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Caractérisation de l’originalité : la protection des logiciels en droit d’auteur. Par Clara Grudler.
Parution : mardi 20 mars 2018
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Le Code de la propriété intellectuelle ne fait référence au concept d’originalité qu’à l’article L. 112-4, et ce pour protéger le titre d’une œuvre de l’esprit. Celui-ci est en effet protégé au même titre que l’œuvre elle-même s’il se révèle original. L’article 2.3 de la Convention de Berne fait de cette notion d’originalité un critère essentiel de la protection d’une œuvre par le droit d’auteur.

La numérisation croissante posait le problème de la protection des logiciels par le droit de la propriété littéraire et artistique.
Après quelques décisions rendues par la Haute juridiction en faveur de la protection des logiciels (Ass. plén., 7 mars 1986, Pachot), la directive européenne du 14 mai 1991 et la loi du 10 mai 1994 fixaient le régime applicable au logiciel.

L’alinéa 13 de l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle protège désormais « les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire » (ordinogrammes, dossiers d’analyse, schémas de traitement). Malgré tout, les fonctionnalités du logiciel ainsi que les algorithmes ne sont pas protégés par le droit d’auteur (Paris, 23 janvier 1995).

Une présomption d’originalité est posée au bénéfice des logiciels, c’est-à-dire que l’auteur du logiciel n’a pas en principe à apporter la preuve de l’originalité de son œuvre.

La reconnaissance d’un effort créatif de l’auteur du logiciel permettait de faire évoluer le concept d’originalité vers davantage d’objectivité (I), le domaine d’application de l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle s’étendant considérablement (II).

I) Une notion évolutive.

L’existence d’une condition de forme ainsi que l’exigence d’une originalité sont les conditions traditionnelles de la protection d’une œuvre de l’esprit par le droit de la propriété littéraire et artistique (A). Néanmoins, le développement de nouveaux supports permettait au juge de fixer la notion d’originalité de manière objective (B).

A) Une forme portant le sceau de la personnalité de son auteur.

Traditionnellement, l’originalité est définie comme l’expression juridique du caractère personnel de la création de l’auteur. Ainsi, l’on cherche à discerner le « reflet » (Paris, 1er avril 1957). Il s’agit d’une « forme portant le sceau de la personnalité de l’auteur » (TGI Paris, 9 mars 1970), d’une œuvre portant « la marque de la personnalité de son auteur » (TGI Paris, 15 mars 1986) ou bien « l’empreinte » de cette personnalité (Paris, 21 novembre 1994).

Plus précisément, peuvent être visés les « textes élaborés exprimant une idée ou un sentiment de manière originale » (Paris, 23 mai 1991).

Le principal défaut de cette conception réside dans son caractère subjectif. Le juge ne disposait pas d’éléments suffisamment empiriques servant à la caractérisation de l’originalité d’une œuvre.
En cas de contentieux, la recherche de l’originalité était laissée à la libre appréciation de celui-ci.
Cependant, l’empreinte créatrice dont il est question contribue à l’aspect emblématique du monopole dont jouit l’auteur sur son œuvre. L’objet du droit de la propriété littéraire et artistique consiste à accorder des droits privatifs à des titulaires.

Dès lors, la conception personnaliste de la matière sert de base de la consécration d’un panel de droits extra-patrimoniaux dont la force contribue au caractère exorbitant des prérogatives reconnues à l’auteur.

La notion d’originalité se distingue notamment de la nouveauté (Civ. 1re., 7 novembre 2006) et du savoir-faire. L’originalité ne s’entend pas davantage de l’œuvre originale, de l’identification de l’auteur ou de la distinctivité.
L’originalité appliquée au logiciel forçait le juge à revisiter la définition de l’originalité.

B) La reconnaissance de l’effort créatif de l’auteur de logiciels.

La divulgation de l’œuvre au public implique sa fixation matérielle sur un support. Ce dernier peut être papier, analogique… Ou, comme la numérisation croissante l’impose, numérique.
Cette évolution des modes de fixation des œuvres posait notamment la question de l’originalité des logiciels.

Le logiciel peut être défini comme un programme d’instructions générales ou particulières, adressées à une machine, en vue du traitement d’une information donnée.

Il est reconnu que les logiciels contiennent « environ six cents instructions » et sont « écrits en langage assembleur » (TGI Paris, 21 septembre 1983).

En 1986, l’assemblée plénière de la Haute juridiction rendait sa célèbre jurisprudence Babolat Pachot [1] (Ass. plén., 7 mars 1986, 3 arrêts).

Afin de permettre la protection des logiciels et des bases de données, le juge reconnaissait l’existence d’un « effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante ». L’effort créatif de l’auteur ainsi que la matérialisation de l’œuvre sur un support individualisé consacrent une conception objective de l’originalité, puisque la seule expression de la marque de la personnalité de l’auteur ne suffit plus à établir rigoureusement l’originalité d’une œuvre.

Le juge du fond reprenait la solution apportée par la Cour de cassation en précisant que « l’élaboration d’un programme d’application d’ordinateur est une œuvre de l’esprit originale dans sa composition et son expression allant au-delà d’une simple logique automatique et contraignante ». Les choix effectués par les analystes programmateurs étaient rapprochés de ceux réalisés par les traducteurs au sens de l’article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle.

L’option entre divers modes de présentation et d’expression permet donc d’établir la marque de la personnalité de l’auteur (Paris, 2 novembre 1982).

La loi du 3 juillet 1985 permettait d’élargir le domaine d’application de l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle, relatif aux œuvres susceptibles d’être protégées par le droit de la propriété littéraire et artistique.
La directive européenne du 14 mai 1991 relative aux programmes d’ordinateur maintenait que le programme est une « création propre à son auteur », la conception personnaliste du droit d’auteur sortant renforcée de cette confrontation aux créations informatiques.

II) Extension du champ d’application de l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle.

La jurisprudence rendue par l’assemblée plénière de la Cour de cassation permettait de consacrer une protection juridique des logiciels et des bases de données (A).
Cette protection s’est progressivement étendue à l’ensemble des œuvres numériques (B).

A) Les conséquences de la jurisprudence Babolat Pachot.

Dès 1982, la jurisprudence admettait la protection des logiciels (Trib. corr. Paris, 9 mars 1982).

C’est dans une logique française très protectrice des monopoles du droit d’auteur que la Haute juridiction rendait les arrêts Babolat Pachot.
Dans cette affaire, un comptable salarié avait réalisé un logiciel en-dehors de ses heures de travail tout en l’utilisant dans le cadre de ses fonctions. La Cour de cassation estimait que « le caractère scientifique de programmes informatiques n’est pas un obstacle à leur protection par le droit d’auteur », « la marque de l’apport intellectuel de leur auteur » justifiant l’attribution de la qualité d’auteur du logiciel au salarié.

L’on notera que les dispositions de l’article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle selon lesquelles « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée » ne permettaient pas de régler efficacement ce contentieux au fond.

Une fois la protection du logiciel en tant que tel accordée, se posait la question des éléments protégeables du logiciel.

Ainsi, les programmes sont protégés, dans le sens où le logiciel a pour objet de réaliser des opérations précises. Sont concernés les programmes d’exploitation destinés à assurer le fonctionnement de base du système informatique (TGI Paris, 21 septembre 1983, Apple c/ Segime), ainsi que les logiciels d’application qui remplissent des fonctions spécifiques et permettent de s’acquitter de tâches déterminées (pour l’exemple du traitement de texte ; Trib. comm. Tours, 10 juin 1988).
Les logiciels libres ou open source sont également protégeables, au même titre que les logiciels d’exploitation ou d’application, ainsi que les logiciels résidents ou fournis avec un service.

Le 13° de l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que sont considérés comme œuvres de l’esprit « les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ».
La jurisprudence protège donc habituellement « l’ensemble des travaux de conception aboutissant au développement d’un programme, à condition qu’ils soient de nature à permettre la réalisation d’un programme d’ordinateur ultérieur » (définition du matériel de conception préparatoire par la directive du 14 mai 1991).

Néanmoins, les juridictions françaises comme les institutions communautaires refusent la protection des fonctionnalités du logiciel (Versailles, 9 octobre 2003 ; CJUE, 2 mai 2012, aff. C-406/10), tout comme la protection des algorithmes (Paris, 23 février 1995).
Le juge consacrait au demeurant une protection accrue au titre de diverses œuvres informatiques.

B) L’application aux œuvres numériques.

Le formidable élargissement du champ d’application de l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle permet au juge d’étendre la protection à des œuvres qui, jusqu’à récemment, faisaient l’objet d’une faible réglementation interne et européenne.

La jurisprudence relative à la sélection et à la disposition d’éléments permettait son extension en matière de bases de données (l’exemple d’un numéro SIREN ; CE, 10 juillet 1996, Direct Mail Promotion Cegedim).

Le Conseil d’État indiquait qu’un « ensemble organisé et structuré d’informations relatives à l’identité et à l’activité des entreprises » peut bénéficier de la protection prévue par le droit d’auteur. L’article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle définit la base de données comme « un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou d’une autre manière ».
Les arrêts Microfor [2] servaient de base à la reconnaissance de cette protection (Ass. plén., 30 octobre 1987).

Il n’existe pas de définition légale du multimédia. Trois critères étaient cependant consacrés afin d’accorder une protection à son auteur :
- la multiplicité des formes de contribution (texte, image, son…),
- le traitement audiovisuel de l’accession de l’œuvre au public (par une résolution sur écran ; Civ. 1re., 28 janvier 2003),
- et l’interactivité au moyen d’un logiciel.

Cependant, les juridictions opèrent une distinction entre l’œuvre et le logiciel qui la fait fonctionner (TGI Nanterre, 26 novembre 1997, Vincent).

En matière de jeux vidéos, la protection sur le fondement du droit d’auteur est fortement conditionnée à l’appréciation de leur originalité.
L’assimilation première du jeu vidéo au régime du logiciel (Cass. Crim., 21 juin 2000 ; Civ. 1re., 28 janvier 2003) selon une conception unitaire était réfutée par une jurisprudence qui estime que « chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature » (Civ. 1re., 25 juin 2009).

La protection des sites Internet tient également à la reconnaissance de leur originalité.
Celle-ci résulte de leur arborescence et de leurs pages qui offrent un contenu et une présentation graphiques, et proposent des textes et des liens hypertextes.
La Cour d’appel considère qu’un « site Internet est susceptible de protection par le droit d’auteur si son créateur démontre que sa facture témoigne d’une physionomie caractéristique originale et d’un effort créatif témoignant de la personnalité de son auteur » (CA Rennes, 13 mai 2014).
La présentation d’offres peut contribuer à l’originalité d’un site Internet (Trib. comm. Paris, 9 février 1998, Cybion), tout comme la combinaison de divers éléments (Civ. 1re., 22 mai 2011, Sté Venteprivée.com c/ Sté Club privé).

En principe, l’auteur n’a pas à apporter la preuve de l’originalité de son œuvre. L’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle fixe la liste quasi-exhaustive des œuvres de l’esprit bénéficiant d’une présomption d’originalité.

Cependant, la diversification des supports et de la nature des œuvres obligeait le juge à revoir sa conception subjective de l’originalité. L’exigence traditionnelle de l’expression de la marque de la personnalité de l’auteur trouvait sa limite dans l’appréciation de l’originalité des œuvres numériques, et plus particulièrement des logiciels. La reconnaissance d’un « apport intellectuel propre à son auteur », d’un « effort créatif » de l’auteur par la Cour de cassation constitue une nouvelle approche plus objective de l’originalité.

Depuis la loi du 3 juillet 1985, l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle comprend les logiciels au titre des œuvres susceptibles de protection par le droit d’auteur. L’intervention de la loi du 10 mai 1994 visait la transposition de la directive européenne du 14 mai 1991 destinée à promouvoir la normalisation internationale en matière de logiciels.

La modification du régime du logiciel permet d’élargir le champ d’application de la protection accordée à diverses créations numériques, notamment les bases de données, le multimédia, les jeux vidéos et les sites Internet.

Clara Grudler

[1https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007016934 (Ass. plén., 7 mars 1986, n°83-10477, Babolat Pachot).

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