés personnelles classiques, il y a là un élargissement notable permettant, par exemple, d’inclure la prise de sûretés de droit étranger.
Secundo, il englobe les garanties, très présentes au sein des crédits syndiqués. Plus d’ambiguïtés dans la prise et la gestion de certaines garanties demandées par les créanciers, telles que les garanties autonomes, les sûretés négatives ou encore les lettres d’intention. De même, plus d’interrogations concernant les transferts de propriété à titre de garanties comme la délégation ou la cession de créances professionnelles.
Tertio, il est à noter que l’agent des sûretés peut être une personne physique comme une personne morale. Il peut être un créancier du pool bancaire comme un tiers spécialisé. Cette définition large du nouvel agent des sûretés s’entend également dans le nombre d’agent des sûretés pouvant être nommé : nous pouvons imager lors de financements structurés, pourquoi pas, un agent des sûretés pour la dette bancaire dite senior mais aussi un autre agent des sûretés pour la dette mezzanine dite junior (ou subordonnée). Dans l’hypothèse d’émissions obligataires par exemple, il est envisageable d’avoir un représentant de la masse qui soit également agent des sûretés au profit des obligataires.
D’un mandataire à un agent fiduciaire
L’évolution notoire réside là ! L’agent des sûretés se pare de nouveaux habits, en laissant tomber ceux du mandataire, il enfile ceux du fiduciaire. Il agit désormais en son nom propre (et non, au nom et pour le compte des créanciers). Sans même avoir de mandat spécial, l’agent interviendra au profit des créanciers de l’obligation garantie.
Point important de la réforme, sécurité juridique rime avec souplesse : la cession de participation ne vient pas contredire ce nouveau régime fiduciaire. Pareillement en cas de changement de prêteurs, membres du pool bancaire. L’agent des sûretés étant un titulaire direct des sûretés et garanties, il agira bien en son nom mais au profit des créanciers (en ce compris leurs ayant-droits et cessionnaires donc).
Bien plus, l’article 2488-6 dispose que « les droits et bien acquis par l’agent des sûretés dans l’exercice de sa mission forment un patrimoine affecté à celle-ci, distinct de son patrimoine propre ». Le législateur a ainsi doté le nouvel agent des sûretés d’un patrimoine d’affectation. Sa mission est bien celle d’un véritable fiduciaire. L’intelligence de l’ordonnance est de ne pas avoir repris le formalisme lourd que l’on connaît de la fiducie que l’on connait. Comme évoqué en creux, le législateur répond ici aux besoins de liquidités des acteurs du financement syndiqué.
Toutefois, à noter que l’agent des sûretés est responsable sur son patrimoine propre des fautes commises dans l’accomplissement de sa mission (article 2488-12 du Code civil). Responsabilité de droit commun, la pratique reprendra les clauses limitatives ou élusives de responsabilité, légion en la matière. Généralement, en pratique, la responsabilité de l’agent est limitée à la seule faute lourde ou dolosive.
La question est maintenant de savoir si de telles clauses ne s’avèrent pas en contradiction avec l’obligation essentielle du nouvel agent des sûretés et avec la portée de l’engagement souscrit. Pensons à l’article 1170 du Code civil [5] traduction législative de la fameuse jurisprudence dite Chronopost [6].
Enfin, notons également que l’article 2488-11 du Code civil prévoit qu’en cas de défaillance, un nouvel agent des sûretés peut être nommé et désigné par le juge sur demande de tout créancier bénéficiaire de sûreté ou garantie. Le changement de l’agent entrainera ipso facto la transmission du patrimoine affecté.
L’agent des sûretés et les procédures collectives
L’article 2488-9 du Code civil est d’une grande importance : il autorise l’agent des sûretés à agir en justice pour défendre les intérêts des créanciers, et notamment, en cas de procédure collective, à déclarer les créances garanties. Plus besoin d’avoir un mandat spécial écrit comme sous l’ancien régime.
A contrario, et fort logiquement, toute procédure collective frappant l’agent des sûretés est sans effet sur le patrimoine affecté, véritable bulle patrimoniale distincte du patrimoine propre (article 2488-10, alinéa 2 du même code).
Pour le reste, le législateur laisse à nouveau un fort degré de liberté contractuelle
Concernant son champ d’intervention, ses missions, la durée de celles-ci ou encore son remplacement, le législateur laisse place à la liberté contractuelle.
La seule exigence légale est la désignation expresse de l’agent et ce, sous peine de nullité. Effectivement, « la convention par laquelle les créanciers désignent l’agent des sûretés doit être constatée par écrit » (article 2488-7 du Code civil).
Néanmoins, sa désignation peut être matérialisée soit au sein de la convention de crédit, soit dans un acte séparé, distinct de celui renfermant l’obligation garantie. Nous pouvons donc imaginer une désignation de l’agent des sûretés en amont ou même en aval de l’opération de financement, c’est-à-dire post-closing. La pratique se tournera aisément vers un acte distinct, par clarté tout d’abord, mais aussi pour faciliter la rédaction de ses prérogatives (pensons à la convention inter-créanciers ou à un acte ad hoc pour sa désignation).
Les inquiétudes de demain
Nous l’avons vu, le législateur nous offre un agent des sûretés moderne et compétitif.
Cependant, les questions des praticiens s’avèrent présentes. Ces interrogations proviennent en grande partie d’une évolution notable en droit des sûretés, induite par la réforme : la dichotomie entre la titularité de la créance et la titularité de la sûreté [7].
En effet, l’agent des sûretés sera bien le seul titulaire de la sûreté alors même que le législateur donne la faculté pour les parties de choisir un tiers spécialisé. Prenons donc une société fiduciaire ou un cabinet d’avocat, agent des sûretés, d’un côté et les créanciers du pool, de l’autre. Le titulaire de la créance garantie ne serait pas le titulaire de la sûreté, pourtant accessoire à cette même créance. En vertu du principe général en droit des sûretés de l’accessoire, cela pose des difficultés. Imaginons maintenant un financement syndiqué immobilier demandant l’inscription d’un privilège de prêteur de deniers (PPD) : comment avoir un agent des sûretés qui n’est pas prêteur de fonds ? Sans évoquer la cession Dailly (articles L. 313-23 et s. du Code monétaire et financier, dont l’une des conditions est d’avoir cette qualité d’établissement de crédit) ou le gage sur stocks.
On le voit, l’ordonnance dépoussière l’agent des sûretés mais des questions demeurent pour les praticiens des financements syndiqués. La réforme éteint des problématiques pour en allumer de nouvelles. Dans ce jeu de clair-obscur, les principaux acteurs écarteront sûrement, dans un premier, ce nouveau régime. N’étant pas d’ordre public, la liberté contractuelle prédominera. Mais cette situation transitoire ne peut qu’être temporaire. Dans tous les cas, grâce à ce nouveau régime, notre droit du financement bénéficiera, à n’en pas douter, d’une certaine attractivité et d’un gain de compétitivité.
Jason Labruyère - Juriste Financements Structurés[1] Prêteurs initiaux ou futurs, dans le cadre de cessions de participations ultérieures
[2] Par exemple, son champ d’application était limité aux « sûretés réelles »
[3] Les limites inhérentes au mandat civil. Par exemple, en cas de déclaration de créance, le simple mandat prévu au sein de la convention de crédit était insuffisant pour permettre à l’agent des sûretés d’ester en justice au nom et pour le compte du pool bancaire. Les créanciers devaient passer par un mandat écrit et spécial (le mandat ad litem). Autre exemple : en cas de remboursement anticipé du débiteur, si la convention de crédit ne prévoyait pas expressis verbis la faculté pour l’agent des sûretés de donner mainlevée pour le compte des créanciers, chacun se devait d’accomplir cette formalité pour son propre compte.
[4] Cass. com. 13 septembre 2011, n° 10-25.633, n° 10-25, 731 et n° 10-25.908, l’arrêt Belvédère, dans lequel les hauts magistrats ont accepté, en substance, l’application du security trustee en droit français.
[5] « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».
[6] Com. 22 octobre 1996, n° 93-18632.
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