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Egalité entre les sexes et approche du genre au Maroc. Par Ahmed Benamier.
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Parution : mardi 31 juillet 2018
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La question de l’équité et de l’égalité entre les sexes est d’abord un enjeu de reconnaissance et de respect de la dignité de la personne humaine. Au Maroc comme dans le reste du monde, l’interaction entre les transformations socioculturelles et les réformes politiques est entrain de sortir cette question, progressivement, du terrain des préjugés vers celui du droit. En effet, l’égalité ne signifie pas que les femmes et les hommes deviennent identiques, mais que les droits des femmes et des hommes, leurs responsabilités et leurs opportunités ne doivent pas dépendre de leur appartenance à un sexe ou un autre.
De nouvelles approches, y compris sémantiques, notamment celle qui se réfère au genre, se développent, appuyées par l’Organisation des Nations Unies, et visent à améliorer la compréhension des motifs et des manifestations de discriminations, et à renforcer l’action en faveur de l’égalité.
Le Maroc a lancé plusieurs chantiers de réformes au cours des dernières décennies visant l’ancrage des principes de l’égalité entre les sexes au sein de son système législatif et juridique et ses programmes de développement. La politique poursuivie par le Maroc converge vers l’adoption de réformes politiques, sociales et économiques visant l’instauration du principe de l’égalité et de l’équité et à en faire une réalité pratique et efficace.
Cependant, si le mot « sexe » se réfère aux caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes, celui « genre » sert à évoquer les rôles, les comportements, les activités et les attributs qu’une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes. Cette nouvelle notion de genre, issue de l’anglais gender, qui trouve un usage croissant dans les disciplines de sciences sociales, permet de dégager deux grandes idées d’usage de ce terme :
D’un coté, le genre doit être compris comme un attribut, une caractéristique ou encore une identité des personnes. Ce sont les personnes qui sont masculines, féminines, mixtes, transgenre, etc.
D’un autre coté, le genre n’est pas un attribut identitaire des personnes mais une modalité des relations sociales. Ce qui a un genre, autrement dit, ce ne sont pas les personnes elles-mêmes, mais les actions et les relations que ces personnes mettent en œuvre. Ainsi, la notion de genre fait référence à un statut résultant d’une construction sociale et se distingue de la notion de sexe en tant que simple donnée biologique. De ce fait certains groupes sociaux ne bénéficient pas objectivement des mêmes chances que les autres, malgré l’égalité de droit dont ils jouissent en principe. C’est le cas des minorités culturelles, des femmes, des handicapés, des enfants, des personnes transgenres (etc...) qui font l’objet d’une discrimination injustifiée.
En effet, constitue une discrimination, toute distinction opérée entre les personnes physiques ou entre les personnes morales sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur situation économique, de leur état de santé, de leur handicap, de leur identité de genre, de leurs opinions politiques, une prétendue race ou une religion déterminée etc... La discrimination peut être directe c’est à dire patente, ou indirecte, elle est repérée par les effets, non par les causes.
En effet, pour remédier à de telle situation et rétablir un équilibre des chances, les États engagent des politiques de lutte contre les discriminations qui empruntent plusieurs chemins : d’abord, du point de vue du droit, Il s’agit de protéger les individus en sanctionnant la discrimination. Ensuite, des politiques de rééquilibrage, appelées discrimination positive, qui visent à rééquilibrer les chances entre les groupes. Celle-ci est le fait de favoriser certains groupes de personnes victimes de discrimination systématiques de façon temporaire, en vue de rétablir l’égalité des chances. Cette égalité se trouve consolider par la mise en place d’une budgétisation sensible au genre (BSG) qui a pour objectifs, notamment, de :
rendre les politiques publiques et les pratiques budgétaires transparentes et efficaces afin de réduire les multiples dimensions de la pauvreté et les inégalités différenciées selon le genre.
institutionnaliser la dimension genre dans les pratiques de gestion des ressources humaines, de renforcement de capacités, de gestion des connaissances et de communication institutionnelle.
Ainsi, la BSG vise à assurer l’équité du genre et à améliorer l’efficacité et la cohérence des politiques publiques à travers une meilleure allocation des ressources budgétaires, elle n’implique pas l’élaboration des budgets séparés pour les hommes et pour les femmes ou une augmentation des dépenses pour les programmes destinés uniquement au profit des femmes.
Cependant, les efforts déployés pour atteindre la situation d’égalité peuvent être appréhendés à plusieurs niveaux :
Au niveau international : la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948) proclame que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits, et que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés qui y sont énoncés, sans distinction aucune, notamment de sexe.
Cette Déclaration et ses deux Pactes associés (1966), qui constituent la Charte Universelle des Droits de l’Homme, affirment aussi que les États ont l’obligation d’assurer l’égalité des droits de l’homme et de la femme dans l’exercice de tous les droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques.
Au niveau national : le Maroc a ratifié huit des neuf principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, dont le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF). Le Maroc est signataire d’autres déclarations et conventions relatives à la lutte contre la pauvreté, l’élimination de toutes formes de discrimination en matière d’accès à l’emploi, à la formation professionnelle, de rémunération etc...
L’article 19 de la Constitution marocaine de 2011 consacre le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes dans l’exercice de tous les droits de l’homme. Il dispose que ‘‘l’État œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes et met en place une autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination afin de favoriser des progrès dans ces domaines’’.
Il convient de rappeler que la Constitution stipule que le respect des droits fondamentaux de la personne humaine, y compris l’égalité, tels qu’ils sont définis par les normes de l’ONU, s’imposent non seulement à l’Etat, mais aussi à l’ensemble des organes de la société, qu’il s’agisse de personnes physiques, d’entreprises, publiques ou privées, de collectivités territoriales, de partis politiques, d’associations professionnelles ou syndicales ou de toute autre organisation.
Ainsi, la budgétisation sensible au genre lancée en 2002 au Maroc a passé par une phase préliminaire (2001-2002) marquée par une réforme budgétaire axée sur les résultats, puis une deuxième phase visant la sensibilisation et le renforcement des capacités (2003-2004). Ensuite une troisième phase caractérisée par l’élaboration d’outils méthodologiques (2005-2006, guide pratique sur la réforme budgétaire axée sur les résultats). Enfin, la dernière phase où on va assister à l’enrichissement du système d’information national par des données sensibles au genre (depuis 2007 : guide des statistiques sensibles au genre).
Au niveau local : La participation des citoyens à la gestion des affaires publiques locales, en tant que droit fondamental de la citoyenneté, constitue une composantes de la bonne gouvernance, l’intégration du genre en est également une option incontournable. C’est dans ce sens que serait créée La Commission de parité et d’égalité des chances, (CPEC) en 2009 suite aux amendements portées par la loi 17-08 aux dispositions initiales de la charte communale ( loi 78-00), en tant qu’organe consultatif de la commune, chargé de développer, entre autres, les aspects liés à la participation des citoyens, et le respect de l’approche genre.
Cependant, la participation des citoyens va se renforcer, dans le souci de concrétiser la démocratie locale et la gouvernance territoriale, par le législateur marocain qui a consacré des innovations importantes dans le domaine de décentralisation territoriale. Ainsi, l’article 139 de la Constitution prévoit l’adoption des mécanismes participatifs de dialogue et de concertation que doivent mettre en place les collectivités territoriales pour favoriser l’implication des citoyens et des associations dans l’élaboration et le suivi des programmes de développement.
Dans ce sens, les conseils des collectivités territoriales seront amenés à mettre en place des mécanismes participatifs locaux pour le dialogue et la concertation avec les citoyens, dans le cadre d’instances consultatives, dont la dénomination et le fonctionnement sont arrêtés dans les règlements intérieurs de ces conseils. Parmi ces instances, celle de l’équité, l’égalité des chances et l’approche genre au sein des régions, des préfectures ou provinces et des communes, prévue aux lois organiques correspondantes.
En effet, cette volonté trouve ses assises dans le mouvement qu’a connu le Maroc au cours des dernières années visant de faire de la démocratie participative un fondement essentiel du système de gouvernance du pays. La constitution de 2011 a consacré le principe de l’approche genre et l’a encadré par un ensemble de mécanismes et d’instances à même de le rendre effectif. Ainsi il est stipulé dans le 1er article de la constitution « Le régime constitutionnel du Royaume est fondé sur la séparation, l’équilibre et la collaboration des pouvoirs, ainsi que sur la démocratie citoyenne et participative, et les principes de bonne gouvernance et de la corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes."
Le Constituant a veillé, notamment dans les Articles 136 et 139, à instaurer un cadre juridique à même de mieux cerner les aspects procéduraux et institutionnels de la participation citoyenne.
L’article 136 de la Constitution à son tour traite de la nécessité de favoriser les conditions de la contribution citoyenne au développement humain et stipule que ‘‘L’organisation territoriale du Royaume repose sur les principes de libre administration, de coopération et de solidarité. Elle assure la participation des populations concernées à la gestion de leurs affaires et favorise leur contribution au développement humain intégré et durable’’.
L’article 139 mentionne que ‘‘des mécanismes participatifs de dialogue et déconcentration sont mis en place par les Conseils des régions et les Conseils des autres collectivités territoriales pour favoriser l’implication des citoyennes et des citoyens, et des associations dans l’élaboration et le suivi des programmes de développement (...)’’.
Ces dispositions constitutionnelles se trouvent décliner par ailleurs dans les lois organiques en rapport avec les collectivités territoriales de différents niveaux régions, préfectures, provinces et communes.
Ainsi, les lois organiques 111.14 relative aux régions dans son article 117, 112.14 relative aux préfectures et provinces dans ses articles 111 et 119 et 113.14 relative aux communes dans son article 120 définissent les vocations des institutions territoriales devant fonctionner en mode participatif.
Il s’agit, en effet, de l’instance commune entre les trois conseils territoriaux à savoir l’instance de l’équité de l’égalité des chances et de l’approche genre (IEECAG).
Cette tendance des dirigeants marocains, traduit la volonté politique favorable au changement et au renforcement des valeurs égalitaires concrétisées à travers plusieurs initiatives et acquis dont :
L’Engagement du Maroc sur le plan international (adhésion aux instruments onusiens relatifs aux droits humains).
Réformes réglementaires : L’avènement du nouveau Code de la famille, les évolutions enregistrées dans le Code de travail, le Code pénal, la réforme du Code de la nationalité, la levée de certaines réserves sur la « CEDAW », en plus des avancées réalisées dans les domaines économiques et politiques, constituant autant d’événements qui traduisent la volonté politique du Maroc de lancer le défi pour l’atteinte de l’équité et l’égalité entre les sexes.
Adoption des politiques publiques genrées et mécanismes sensibles au genre.
L’amélioration qualitative de la relation entre les citoyens et les institutions étatiques en renforçant l’efficacité et l’efficience des politiques publiques visant à impliquer les citoyens dans la prise de décisions, notamment au niveau de la politique de la décentralisation. Il s’agit ainsi entre autres de :
La stratégie nationale de promotion de la femme de 1997 portant sur les axes stratégiques suivants : protection juridique, éducation et formation, soins médicaux, intégration de la femme dans l’activité économique, la prise de décision et les médias.
Budgétisation Sensible au Genre (BSG) à partir de 2002, pilotée par le Ministère des Finances et de la Privatisation, la BSG est lancée en 2003 ayant pour objectif de rendre les politiques publiques et les pratiques budgétaires sensibles au genre.
Plan d’Action Stratégique pour l’Institutionnalisation de l’égalité entre les sexes dans le système éducatif.
Plan du Gouvernement pour l’Égalité (PGE) 2012-2016 visant intégrer les droits des femmes dans les politiques publiques et les programmes de développement. Piloté par le Ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement Social.
Projet d’appui à l’émancipation socio-économique des femmes rurales du Maroc 2012-2015 par le Département de l’agriculture.
Conclusion.
Selon la majorité des chercheurs en matière des sciences sociales ou de droit public, les questions d’équité et d’égalité entre les sexes sont devenues un enjeu de développement. Par ailleurs des femmes œuvrant au sein des organisations multilatérales et bilatérales et dans les organisations de promotion de droit des femmes ainsi que les femmes chercheuses et universitaires ont constaté une contradiction entre la Déclaration des Droits Humains et la pratique de discriminations d’ordre juridique, civique et politique envers les femmes.
De plus, les mesures de développement envers les femmes, les ont cantonnées dans leur rôle de mère et de gestionnaire du ménage et des besoins pratiques émanant de ces même rôles et obligations sociales notamment dans les domaines de la nutrition, de l’économie familiale et de la santé reproductive.
Ce paradigme de développement ne remettait pas en question le rôle traditionnel assigné aux femmes surtout dans la sphère privée (le niveau micro), alors que le développement relève plutôt de la sphère publique et des champs économique, politique et social (niveaux méso et macro). A cet égard, le gouvernement marocain est invité à prendre acte de la nécessité de tenir compte de cette situation dans la formulation des politiques et des programmes de développement.
En effet, la notion des chances peut-elle être un moyen destiné à réduire les inégalités économiques et sociales ? Peut-elle fonder en droit des traitements correctifs de ces inégalités et notamment des politiques de discrimination positive ? N’est-elle pas aussi un moyen d’introduire dans les systèmes politiques et juridiques une nouvelle grille de lecture de l’égalité s’inspirant d’un " principe de différence " dont les tenants et les aboutissants demeurent incertains ? Aussi généreux et sensible que paraît le concept d’égalité des chances, sa traduction dans les discours juridiques ne devrait-elle pas, en tout état de cause, demeurer mesurée et son application limitée à certains champs, dans certains terrains soigneusement balisés ? La réponse à ses questions fera l’objet de notre prochain article.
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