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Trêve hivernale : la fin des expulsions locatives jusqu’au 31 mars 2018. Par Romain Rossi-Landi, Avocat.
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Parution : jeudi 2 novembre 2017
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Le 1er novembre de chaque année marque le début de la trêve hivernale.
Depuis une dizaine d’années, les expulsions sont en très forte hausse avec une augmentation record de 140 % en quinze ans selon la Fondation Abbé Pierre (15 222 expulsions en 2016 contre 14 363 en 2015 et 11 604 en 2014) !
Cette trêve des expulsions a été instaurée par la loi du 3 décembre 1956, suite au combat de l’Abbé Pierre.
Initialement prévue du 1er novembre de l’année en cours au 15 mars de l’année suivante, elle a été repoussée au 31 mars par la loi ALUR du 24 mars 2014.
Principe : Interdiction d’expulser mais pas de poursuivre
Contrairement à ce que croient à tort, beaucoup de bailleurs, les procédures judiciaires en résolution judiciaire de bail et expulsion pour non-paiement des loyers restent possibles pendant la trêve hivernale.
Le bailleur peut assigner son locataire et obtenir une décision d’expulsion (ordonnance de référé ou jugement) entre novembre et mars.
Seule l’expulsion physique et matérielle des lieux est suspendue pendant l’hiver.
L’article L 412-6 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit donc qu’il ne peut être procédé à toute expulsion non exécutée à la date du 1er novembre de chaque année jusqu’au 31 mars de l’année suivante, à moins que le relogement des intéressés ne soit assuré dans des conditions suffisantes respectant l’unité et les besoins de la famille.
Cette règle s’applique même à l’expiration des délais ordonnés par le juge pour expulser.
Le juge a la faculté d’ordonner l’expulsion, en dérogation à cet article, lorsque les personnes sont entrées dans les locaux par voie de fait (sans autorisation du propriétaire et sans titre, par exemple en squatteurs).
La trêve hivernale interdit également les coupures de gaz et d’électricité en cas de factures impayées.
En revanche, le propriétaire peut signifier par huissier au locataire le commandement de quitter les lieux et mettre en œuvre la procédure d’expulsion qui ne sera exécutée qu’à l’expiration de la trêve hivernale.
À l’expiration de la période de trêve hivernale, la procédure d’expulsion peut démarrer qu’à condition que le concours de la force publique soit accordé.
Au 1er avril, le locataire faisant l’objet d’une mesure d’expulsion a l’obligation de quitter le logement. A défaut, il s’expose à la procédure d’expulsion manu militari.
L’huissier de justice est en charge de l’exécution de la mesure d’expulsion. Il doit en informer le préfet en vue de la prise en compte de la demande de relogement de l’occupant dans le cadre du plan départemental. En cas de refus du locataire de quitter les lieux, l’huissier ne fait pas usage de la force, il doit demander au préfet l’assistance des forces de police. C’est le concours de la force publique.
Pour activer le traitement administratif du dossier en Préfecture, il faut que l’huissier dénonce cette réquisition de force publique au commissaire de police le même jour afin qu’il enclenche une enquête immédiatement et convoque pour recueillir les éléments sur la base desquels le Préfet se prononcera.
Le bailleur a alors intérêt à écrire au Préfet afin de lui expliquer les éventuelles circonstances spécifiques qui rendent ce dossier extrêmement urgent pour lui.
La décision appartient au seul préfet qui, en cas de refus, devra motiver sa décision (ex : potentiels troubles graves à l’ordre public en cas d’enfants en bas âge ou manifestation de soutien du voisinage …).
Le bailleur peut contester la décision préfectorale devant le tribunal administratif au fond et demander à être indemnisé par l’État (pour le paiement des loyers) puisque ce dernier n’a pas permis l’exécution d’une décision de justice. La France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour non-exécution d’une décision de justice et atteinte au droit de propriété.
Dans tous les cas, le refus du préfet ouvre droit à indemnisation pour le bailleur, d’abord par voie amiable directement auprès du préfet et ensuite, en cas de refus, par voie judiciaire devant le juge administratif (il faut compter au moins deux ans de procédure à Paris…).
L’expulsion constitue évidemment un drame pour les expulsés qui se trouvent souvent totalement démunis et dans une situation fortement précaire comme le rappellent les nombreuses associations de locataires.
Mais, paradoxalement, c’est souvent la décision d’expulsion qui permet aux locataires en difficulté d’obtenir enfin un logement social puisqu’ils deviennent alors prioritaires sur la longue liste des demandeurs.
Certains juges d’instance hésitent à accorder des délais supplémentaires aux locataires pour qu’ils puissent se reloger dans le parc privé car ils considèrent qu’ils auront plus de chance d’être rapidement relogés dans le parc social mais à la condition d’être sous la menace d’une expulsion…
C’est la preuve de l’échec total des différentes politiques de prévention des expulsions des dix dernières années.
Pourtant, la Fondation Abbé Pierre révèle qu’en 2016, quelques indicateurs sont malgré tout en légère baisse par rapport à 2015, après de longues années de hausse :
les décisions de justice prononçant l’expulsion (128 146 contre 132 196) ;
les commandements de quitter les lieux (63 081 contre 67 905).
Faut-il y voir le signe d’une prévention qui serait enfin plus efficace ? On ne peut que l’espérer.
A noter que pour la première fois, les habitants des « bidonvilles » vont bénéficier de la trêve hivernale, conformément à la loi « Égalité et citoyenneté » du 27 janvier 2017.
Bien sûr, les propriétaires sont également victimes de ces impayés (pouvant aller jusqu’à 3 ans d’arriérés) qui peuvent les placer dans des positions financières très difficiles (complément de revenus pour des retraités par exemple) qu’il ne faut pas minimiser. Certains bailleurs individuels ne peuvent plus rembourser leur crédit immobilier à leur banque et font alors l’objet d’une saisie immobilière de leur bien (c’est du vécu).
La fin de la trêve hivernale constitue donc pour eux un soulagement après avoir subi le long chemin parcouru d’embûche de la procédure d’expulsion (du même auteur) et l’espoir de pouvoir enfin lancer la procédure d’expulsion et récupérer leur bien, à défaut de récupérer les arriérés de loyer.
Écœurés, la plupart des propriétaires bailleurs individuels, qui ont été contraints de lancer une procédure d’expulsion préfèrent renoncer à louer leur bien, ce qui diminue encore l’offre de logements.
Autre effet pervers, on constate également que le mois d’octobre qui précède le début de la trêve et le mois d’avril qui lui succède, sont ceux où les expulsions sont les plus nombreuses et les plus brutales.
L’État est donc bien le seul responsable car le droit au logement est un droit fondamental.
On ne peut donc qu’espérer une politique de prévention des expulsions plus efficace et plus juste.
Romain ROSSI-LANDI Avocat à la Cour www.rossi-landiavocat.frCet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).