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Autorité de chose jugée et déclaration de saisine. Par Romain Laffly, Avocat.
Parution : mercredi 4 juillet 2018
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L’ordonnance du conseiller de la mise en état statuant sur la recevabilité de la déclaration de saisine sur renvoi de cassation n’est pas revêtue de l’autorité de la chose jugée, de sorte que l’absence de déféré de cette ordonnance n’interdit pas à une partie de reprendre le moyen dans ses conclusions au fond [1]

À la suite d’une cassation partielle d’un arrêt de la Cour d’appel de Douai, une affaire est renvoyée devant la cour d’appel d’Amiens et le saisissant adresse alors un courrier au greffe de demande « de réinscription au rôle de l’affaire ».

La partie adverse saisit le conseiller de la mise en état d’une irrecevabilité du recours en ce qu’il ne constituait pas une déclaration de saisine au sens des articles 1032 et suivants du code de procédure civile et qu’il n’avait pas non plus été régularisé par voie électronique. Le conseiller de la mise en état écarte la fin de non-recevoir en visant l’intention de la partie saisissante de former manifestement une déclaration de saisine, le courrier répondant aux formes d’une déclaration de saisine, tout en estimant que l’obligation de saisir la cour d’appel sur renvoi de cassation n’imposait pas, au regard des articles 1032 et suivants, le recours à la voie électronique au contraire des articles 931 et suivants du code de procédure civile.

Bien sûr, l’ordonnance apparaissait à plusieurs égards critiquables, mais l’avocat de l’intimé demandeur à l’incident, alors que l’ordonnance déclarait pourtant recevable la déclaration de saisine, décida non pas de former un déféré contre cette ordonnance mais de reprendre le moyen dans ses conclusions au fond.

La stratégie était bien sûr la bonne puisque l’article 916 du code de procédure civile précise que les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d’aucun recours indépendamment de l’arrêt sur le fond, sauf lorsqu’elles ont pour effet de mettre fin à l’instance, lorsqu’elles constatent son extinction ou lorsqu’elles ont trait à des mesures provisoires en matière de divorce ou de séparation de corps, ou encore lorsqu’elles statuent sur une exception de procédure, sur un incident mettant fin à l’instance, sur la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel ou la caducité de celui-ci ou sur l’irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909, 910, et désormais 930-1 depuis l’entrée en vigueur du décret n°2017-891 du 6 mai 2017.

La question de l’application de l’article 930-1 aux déclarations de saisine aurait à la rigueur pu être discutée sur déféré si le texte modifié de l’article 916 avait été applicable, mais dès lors que l’ordonnance ne mettait pas fin à l’instance, ne statuait pas sur la recevabilité d’un appel ou sa caducité, le déféré n’était pas recevable.

La Cour d’appel d’Amiens ne l’entendit pas ainsi et estima, selon l’arrêt du 8 décembre 2016, que, dès lors que l’examen de la recevabilité de la déclaration de saisine constituait le prolongement naturel de la compétence afférente à la recevabilité de l’appel, l’article 916 devait donc être appliqué, de sorte qu’en ne déférant pas l’ordonnance dans les quinze jours de son prononcé, l’intimé ne pouvait reprendre ce moyen dans ses conclusions au fond.

La deuxième chambre civile casse logiquement l’arrêt en relevant, au visa des articles 775, 914 et 916, ensemble l’article 907 du code de procédure civile « Qu’en statuant ainsi, alors que l’ordonnance du conseiller de la mise en état statuant sur la recevabilité de la déclaration de saisine après renvoi de cassation n’était pas revêtue de l’autorité de la chose jugée, de sorte que l’absence de déféré de cette ordonnance n’interdisait pas à la partie défenderesse de soulever devant la cour d’appel le moyen pris de l’irrecevabilité de la déclaration de saisine sur renvoi de cassation, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Paris, qui sera donc la troisième cour à se prononcer sur le litige, ce qui apparaîtra bien trop long pour les parties mais ce qui aura au moins le mérite de rappeler certaines règles applicables à l’autorité de la chose jugée qui s’attache aux ordonnances du conseiller de la mise en état. Dans sa rédaction issue du décret du 6 mai 2017, l’article 914 confère, in fine, l’autorité de la chose jugée au principal aux ordonnances du conseiller de la mise en état lorsqu’elles statuent sur la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel, sur la caducité de celui-ci ou sur l’irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909, 910, et 930-1.

Dans ce périmètre, si l’une des parties entend remettre en cause l’ordonnance, qu’elle fasse ou non droit aux prétentions du demandeur à l’incident, elle doit impérativement exercer un déféré. Dans le cas contraire, la cour d’appel statuant au fond ne pourra statuer sur le moyen qui lui serait à nouveau présenté.

Bien plus, la cour de cassation a pu rappeler par un arrêt publié au Bulletin qu’une cour d’appel ne pouvait pas même relever d’office une fin de non-recevoir d’ordre public (en l’espèce la tardiveté de l’appel) si le conseiller de la mise en état avait précédemment jugé l’appel recevable sans qu’aucun déféré ne soit exercé [2].

Dès lors aussi que des conclusions soulevant une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l’appel ont été notifiées antérieurement au dessaisissement du conseiller de la mise en état, une cour d’appel ne peut statuer sur ce moyen et juger l’appel irrecevable [3]. Ce n’est que dans l’hypothèse où le conseiller de la mise en état n’a pas été préalablement saisi que cette fin de non-recevoir d’ordre public doit être relevée d’office par la cour statuant au fond [4]. Mais dans le cas contraire, l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance du conseiller de la mise en état prévaut sur le caractère d’ordre public du moyen.

C’est dire l’importance de l’autorité de la chose jugée attachée aux ordonnances du conseiller de la mise en état qu’il s’agisse d’un moyen d’ordre privé comme d’ordre public et de la nécessité, le cas échéant, d’exercer un déféré dans les conditions fixées par l’article 916 du code de procédure civile.

Cependant, en ne conférant pas l’autorité de la chose jugée à l’ordonnance du conseiller de la mise en état statuant sur la recevabilité d’une déclaration de saisine, la Cour de cassation ne remet pas en cause le rôle essentiel de ce magistrat spécialisé mais rappelle ni plus ni moins qu’il convient de se conformer à la lettre du texte, sans possibilité de convoquer une interprétation extensive des dispositions légales, une compétence naturelle ou un « prolongement naturel » de compétence comme l’avait estimé la cour d’appel d’Amiens. Or, le déféré d’une ordonnance statuant sur la recevabilité d’une déclaration de saisine n’est pas visé par l’article 916, et il est donc logique qu’il ne puisse être exercé, ce qui autorise donc les parties à reprendre le moyen au fond.

Mais alors pour quelle raison le législateur n’a pas prévu que le déféré puisse être exercé en pareille hypothèse alors que le conseiller de la mise en état avait pu statuer sur le moyen d’irrecevabilité de la déclaration de saisine ? C’est peut-être parce que le conseiller de la mise en état n’était tout simplement pas compétent ! En effet, si l’on en revient à lettre même de l’article 914, la compétence du conseiller de la mise en état n’est pas du tout certaine. L’examen de la recevabilité de l’appel n’est pas celui de la recevabilité d’une déclaration de saisine. Ni l’article 771 qui fait de lui le juge de l’exception de procédure ou de l’incident mettant fin à l’instance, ni donc l’article 914 ne donnent un pouvoir juridictionnel au conseiller de la mise en état pour statuer sur la recevabilité d’une déclaration de saisine, la question de la recevabilité ou de la caducité de l’appel ayant été par définition déjà tranchée en cas de renvoi de cassation. La seule ouverture pourrait être l’ajout du décret du 6 mai 2017 et la compétence nouvelle de « déclarer les actes de procédure irrecevables en application de l’article 930-1 ».

Enfin, au-delà même de la compétence du conseiller du conseiller de la mise en état, le débat devant la cour d’appel de Paris risque encore d’être nourri puisque l’on sait que les irrégularités des mentions de la déclaration de saisine qui affectent le contenu de l’acte, et non le mode de saisine, ne peuvent entraîner l’irrecevabilité du recours mais que si la déclaration de saisine est jugée.

Article paru initialement sur Dalloz Actualité

Romain Laffly associé chez Lexavoue Lyon

[1Civ. 2e, 12 avr. 2018, F-P+B, n° 17-14.576.

[2Civ. 2e, 3 sept. 2015, n° 13-27.060, Dalloz actualité, 22 sept. 2015, obs. R. Laffly ; D. 2016. 449, obs. N. Fricero ; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati

[3Civ. 2e, 20 avr. 2017, n° 16-12.605, Dalloz actualité, 22 mai 2017 obs. R. Laffly

[4Civ. 2 e, 5 juin 2014, n° 13-19.920, Dalloz actualité, 25 juin 2014, obs. M. Kebir ; D. 2014. 1722, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis et N. Palle

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