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La comparateur d’avocat : une pratique validée par la Cour de cassation. Par Johan Zenou, Avocat.
Parution : lundi 16 octobre 2017
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Une société a créé en 2012 un site internet afin de mettre en rapport des particuliers avec des avocats. Le Conseil national des barreaux (CNB) l’a attaquée en justice en arguant qu’elle faisait un « usage prohibé du titre d’avocat pour proposer des services juridiques, accomplissait des actes de démarchage interdits, se livrait à des pratiques trompeuses et contrevenait aux règles de la profession prohibant tout mention publicitaire comparative ainsi que la rémunération de l’apport d’affaires et le partage d’honoraires ». Sur ce fondement, le CNB prétendait que l’intérêt collectif de la profession avait été atteint, et, partant entendait obtenir la réparation de ce préjudice.

I/ La caractérisation de la pratique commerciale trompeuse

Cette situation était problématique en ce qu’elle permettait à cette société de capter de la clientèle en utilisant la dénomination d’« avocat », alors qu’elle ne proposait pas des prestations exclusivement exécutées par des avocats. Ainsi, le fait pour une société d’avoir pour nom de domaine « alexia.net » et de prétendre être « le comparateur d’avocat n°1 en France », constitue-t-il une pratique commerciale trompeuse ?

La première chambre civile de la Cour de cassation répond par l’affirmative, validant partiellement le raisonnement de la cour d’appel.

Tout d’abord, l’usage du nom de domaine ‘www.avocat.net’ « est [bien] de nature à créer, dans l’esprit d’un public non averti, qui peut croire être en relation avec avocats, une confusion sur la qualité de ses interlocuteurs ». La cour d’appel a donc pu valablement ordonner tant la suppression de ce nom de domaine que son transfert au CNB.

Quant à la caractérisation de la pratique commerciale trompeuse, la 1ère Chambre civile reprend le raisonnement de la cour d’appel. En effet, comme le rappelle les magistrats du Quai de l’Horloge en citant la juridiction d’appel, tel quel ce nom de domaine laissait « penser à l’internaute que le site [était] exploité par des avocats ou que tous les services proposés [émanaient] d’avocats, tandis que certaines prestations [étaient] assurées par des personnes qui ne sont pas membres d’un barreau ». De plus, il existait une certaine une opacité quant aux critères de référencement et de classement sur le site. Enfin, la nature de la relation entre un avocat et sa clientèle étant particulière, elle ne permet pas d’utiliser un système de comparaison à des fins commerciales. Après avoir repris ces arguments développés précédemment par la cour d’appel, les magistrats de la chambre civile valident la qualification de pratique commerciale trompeuse. Cette dernière est d’ailleurs de nature à « altérer de manière substantielle le comportement de l’internaute moyen ».

Remarque 1 : Cette altération du comportement est également définie par la directive européenne 2005/29/CE du 11 mai 2005. Celle-ci est comprise comme étant une « pratique commerciale compromettant sensiblement l’aptitude du consommateur à prendre une décision en connaissance de cause et l’amenant par conséquent à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement ».

Remarque 2 : En mettant en parallèle la définition européenne de l’altération du comportement et la définition qu’en donne la décision commentée, on constate qu’elles sont substantielles proches.

Remarque 3 : Malgré l’univocité de cette décision, sa rédaction laisse planer un doute quant au moment où il s’agira d’apprécier cette altération. Sur cette question, les cours d’appel adoptent des avis divergents : par exemple, celle de Paris estime que c’est le visionnage d’une publicité qui est à même d’altérer la décision de la clientèle (CA Paris, 21 mai 2014, n°12/01417), tandis que la cour d’appel de Lyon apprécie l’altération au moment de l’acte d’achat (CA Lyon, 24 juillet 2014, n°11/08322). Toujours est-il que la Cour de cassation semble en l’espèce apprécier assez souplement le moment de l’altération du comportement de la clientèle, ne se souciant guère de savoir si celle-ci a eu lieu au moment de la signature d’un contrat de prestation de service avec un quelconque avocat.

II/ Les conditions de licéité des comparateurs d’avocats

La haute juridiction prend toutefois bien soin de préciser que les règles déontologiques applicables aux avocats ne s’appliquent aux tiers à la profession. En effet, en retenant que « pour interdire à la société Jurisystem de procéder et d’établir des comparateurs et notations d’avocats [...] [la] société propose un comparateur des avocats qu’elle référence, en dépit des règles déontologiques », la cour d’appel a fait une mauvaise application de l’article 15 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005. La précision est de taille : le fait pour une société tierce de mettre en place un comparateur d’avocats n’est pas en soi prohibé. Par conséquent, « il leur appartient seulement, dans leurs activités propres, de délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente ».

Remarque : Cela pourrait avoir des grandes conséquences à l’avenir. Malgré la condamnation de la société dans le cas d’espèce, cet arrêt pourrait modifier assez fondamentalement la nature des relations des avocats avec leur clientèle.

Johan ZENOU Avocat au Barreau de Paris www.cabinet-zenou.fr