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Johnny Hallyday, l’exemple d’une succession dans le cadre d’une famille recomposée. Par Louis Laï-Kane-Chéong.
Parution : samedi 9 décembre 2017
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« L’idole des jeunes », Johnny Hallyday est décédé le mercredi 6 décembre 2017, laissant derrière lui, une carrière singulière, mais aussi des proches endeuillés parmi lesquels, une famille recomposée, montrant par là même la consécration d’un nouveau modèle familial.

La famille recomposée est une famille au sein de laquelle, au moins un enfant a pour parent un seul des conjoints.

En 2013, l’Insee annonce qu’au moins un enfant sur dix vit dans une famille recomposée [1]. Une telle recomposition de la famille ne se fait pas sans interrogations. Parmi elles, une est récurrente : celle de savoir comment l’héritage des enfants d’une famille recomposée est réglé.

Il convient de distinguer ici deux hypothèses, selon que le couple est marié (II) ou non (I).

I. L’héritage des enfants d’une famille recomposée non mariée.

Les articles 734, 743 et 744 du Code civil déterminent les ordres d’héritier et leur degré. Les héritiers sont en effet répartis hiérarchiquement en quatre ordres. Si plusieurs héritiers appartiennent au même ordre, le classement se fait par degré. A égalité de degré, la succession est partagée à égale portion.
En outre, selon l’article 735 du Code civil, les descendants succèdent à leur auteur, peu importe leur sexe, âge, et surtout, peu important qu’ils soient nés d’unions différentes.

Partons d’un exemple concret : Marie ayant un enfant Hélène d’une précédente union, vit actuellement en compagnie de Pierre, lequel n’avait auparavant pas d’enfant. De cette nouvelle union naît Robert.

En cas de décès de la mère, ses deux enfants seront appelés à la succession, y compris Robert né de la nouvelle union. Robert et Hélène recueilleront chacun la moitié de la succession de leur mère.
Pierre n’étant pas marié à Marie au jour de son décès, il n’a aucune vocation successorale dans la succession de sa compagne.

En cas de décès de Pierre, Hélène née d’une précédente union n’est pas appelée à la succession. Seul y sera appelé Robert, né de l’union entre Pierre et Marie, celui-ci recueillant alors la totalité de la succession de Pierre.

Les difficultés viennent avec le (re)mariage…

II. L’héritage des enfants d’une famille recomposée mariée.

Reprenons le même exemple, à ceci près que Pierre et Marie sont désormais mariés.
En cas de décès de Marie, il faudra prendre en compte, conformément à l’article 756 du Code civil, la qualité de conjoint survivant de Pierre qui viendra à la succession de Marie, en concurrence avec Hélène et Robert, sans distinction d’union (735 C.civ).

En présence d’enfants non communs, le conjoint survivant n’a pas le choix entre le quart en pleine propriété et le tout en usufruit : il ne peut recueillir que le quart en pleine propriété (757 C.civ). L’impossibilité de choisir l’usufruit de tous les biens en présence d’enfants non communs s’explique par la volonté du législateur d’éviter des mésententes entre le conjoint survivant usufruitier et les enfants non communs nus-propriétaires.
Pierre ne pourra prétendre qu’à un quart de la succession de Marie en pleine propriété.
Par ailleurs, Robert et Hélène se partageront les trois quarts restants en pleine propriété.

En cas de décès de Pierre, Marie en tant que conjointe survivante sera appelée à la succession (756 C.civ). Toutefois, Hélène, enfant non commun, sera écartée. Seul viendra à la succession l’enfant commun Robert.
Dès lors, Marie aura le choix entre recueillir toute la succession de Pierre en usufruit, ou ne prendre qu’un quart en pleine propriété (757 C.civ).
Corrélativement, Robert recueillera soit la nue-propriété de toute la succession, soit les trois quarts restants en pleine propriété.

L’exemple de la succession de Johnny Halliday

Par souci de simplification, il sera fait abstraction de tout élément d’extranéité, c’est-à-dire que nous considérerons que tous les biens de Johnny sont situés en France. Aussi, le droit viager au logement du conjoint survivant sera ignoré.

Johnny a eu son premier fils David, né du mariage avec Sylvie Vartan. Laura, sa deuxième fille, est née de l’union avec Nathalie Baye. Jade et Joy ont enfin été adoptés par Johnny et son épouse Laeticia.
Imaginons que Johnny laisse deux immeubles valant chacun 100.000 euros, une collection de guitares valant 50.000 euros et une collection de disques valant 30.000 euros. Il n’a fait ni testament, ni donation.

Johnny laisse alors pour lui succéder, 4 enfants, héritiers du premier ordre (734 C.civ) et du premier degré (743 et 744 C.civ), et un conjoint survivant, Laeticia (756 C.civ).

Les enfants étant nés ou adoptés d’unions différentes, il n’y a pas lieu de distinguer selon leur union (735 C.civ), tous sont appelés à la succession de Johnny, en concours avec le conjoint survivant qui ne pourra prétendre ici qu’à un quart de la succession en pleine propriété (757 C.civ).

Laeticia recueillera alors un quart de la succession de Johnny en pleine propriété, et les 4 enfants recueilleront les trois quarts restants et se le partageront, soit 3/16e de la succession pour chacun d’entre eux. Johnny laissant à sa mort des biens d’une valeur de 280.000 euros, chacun des enfants pourra prétendre à des biens d’une valeur de 52.500 euros, et Laeticia pourra prétendre à des biens d’une valeur de 70.000 euros.

Or, l’on sait que Sylvie Vartan a adopté une fille, Darina qui a très bien pu fréquenter la famille recomposée de Johnny, lequel a pu la considérer comme un membre de sa famille.
Toutefois, n’ayant aucun lien de parenté avec Johnny, elle n’est pas appelée à sa succession.
Cette hypothèse qui paraît invraisemblable dans le cas de Johnny, est pourtant réelle pour beaucoup de familles recomposées dans lesquelles, les enfants de chaque membre du couple peuvent vivre sous le même toit et s’entendre.
Or, une telle situation peut être frustrante pour l’enfant écarté qui a pourtant vécu au sein de la famille recomposée et qui a été considéré par le parent à la succession duquel il ne vient pas, comme son véritable enfant.

Deux solutions existent pour pallier à cette iniquité, et pour le comprendre, reprenons l’exemple de Johnny qui voudrait que Darina bénéficie de quelques-uns de ses biens :
- 1) La première solution consiste pour Johnny, à léguer certains biens par testament ou à en donner de son vivant à Darina.
*Cette solution présente tout de même l’inconvénient de se heurter à la réserve héréditaire des enfants, qui est de trois quart des biens existants en présence de 3 enfants ou plus (912 et 913 C.civ) [2], de sorte que Johnny n’aurait pu gratifier Darina qu’à concurrence de la quotité disponible, soit un quart de ses biens.
Or, s’il veut rétablir une égalité entre ses 4 enfants d’une part, et Darina d’autre part, en donnant 3/16e de ses biens à cette dernière [3], il épuisera presque la quotité disponible, cette dernière se réduisant à 1/16e au lieu d’être à 4/16e [4].
Darina n’étant pas héritière présomptive ni successible, elle ne devra pas rapporter la donation ainsi reçue (844 C.civ), de sorte que la quotité restera diminuée et les droits de Laeticia Hallyday (1/4 en pleine propriété) seront diminués car ils s’exercent en principe sur la quotité disponible… Dès lors, il ne restera pour Laeticia, que 1/16e de la succession au lieu de 4/16e, soit 17.500 euros au lieu de 70.000 euros.
*Cette solution présente de surcroît l’inconvénient de gratifier Darina qui est pour Johnny, une étrangère, de sorte que les droits de mutation à titre gratuit seront plus élevés que ceux qu’il aurait payés si elle avait été sa fille…

- 2) La deuxième solution serait d’adopter Darina, d’une part pour faire correspondre le droit à la réalité, puisque nous avons supposé que Johnny a traité Darina comme sa fille ; d’autre part pour lui conférer une vocation successorale qui sera la même que les autres enfants (358 C.civ pour l’adoption plénière et 368 C.civ pour l’adoption simple).
Ainsi, les enfants recueilleraient chacun 3/20e de la succession, soit des biens d’une valeur de 42.000 euros, Laeticia recueillant toujours des biens d’une valeur de 70.000 euros (1/4 de la succession).
En outre, Darina maintenant adoptée bénéficiera, pour le paiement des droits de mutation à titre gratuit, du tarif diminué s’appliquant aux enfants.

Au regard de la complexité de ces opérations, seul un avocat spécialisé pourra utilement conseiller son client sur l’opportunité de tester, de donner, de stipuler une clause particulière dans un contrat de mariage, ou encore d’adopter à des fins successorales, pour prévoir sereinement la dévolution de la succession dans le cadre d’une famille recomposée.

Louis Laï-Kane-Chéong

[2La réserve héréditaire se calcule comme suit : Biens existants (280.000 euros) – Passif (0) + réunion fictive des donations (0) = 280.000. A ce résultat, l’on applique la fraction correspondant à la réserve héréditaire qui varie en fonction du nombre d’enfants appelés, soit ½ en présence d’un enfant, 2/3 en présence de deux et ¾ en présence de trois ou plus. (280.000 x 3)/4 = 210.000. Ce résultant représentant la réserve globale permet de déterminer la part de réserve héréditaire revenant à chaque enfant, en la divisant par le nombre d’enfant appelé à la succession, soit 210.000 / 4 = 52.500.
Johnny a donc le droit de léguer ou donner des biens à condition qu’il en reste suffisamment pour que chacun des 4 enfants héritent de biens d’une valeur égale à 52.500 euros. De sorte que sur 280.000, Johnny ne peut donner ou léguer que 70.000, soit ¼ de ses biens représentant la quotité disponible.

[3Donner 3/16e de ses biens (280.000) revient à donner 52.500.

[4Les libéralités faites à un étranger s’imputent sur la quotité disponible (919-2 C.civ), de sorte que la libéralité faite à Darina (52.500), s’impute sur la quotité disponible (70.000), soit 70.000 – 52.500 = 17.500. Après avoir gratifié Darina, Johnny ne pourra gratifier autrui qu’à hauteur de 17.500, autrement, il excèderait la quotité disponible en empiétant sur la part de réserve héréditaire de ses enfants, de sorte que la libéralité excessive sera sujette à réduction (919-2 et 920 C.civ).

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