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L’abus de droit élargi par la notion de « but principalement fiscal » : premières explications. Par Alexandra Six, Avocat.
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Parution : vendredi 11 janvier 2019
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Une nouvelle procédure est mise en place permettant à l’Administration d’élargir la notion d’abus de droit et complique une nouvelle fois la tâche des praticiens en matière de contestation des redressements fiscaux.
La loi de finances pour 2019 instaure un nouvel article L64 A du LPF qui créé une nouvelle procédure d’abus de droit permettant à l’administration de considérer comme inopposables des montages ayant un objectif purement fiscal :
« l’Administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. (…) »
Ce dispositif s’applique aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur les actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020.
En vertu des dispositions, l’article L 64 du LPF demeure dans les mêmes conditions.
Il existe donc désormais en quelque sorte deux procédures distinctes, l’administration est donc en mesure de fonder son redressement sur l’article L 64 du LPF ou sur l’article L 64 A du LPF.
En vertu de ce nouveau dispositif, deux conditions cumulatives demeurent et doivent être établies par l’administration pour qu’un montage puisse être considéré comme constitutif d’un « abus de droit » pour fraude à la loi : une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur et la poursuite d’un but principalement fiscal.
C’est cette deuxième condition qui pose évidemment question quant à son appréciation et à son étendue dès lors qu’il n’existe pas de définition précise et que celle-ci va donc être soumise au contrôle des juges.
Il existe donc un flou évident qui inquiète les professionnels qui mettent en place ces montages (notamment patrimoniaux).
De nombreux auteurs y voient une brèche pour contourner la position prise par le conseil constitutionnel en 2013 qui avait censuré la tentative de modification de l’article L 64 du LPF lors de la modification de la loi de finances de 2014.
Il est vrai que la rédaction est plus habile et n’a pas été censurée par le conseil constitutionnel.
Comme la procédure actuelle qui reste en vigueur, les litiges nés de cette nouvelle procédure peuvent être soumis à l’avis du comité de l’abus de droit fiscal. Il est expressément prévu par la loi de finances que quel que soit l’avis rendu par ce comité, l’administration conserve la charge de la preuve du bien-fondé du redressement pour abus de droit.
Il est également prévu que cette procédure ne sera pas applicable si le contribuable a formé un rescrit resté sans réponse.
Pour rappel, le rescrit résulte de la possibilité pour un contribuable de consulter préalablement à la conclusion d’un ou plusieurs actes, l’administration. Mais cela suppose de fournir aux services l’ensemble des éléments nécessaires pour qu’elle soit en mesure d’apprécier la situation et la portée véritable de cette opération et que l’administration n’ait pas apporté de réponse dans un délai de six mois.
La loi de finances a instauré un nouveau dispositif de rescrit à cette occasion qui s’applique à compter du 1er janvier 2020 [1].
Ce délai de six mois rend ce dispositif difficilement applicable en pratique…
Ce nouveau dispositif a volontairement exclu l’automaticité des pénalités fiscales applicables. Pour que les pénalités de 40% en cas de manquement délibéré [2] et les pénalités de 80% pour manœuvres frauduleuses [3] puissent s’appliquer, l’administration devra être en mesure de justifier de l’application de l’une ou l’autre de ces dispositions de manière distincte.
Dans la pratique, cette nouvelle procédure offerte à l’administration devrait prendre le pas sur l’ancienne procédure plus « lourde » et élargir les cas de redressement sur ce fondement.
Il est évident que la jurisprudence est attendue par les praticiens pour permettre d’appréhender avec d’avantage de précision le terme « principalement fiscal »… mais l’attente risque d’être longue.
En attendant, la prudence s’impose.
Alexandra Six, Avocat, Cabinet ELOQUENCE Avocats Lille et Paris www.eloquence-avocats.com[1] Art. L 64 B du LPF.
[2] Art. 1729 c du CGI.
[3] Art. 1729 a du CGI.
Dans la réponse Procaccia (n°09965 JO Sénat 13 juin 2019 p 3070), reprise au BOI-CF-IOR-30-20-20200131 publié le 31 01 2020, le ministre a précisé que « l’intention du législateur n’est pas de restreindre le recours aux démembrements de propriété dans les opérations de transmissions anticipées de patrimoine, lesquelles sont, depuis de nombreuses années, encouragées par d’autres dispositions fiscales ». À cet égard, il cite notamment l’article 1133 du CGI qui exonère de droits la réunion de l’usufruit à la nue-propriété.
Sur le plan patrimonial et familial, le démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie permet de concilier la transmission d’une partie du patrimoine de l’assuré à ses enfants tout en protégeant son conjoint.
Une solution alternative pourrait être recherchée dans une clause bénéficiaire non démembrée attribuant le capital assuré aux enfants. Dans cette solution, s’agissant d’un contrat souscrit avant 1991, aucun droit ne serait exigible, mais l’objectif de protection du conjoint ne serait pas assuré.
De même, une clause bénéficiaire qui attribuerait en pleine propriété le capital au conjoint survivant négligerait l’objectif de transmission d’une partie du patrimoine de l’assuré à ses enfants.
Dans ses commentaires publiés au Bofip le 31 janvier 2020, (BOI-CF-IOR-30-20-20200131), le ministère indique que « cette disposition (l’article L 64 A du LPF), pas plus que l’abus de droit visé à l’article L. 64 du LPF, n’a pour objet d’interdire au contribuable de choisir le cadre juridique le plus favorable du point de vue fiscal pourvu que ce choix ou les conditions le permettant ne soient empreints d’aucune artificialité (en ce sens : RM Christ n°73340, JO AN du 10 novembre 2015, p. 8219) ».
En l’espèce, le démembrement de la clause bénéficiaire permet de concilier transmission anticipée du patrimoine et protection du conjoint, dans le cadre juridique le plus favorable du point de vue fiscal, sans aller à l’encontre des objectifs poursuivis par les auteurs du texte et des décisions concernés.
Le recours au démembrement de la clause bénéficiaire dans un contrat d’assurance est également légitimé par le législateur : l’article 990 I prévoit en effet expressément les modalités d’application du prélèvement et la répartition de l’abattement de 152 500 €, en cas de démembrement de la clause bénéficiaire des contrats souscrits à compter du 20 novembre 1991.
Le fait que la clause bénéficiaire se rapporte à un contrat souscrit avant 1991 - et n’entrant pas dans le champ d’application du prélèvement de 20 % - ne devrait pas conduire ipso facto à considérer que le recours au démembrement vient à l’encontre de l’objectif poursuivi par le législateur.
Merci pour votre avis sur cette synthèse
Bien cordialement
Renaud Gutton
0675812188
r.gutton chez wanadoo.fr