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Réflexions sur le Groupe TVA. Par Andy Chung, Étudiant.
Parution : lundi 31 décembre 2018
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2018 aura été riche en réformes fiscales : mise en place du prélèvement forfaitaire unique dit « flat tax » sur les revenus des placements financiers, remplacement de l’ISF par l’impôt sur la fortune immobilière, dégrèvement de la taxe d’habitation pour une majeure partie des ménages, baisse de l’impôt sur les sociétés...
De nombreux secteurs ont reçu la grâce fiscale. Toutefois, au moins deux secteurs sont restés dans l’expectative de voir leur sort s’améliorer : les banques et les assurances.

Pour rappel, en été 2017, les secteurs bancaires et assurantiels notamment, se sont trouvés subitement privés d’un instrument qui leur permettait de maîtriser la charge de la TVA par une série de décisions rendues par la Cour de Justice de l’Union Européenne [1].

En effet, la CJUE a remis en cause le régime de l’article 132 1.f de la Directive 2006/112/EC transposée en droit français à l’article 261 B du CGI concernant les personnes exonérées de TVA qui créent entre elles des groupements prenant en charge certains services communs. Si les conditions étaient réunies, la disposition avait pour vertu d’exonérer les services rendus par ces groupements à leurs adhérents.
Tel est le cas des services rendus par des sociétés civiles de moyens créées entre médecins (secrétariat, locaux communs...) ou encore des services rendus par les GIE au profit de leurs adhérents : les banques et les assurances y avaient largement recours (exploitation d’un service IT, un service comptabilité, impression de chéquiers...).

Quatre affaires (deux recours en manquement et deux questions préjudicielles) ont été portées devant la CJUE lui donnant l’occasion de clarifier l’interprétation qu’il convient de faire de cet article et notamment de préciser le champ d’application de l’exonération de TVA.

La CJUE a considéré que la directive n’a pas une portée générale, son champ d’application ne comprend qu’exclusivement les groupements dont les membres exercent une activité d’intérêt général.

Dès lors, la Cour de justice de l’Union européenne a plongé dans l’angoisse les directeurs fiscaux des banques et des assurances. En effet, ils appliquaient une exonération là où il n’y en avait pas.

Il a donc été question pour l’État français depuis le 21 septembre 2017 de réfléchir à des mécanismes prophylactiques permettant de faire l’économie de la taxe sur la valeur ajoutée des opérations de partage de coûts.

Il reste qu’à ce jour, rien de nouveau sous le soleil : aucune réponse n’a été apportée.

Pourtant, la doctrine est unanime. Les auteurs concluent de ce qui précède qu’il y a une nécessité d’agir en mettant en place le régime du groupe TVA (VAT grouping) lequel apparaît à ce jour la solution la plus crédible pour éviter les pertes financières engendrées par la disparition de l’exonération.
En quoi consiste-t-il ? Son instauration est-elle envisageable ? Rien n’est moins sûr : l’option n’a jamais eu les faveurs de l’État français. Néanmoins les cartes ont été redistribuées avec les décisions de la CJUE de 2017.

I. Les avantages.

La solution pressentie était celle de mettre en œuvre un groupe TVA (« unité fiscale » au sens de l’article 11 de la directive TVA européenne, qui est une option laissée aux États membres) dont il est prévu que « chaque État membre peut considérer comme un seul assujetti les personnes établies sur le territoire de ce même État membre qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation ».

Le principal intérêt du régime du groupe TVA réside dans le fait que les personnes établies à l’intérieur du pays et étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et organisationnel peuvent opter pour être considérées comme un assujetti unique : le groupe TVA.

Ainsi les opérations effectuées entre membres du groupe TVA sont assimilées à des opérations réalisées au sein d’un même assujetti.

Dans la mesure où ces opérations dites internes sont hors du champ d’application de la TVA, elles ne sont de facto pas soumises à celle-ci. En d’autres termes, si les conditions sont réunies, la TVA serait « neutralisée » en matière de transactions intra-groupes.
Ceci représente un avantage indéniable pour les assujettis qui ne peuvent pas ou partiellement déduire la TVA en amont supportée sur les coûts. C’est le cas des banques, des compagnies d’assurance et des fonds d’investissement, mais pas uniquement : le modèle reste « vivace » car il donne la possibilité aux assujettis agissant en tant que tel de ne pas devoir pré-financer le coût de la TVA dans les opérations au sein du groupe.

Il est à cet égard relevé que le régime de groupe TVA est actuellement mis en œuvre dans plus de la moitié des États membres de l’Union européenne sous des modalités très différentes, aux termes desquelles la Suède, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Irlande, les Pays-Bas, le Danemark, notamment, font usage de la faculté offerte par l’article 11 de la directive TVA.

Plus récemment et en réaction aux décisions de la CJUE, le Parlement luxembourgeois a voté l’instauration du régime du groupe TVA le 26 juillet 2018.

A l’instar du Grand Duché, le régime du groupe TVA sera opérationnel en Italie à compter du 1er janvier 2019.

L’immobilisme français place indubitablement les opérateurs nationaux dans une situation défavorable par rapport à leurs concurrents établis dans d’autres États dans lesquels le groupe TVA est possible.

Toutefois, le VAT Grouping est loin d’être un jeu à somme positive.
Si l’Etat français semble porter un regard méfiant à son égard, le régime ne conquiert pas davantage la conviction de toutes les banques et assurances.

II. Les objections.

Le groupe TVA n’est pas une panacée, il souffre de points négatifs de taille qui peuvent dissuader son introduction. S’agissant d’une disposition facultative que les États membres sont libres d’introduire ou non dans leur législation interne. Pour sa part, la France s’y est toujours fermement opposée.

D’abord, des pratiques abusives sont prévisibles dès lors que le régime permet la détaxation des opérations rendues entre entités : des entreprises spécialement constituées à cet effet pourraient être tentées d’y recourir, pour s’approvisionner en biens et services non appesantis d’une taxe et ainsi donc, porter atteinte au principe de neutralité concurrentielle de la TVA.

Ensuite, notons aussi que le régime de consolidation récemment mis en place est un premier pas vers le régime du groupe TVA. Pourtant, à ce jour, il ne constitue pas un franc succès. L’administration française a toujours refusé de mettre en place ce régime, qui représente pour elle une source potentielle de beaucoup d’abus puisque l’on se rapprocherait d’un régime d’intégration fiscale telle qu’on le connaît pour l’impôt sur les sociétés.

Enfin, il apparaît que l’importante gestion administrative qu’il engendre pour les sociétés mais également la crainte des contrôles et des remises en cause du régime sont à l’origine de cette réticence à adhérer.

En outre, plusieurs institutions se permettent de relever que, malgré les effets louables du groupe TVA, plusieurs banques/assureurs ne pourront pas ou ne voudront pas rentrer dans ce mécanisme en raison d’une organisation interne particulière et des règles de localisation de leurs opérations qui leur ferait payer au final plus de TVA que s’ils n’avaient pas recours au groupe. 

En effet, la CJUE a-t-elle infléchit le principe d’unité de l’assujetti constitué par un siège et sa succursale avec l’affaire Skandia [2]. Pour mémoire, les prestations de services rendues entre un siège et sa/ses succursales sont par principe hors du champ d’application de la TVA.

L’affaire Skandia est venue apporter une exception au principe en présence d’un groupe TVA. La Cour a jugé dans cette affaire que la fourniture de services par un head office établit dans un Etat tiers à sa succursale sise dans un pays membre de l’Union Européenne constitue une opération imposable dans le cas où cette dernière est membre d’un groupe TVA, lequel sera considéré comme le preneur des services.
Il résulte que dans ce cas de figure, la fourniture de services par la société à sa succursale constitue donc une opération imposable.

Pour autant, la solution retenue par l’arrêt dans cette situation peut-elle être étendue, dans le cadre des relations siège-succursale, à d’autres hypothèses faisant intervenir un groupement TVA ? Peut-on par exemple transposer la solution dans l’hypothèse inverse : lorsqu’un siège, membre d’un groupe TVA, établit dans un pays membre de l’Union Européenne rend un service à sa succursale sise à l’étranger ?
On notera que la portée de cette décision est incertaine.

Il appartient aux États membres et, le cas échéant, à la Cour de justice de préciser la portée exacte de cette décision.

C’est la raison pour laquelle certaines banques connues de la place luxembourgeoise ont à ce titre refusé d’opter pour le régime estimant la charge fiscale bien trop lourde eu égard aux relations qu’elles entretiennent avec leurs succursales étrangères.
Même si la France n’a pas transposé le régime (facultatif) du groupement TVA prévu par l’article 11 de la directive TVA, les entreprises qui y sont établies pourraient être directement concernées par la solution retenue par le présent arrêt, s’il devait se confirmer que celle-ci s’applique à la situation pour laquelle le siège est établi dans l’Union européenne.

Les conseils proposent une autre alternative : celle des contrats d’emploi global (Global Employment Contract). Il s’agit d’un contrat d’emploi gouvernant la relation entre un employé et plusieurs employeurs. Sous le GEC, l’employé est payé par un employeur (Paymaster) parmi les employeurs. Le paiement n’est pas soumis à la TVA puisqu’il n’y a pas de services rendus entre les entités.

Les dispositifs sont multiples. Il serait souhaitable qu’en 2019, le législateur prenne la bonne résolution de se pencher sur ces problématiques.

Andy Chung. Étudiant, spécialiste en droit fiscal.

[1CJUE 4 mai 2017 Commission contre Luxembourg aff. C-274/15 ; CJUE 21 Sept. 2017, DNB BANKA, aff. C-326/15 ; Commission contre Allemagne, aff. C-616/15 CJUE ; AVIVA, aff. C-605/15.

[2CJUE 17 Sept. 2014, Skandia, aff.C-7/13.

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