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Succession et révocation d’une donation pour adultère. Par Aubéri Salecroix, Avocat.
Parution : jeudi 16 novembre 2017
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Il est de notoriété publique que les successions se révèlent très souvent être des épreuves douloureuses pour les héritiers et le présent arrêt en donne une nouvelle illustration.

En l’espèce, un couple s’était marié le 17 juin 2002 selon contrat de mariage préalable de séparation de biens. Par acte notarié du 20 juin 2002, l’époux avait consenti une donation au dernier vivant à son épouse avant de se donner la mort par pendaison à son domicile le 7 août 2011.

Le 26 juillet 2012, les deux fils du défunt, issus d’une précédente union, assignent la veuve devant le tribunal de grande instance de Bastia afin d’obtenir la révocation de la donation consentie par leur père, pour cause d’ingratitude, en l’occurrence l’adultère commis par leur belle-mère.

Sur le fond, ils fondent leur action sur l’article 955 du Code civil, aux termes duquel :
« la donation entre vifs ne pourra être révoquée pour cause d’ingratitude que dans les cas suivants :1° Si le donataire a attenté à la vie du donateur ; 2° S’il s’est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves ; 3° S’il lui refuse des aliments ». L’adultère relèverait selon eux de la seconde catégorie.

Ils soutiennent que leur père avait connaissance de l’adultère commis par son épouse et produisent à titre de preuves le SMS que leur père a écrit avant de se suicider (« Je confirme les ragots, ma femme est une p…., merci Marcel, mon soi-disant ami. Didier ») ainsi que le message vidéo dans lequel il déclare qu’il « sait tout pour Marcel ». Ils se prévalent en outre de l’aveu fait par ledit ami, lors de son audition par les gendarmes, le 12 mai 2012 : « Oui, effectivement, j’entretenais une relation avec Valérie. Ma relation a commencé un an avant le décès de Didier », soit en juillet 2010.
Ils ajoutent encore que leur père avait fait part de ses doutes sur la fidélité de son épouse à diverses personnes (membres de la famille, amis, collègues de travail). Le frère du défunt, psychiatre, atteste que ce dernier lui avait fait part de ses « difficultés conjugales » depuis août 2010, son épouse lui ayant imposé de « faire chambre à part » et qu’il « envisageait de divorcer ». Il précise que le défunt « bien que de plus en suspicieux, ne pouvait se résigner à croire les ragots qui circulaient dans le petit village sur l’inconduite de plus en de plus notoire de son épouse avec un ami du couple ».

Naturellement, et en dépit de l’aveu fait par son amant, la veuve nie tout adultère et soutient que la cause du suicide de son époux est une dépression, apparue en décembre 2009. Elle met la déclaration de son prétendu amant sur le compte d’un accident vasculaire cérébral – qui, en fait, remonte à 2010 -, et observe que l’intéressé s’est ensuite rétracté. Elle affirme que son couple était « très uni ».

Elle demande que la donation litigieuse soit requalifiée en « donation rémunératoire », c’est-à-dire faite en récompense de services rendus à la famille et invoque pour cela le sacrifice de sa prometteuse carrière professionnelle en faveur de celle de son époux et de l’entretien des enfants de ce dernier alors installés en Corse.

Les deux fils répliquent qu’elle n’a pas abandonné son emploi volontairement, mais qu’elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse et ajoutent qu’elle ne s’est en outre jamais consacrée à la carrière de son époux où à l’entretien des enfants et produisent à l’appui de leurs propos une attestation d’un collègue du défunt indiquant : « J’ai travaillé avec Didier X durant plusieurs années de 1988 jusqu’à son décès… Toute l’organisation, les choix des studios et des musiciens, la logistique et les plannings ont été réglés entre Didier X et moi-même et personne d’autre n’est intervenu dans notre travail (…). Je n’ai jamais eu à faire à Valérie X… en ce qui concernait des raisons professionnelles ».

Sur la forme, les deux fils fondent leur action sur l’article 957 du Code civil, selon lequel les héritiers du donateur ne peuvent agir contre le donataire que si celui-ci est décédé dans l’année du délit, et qu’ils doivent former leur demande « dans l’année, à compter du jour du délit imputé par le donateur au donataire, ou du jour que le délit aura pu être connu par le donateur ».

Selon une jurisprudence constante, la Cour de cassation donne pour point de départ au délai d’un an :
1- le moment où le fait d’ingratitude a cessé, lorsqu’il s’est prolongé dans le temps
2- le derniers des faits d’ingratitude, lorsque celle-ci est constituée de plusieurs faits successifs.
Les deux fils estiment donc qu’ils pouvaient agir jusqu’au 7 août 2012 et que par conséquent leur action introduite le 26 juillet 2012 est recevable.

La veuve soutient au contraire que le point de départ de l’action en révocation court à partir du jour où son époux a eu la certitude d’être trompé, soit le 21 juillet 2011, au plus tard de sorte que l’action serait prescrite.

Par jugement en date du 1er juillet 2014, le tribunal de grande instance de Bastia a rejeté l’action et jugé, en s’appuyant sur les déclarations d’un témoin, que le défunt pouvait avoir eu connaissance de l’adultère de son épouse le 21 juillet 2011, et que cet adultère avait perduré jusqu’à la date de son décès de sorte que l’action n’était donc pas prescrite. Il est interjeté appel de la décision.

Par arrêt en date du 25 mai 2016, la cour d’appel de Bastia juge que « la preuve de l’adultère est rapportée » et indique que « l’adultère étant un fait d’ingratitude prolongé dans le temps, le point de départ du délai de la prescription annale est le moment où celui-ci a cessé », soit le 7 août 2011. Elle conclut donc que l’action n’est pas prescrite et constate que, si la veuve indique avoir « exercé une activité de gérance et d’administration au sein de la société » de son époux, elle ne précise pas de quelle société il s’agit et ne démontre pas la réalité de son travail de sorte qu’elle doit être déboutée. La cour déboute l’appelante et, retenant la cause d’ingratitude fondée sur l’adultère, prononce la révocation de la donation au dernier vivant.

La veuve se pourvoit en cassation au moyen que la cour d’appel n’aurait pas démontré en quoi l’adultère incriminé présentait le caractère d’ « injure grave ».

Par arrêt en date du 25 octobre 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi et indique qu’« ayant relevé que les relations adultères, entretenues par Mme X avec un ami intime de son couple, avaient suscité des rumeurs dans leur village et que, depuis août 2010, les relations conjugales s’étaient détériorées, ce que Didier X, très attaché à son épouse, avait vécu douloureusement, ainsi qu’il s’en était ouvert auprès de ses proches auxquels il avait confié ses doutes, la cour d’appel, qui a caractérisé la gravité de l’injure faite à ce dernier, a légalement justifié sa décision.

Il est donc possible pour les héritiers d’obtenir la révocation de la donation consentie par le défunt à son épouse adultère et de reconstituer ainsi leur réserve héréditaire. Cette solution, conforme aux textes, n’est pas prête de pacifier le règlement des successions…

Aubéri Salecroix Avocat asalecroix.avocat@gmail.com https://www.facebook.com/Cabinet-davocat-Aub%C3%A9ri-Salecroix-1914523838761774/ Droit de la famille Droit pénal

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