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La Balistique du Droit...ou, en argot de palais, comment mettre le feu dans les affaires d’un homme ! Par Raphaël Berger.
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Parution : jeudi 1er mars 2018
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Quiconque a eu à faire avec l’institution judiciaire connaît l’esprit de chicane qui peut y régner. La procédure se veut la garante de l’équilibre des intérêts en présence au procès. Mais conjuguée à la faillite endémique de moyens de l’institution judiciaire française, qui ne peut plus faire face à la demande croissante de droit, elle donne la part belle aux généraux d’artillerie, ainsi en capacité de développer des batteries de moyens et procédures, plus ou moins dilatoires, pour faire échec à une prompte issue du dossier. A l’heure où une énième réforme de la justice est en discussion, et nous y reviendrons dans une note ad hoc, vous constaterez, dans notre impromptu de ce mois (rubrique suivante), que rien n’a vraiment changé encore depuis 1815...
L’esprit de chicane, hier comme aujourd’hui...
« Assigné, le 3 juillet, au Tribunal de commerce d’Angoulême, David fit défaut ; le jugement lui fut signifié le 8. Le 10, Doublon lança un commandement et tenta, le 12, une saisie à laquelle s’opposa Petit-Claud en réassignant Métivier, à 15 jours. De son côté, Métivier trouva ce temps trop long, réassigna le lendemain à bref délai, et obtint, le 19, un jugement qui débouta Séchard de son opposition. Ce jugement, signifié roide le 21, autorisa un commandement le 22, une signification de contrainte par corps le 23, et un procès-verbal de saisie le 24. Cette fureur de saisie fut bridée par Petit-Claud qui s’y opposa en interjetant appel en Cour royale.
Cet appel, réitéré le 15 juillet, traînait Métivier à Poitiers…
Ce système, adopté par la Cour, fut consacré dans un Arrêt … .
Cet Arrêt signifié, le 17 août, à Séchard fils, se traduisit, le 18, en un commandement de payer le capital, les intérêts, les frais dus, suivi d’un procès-verbal de saisie le 20…
Le 26 août, ce jugement fût signifié de manière à pouvoir saisir les presses et les accessoires de l’imprimerie le 28 août. On apposa les affiches !... On obtint, sur requête, un jugement pour pouvoir vendre dans les lieux mêmes. On inséra l’annonce de la vente dans les journaux, et Doublon se flatta de pouvoir procéder au recollement et à la vente le 2 septembre.
En ce moment, David Séchard devait, par jugement en règle et par exécutoire levés, bien légalement, à Métivier le somme totale de 5 275 francs 25 centimes non compris les intérêts. Il devait à Petit-Claud 1 200 francs et les honoraires, dont le chiffre était laissé, suivant la noble confiance des cochers qui vous ont conduit rondement à sa générosité. Madame Séchard devait à Petit-Claud environ 350 francs, et des honoraires. Le père Séchard devait ses 434 francs 65 centimes d’honoraires et Petit-Claud lui demandait cent écus d’honoraires.
Ainsi, le tout pouvait aller à 10 000 francs.
À part l’utilité de ces documents pour les nations étrangères qui pourront y voir le jeu de l’artillerie judiciaire en France, il est nécessaire que le législateur, si toutefois le législateur a le temps de lire, connaisse jusqu’où peut aller l’abus de la procédure. Ne devrait-on pas bâcler une petite loi qui, dans certains cas, interdirait aux avoués de surpasser en frais la somme qui fait l’objet du procès ? N’y a-t-il pas quelque chose de ridicule à soumettre une propriété d’un centiare aux formalités qui régissent une terre d’un million ! On comprendra par cet exposé très-sec de toutes les phases par lesquelles passait le débat, la valeur de ces mots : la forme, la justice, les frais ! dont ne se doute pas l’immense majorité des Français. Voilà ce qui s’appelle en argot de Palais mettre le feu dans les affaires d’un homme…
Ainsi, de valeurs appartenant à Séchard fils représentant une somme d’environ 4 000 francs, Cachan et Petit-Claud en avaient fait le prétexte de 7 000 francs de frais sans compter l’avenir dont la fleur promettait d’assez beaux fruits, comme on va le voir... »
Honoré de Balzac
Les Illusions perdues - 1837
Nota : Honoré DE BALZAC a étudié le droit et travaillé chez un avoué parisien entre 1815 et 1820.
Force est de constater que, chaque jour (ou presque), nous subissons l’image dégradée de l’institution judiciaire : justiciables, avocats et magistrats.
Nous pensons :
que les avocats doivent réformer leur exercice, diversifier leurs offres de services, investir la médiation, et devenir de vrais solutionneurs, pragmatiques, efficaces, et pour un tarif adapté à l’enjeu de chaque dossier. Nous engageons une profonde réflexion sur cet axiome, à la source de ce qu’il est convenu d’appeler désormais, l’expérience client.
que la justice doit évidemment (depuis le temps...) se moderniser :
D’une part, certains Magistrats sont malheureusement déconnectés d’une réalité économique dont ils ne sont pas les praticiens. Mais n’est-ce pas, malheureusement, la problématique de toutes les administrations ?
Sauf que le Droit ne devrait jamais être déconnecté de la réalité mais au contraire s’en approcher au plus près. C’est la condition essentielle de l’existence d’un sentiment de Justice.
Pour être magistrat au Québec, fonction d’ailleurs particulièrement prestigieuse, il faut avoir été avocats pendant 10 ans au préalable… non pas que les avocats soient plus brillants évidemment, mais simplement parce qu’ils sont à la fois des praticiens du droit, qu’ils ont un contact directe avec la réalité des dossiers, et qu’ils sont, de surcroît, des entrepreneurs, au sein de cabinets qu’ils administrent désormais comme (presque) n’importe quelle entreprise.
D’autre part, la procédure est essentiellement écrite en droit civil français. Or, on sait que les échanges écrits ne permettent que très imparfaitement de rendre compte de la réalité et du cœur d’une situation. Systématiquement, cette présentation écrite d’un dossier et le débat contradictoire écrit, par l’intermédiaire d’actes de procédure, devrait être complété par un débat oral avec le magistrat en charge de le juger.
Aujourd’hui, concrètement, le demandeur expose son dossier brièvement devant des magistrats souvent pressés d’en terminer (c’est un simple constat et non une critique), puis le défendeur, à son tour, expose ses arguments, sans espoir de reprendre la parole. Si vous avez déjà vécu un procès en tant que demandeur, vous avez nécessairement connu cette immense frustration d’entendre le défendeur développer des arguments plus ou moins exacts, sans pouvoir y rétorquer.
Ce qui permet également à l’avocat, il faut le reconnaître, de pratiquer parfois une certaine mauvaise foi…et surtout de délayer des situations pourtant limpides parfois (la simplicité étant le fruit vertueux de l’effort de synthèse)…
Quant au magistrat, il ne pose, en général, aucune question et est très peu interactif.
De sorte qu’en réalité, il n’existe aucun échanges à l’audience de plaidoirie et que la contradiction, à l’oral, n’est que de façade.
Dans un monde idéal, le magistrat connait l’ensemble du dossier et des pièces avant l’audience.
Et plutôt que de subir des plaidoiries interminables (je comprends sincèrement les magistrats aujourd’hui), le magistrat pourrait ainsi interroger les avocats précisément, concrètement, sur les quelques points saillants du dossier. Un bref débat pourrait ainsi s’engager. Et de cette contradiction vitale et essentielle, de cette confrontation, naîtra la certitude que nous parlons tous de la même chose.
La décision de justice, bonne ou mauvaise, pourra ainsi être le reflet de la réalité de la situation traitée. Et ce sera, un peu mieux, Justice.
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Il faudrait légiférer pour que toute pièce fournie par l’avocat à un magistrat soit paraphée, signée par le citoyen.
Pour une confiance réciproque, ce dernier point est fondamental et valable pour chacune des parties. Aujourd’hui nous avons à faire à des entreprises. Si vous choisissez un avocat, votre dossier a de forte chance d’être sous-traité ( tel a été mon vécu aux trois niveaux, au TGI, en Cour d’appel et en Cour de Cassation !!! ).
Lorsque vous achetez un bien ou un service, vous paraphez et signez les pages du contrat ( acte notarié, dossier bancaire… ). Actuellement le contrat entre l’avocat et le citoyen est limité aux honoraires. Il est donc indispensable que les responsabilités de chacun soit connues et plus visibles, « Je vous fais confiance mais pas pour dire n’importe quoi en mon nom parce que c’est moi qui paye les conséquences de vos écrits et de votre parole. ».
Lorsque vous confiez votre destin à un auxiliaire de justice, vous n’êtes plus maître de votre vie. Aujourd’hui, vous ne validez pas ses écrits et contrôlez encore moins ses paroles. Des dérives incontrôlables naissent pour l’une ou l’autre parties qui s’opposent, voire même pour les deux… Et les audiences n’en finissent pas où l’avocat gagne sa vie et le citoyen la perd, d’un point de vue financier. Seul le citoyen a encore plus à perdre.
Je laisse la conclusion à Maître Berger, reprise de cet article : « de cette confrontation, naîtra la certitude que nous parlons tous de la même chose. La décision de justice, bonne ou mauvaise, pourra ainsi être le reflet de la réalité de la situation traitée. Et ce sera, un peu mieux, Justice. »
La corporation des juristes (juges, avocats, notaires, etc) devrait enfin comprendre qu’elle doit d’abord rendre service au client avant de se rendre service à elle même. Ce principe un peu (et même beaucoup) oublié fait que les délais de la justice sont si longs, que les procédures sont délibérément compliquées, et que les professionnels du droit s’ingénient plus à trouver des sujets de débat qu’à trouver des solutions simples pour mettre d’accord les adversaires.
Il y a un réel besoin d’inventer dans la justice française les mécanismes qui pousseront les professionnels à être efficaces en simplifiant, plutôt qu’à créer des tâches en compliquant.
La rémunération en "success fee" est une voie, le "succès" étant bien entendu défini par le (les) client et non pas par le (les) professionnel. J’entends déjà la clameur qui monte : "les clients ne sont pas compétents !". Auriez vous, chers professionnels, peur d’entendre que votre client souhaite faire simple et vite ?