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Grèves à la SNCF : l’impossible service minimum. Par Pierrick Gardien, Avocat.
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Parution : mercredi 18 avril 2018
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« Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit ! » disait le Président Sarkozy le 5 juillet 2008. Force est toutefois de constater que la grève qui touche actuellement la SNCF n’est pas passée inaperçue pour les Français. En 2008, le chef de l’État faisait alors référence à sa loi du 21 août 2007, présentée comme ayant pour seul objet d’instaurer un service minimum dans les transports publics. Plus de dix ans après, pourquoi ce service minimum n’est-il toujours pas applicable à la SNCF ?
S’il est souvent très conflictuel, le secteur des transports publics est surtout le point de convergence de toute la société civile. Quelle que soit la légitimité du conflit social, une grève des transports publics entraîne donc mécaniquement des répercussions multiples.
Pour remédier à ces difficultés importantes, la question d’un service minimum dans les transports publics revient de manière récurrente dans le débat public. Cette question est épineuse, en tant qu’elle vise à concilier deux principes constitutionnels de prime abord inconciliables : le droit de grève et la continuité du service public.
Bien que le fonctionnement régulier des services publics soit une condition sine qua non de celui du marché intérieur, on relèvera d’abord l’absence de réglementation communautaire d’ensemble en matière de service minimum : la mise en place de telles règles relève donc intégralement de l’initiative individuelle de chaque État membre en application du principe de subsidiarité.
S’il n’existe aucune législation globale sur le service minimum en France, on trouve cependant des textes qui le prévoient ponctuellement dans certains secteurs :
Tel qu’il a été rappelé, dans le domaine des transports publics, c’est une loi du 21 août 2007 aujourd’hui codifiée dans le Code des transports qui a été présentée comme instaurant un service minimum obligatoire. Plus de dix ans après son entrée en vigueur, il nous est toutefois possible d’affirmer avec le recul qu’il n’en est rien.
En effet, la loi permet à l’autorité organisatrice de transport (la personne publique) alertée d’un mouvement de grève à venir de définir des dessertes prioritaires (grands axes de circulation transportant un maximum de voyageurs quotidiennement) et de fixer en conséquence, en fonction de la perturbation prévisible, un niveau minimal de service public à assurer.
Sur cette base, l’entreprise de transport (exploitant le réseau) doit être le siège de négociations entre l’employeur et les organisations syndicales représentatives en vue de la conclusion d’un « accord collectif de prévisibilité du service » applicable en cas de perturbation prévisible du trafic ou de grève (A. L1222-7 du Code des transports). C’est cet accord qui doit tendre à la mise en œuvre du service minimum.
Enfin, la loi se contente d’imposer sous peine de sanction disciplinaire aux agents indispensables pour l’exécution du service public d’informer leur chef de service de leur intention de participer à une grève au plus tard 48 heures avant leur participation effective à celle-ci (A. L1324-7 du Code des transports).
Toutefois, la loi du 21 août 2007 trouve sa limite dans le fait que le législateur n’a pas fait le choix de permettre la réquisition de personnels lors d’une grève. Par conséquent, en l’état de la législation applicable, le service minimum se limite à l’affectation de « personnels disponibles » (c’est-à-dire non-grévistes) sur les dessertes prioritaires définies par la personne publique.
L’effectivité du service minimum est donc à ce jour liée à l’ampleur du mouvement social, ce qui est antinomique avec l’idée même de « service minimum » : face à une grève générale ou un conflit social de très grande ampleur, le service minimum ne pourra donc jamais être assuré faute de « personnels disponibles », et sans possibilité de réquisitionner du personnel supplémentaire.
Le droit de réquisition paraît pourtant constitutionnel, le Conseil constitutionnel ayant rappelé qu’il appartient au législateur d’apporter au droit de grève les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public, et que « ces limitations peuvent aller jusqu’à l’interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays » (Décision n° 87-230 DC du 28 juillet 1987).
À titre de comparaison, d’autres pays ont fait le choix du pouvoir de réquisition des agents pour s’assurer de l’effectivité du service minimum :
Mais en France, le seul pouvoir de réquisition existant est celui du Préfet qui dispose du droit de requérir, en urgence, toute personne nécessaire au fonctionnement d’un service dans l’hypothèse d’une atteinte grave à l’ordre public (A. L2215-1 du CGCT). Comme le rappelle Libération, ce pouvoir n’a toutefois jamais été mis en œuvre à la SNCF depuis l’après-guerre.
La loi du 21 août 2007 pourrait donc être modifiée pour inclure un pouvoir de réquisition du chef de service sur ses agents. C’est la seule solution pour garantir un vrai service minimum, dans l’intérêt des usagers.
On notera toutefois que les grèves illégales (conducteurs débrayant sans préavis), l’exercice du droit de retrait par les salariés ou encore les « grèves-flash » (impromptues et de moins d’une heure) constituent autant de facteurs qui, seuls ou combinés, peuvent faire disparaître, en pratique, l’idée même de service minimum.
L’honnêteté commande donc d’avertir les usagers de la SNCF : un service minimum stricto sensu est utopique dans le domaine des transports car l’emprise nous manque sur la plupart des facteurs entravant le trafic.
Présentée comme sociale, la grève reste avant tout un conflit dont les usagers sont toujours les victimes.
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