Village de la Justice www.village-justice.com

Le droit à l’image et les photographes. Par Hortense Moisand, Avocate.
Parution : mardi 7 mai 2019
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/droit-image-les-photographes,31418.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Qu’entend-on exactement par l’expression ’droit à l’image’ ?
Quels en sont les principes fondamentaux ?
Les modèles ont-ils un statut particulier ?
L’image des défunts est-elle protégée ?
Qu’en est-il des artistes, des sportifs, des anonymes ?
L’objet de cet article est d’apporter des éclaircissement sur ces notions.

Qu’entend-on exactement par l’expression ’droit à l’image’ ?

Le droit à l’image est une déclinaison d’autres droits plus généraux préexistants. C’est pourquoi il est essentiellement issu de la jurisprudence, qui en a définit les contours au fil des très nombreuses batailles juridiques des cent cinquante dernières années - ne serait-ce que pour savoir dans quel cadre, dans quel type de droit on se trouve droit de propriété, de la vie privée, des attributs de la personnalité, des biens corporels…

L’image des personnes est aujourd’hui au coeur de la communication : on la retrouve partout, tous les jours, dans pléthore de types d’usage, d’exploitation, avec des anonymes ou des non anonymes, pris dans un cadre professionnel ou pas, etc. Il y a un nombre incalculable de cas de figures.

Le droit à l’image est celui de la personne qui y représentée de s’opposer à la diffusion de son image et d’en faire commerce le cas échéant. Chaque personne a un droit à l’image, qu’elle soit anonyme ou connue. Ce droit est régi par le code civil. Il est distinct du droit d’auteur (régi par le code de la propriété intellectuelle) dont le photographe peut-être titulaire. Ces deux droits interagissent en permanence, mais ne doivent pas être confondus.

Quels en sont les principes fondamentaux ?

Le principe fondamental à retenir est que toute personne est susceptible de pouvoir s’opposer à la diffusion de son image, c’est un droit de protection, de défense. C’est pourquoi il est absolument nécessaire d’obtenir l’autorisation de la personne avant la diffusion de son image, mais pas obligatoirement avant la prise de vue.

Par ailleurs d’autres règles, telles que la liberté d’expression et la liberté de la presse permettent au contraire la diffusion de l’image de personnes sans l’autorisation de la personne représentée.
De même toute personne dispose du droit de commercialiser son image. L’image du visage et du corps sont susceptibles d’être commercialisées. Même si le corps, lui, ne peut être l’objet d’aucun commerce, son image est par contre susceptible de faire l’objet de rémunération.

Il existe donc deux versants : un droit de protection et un droit d’exploitation, ce dernier pouvant être compris comme les conditions de renonciation, pour le modèle, à son droit premier d’opposition. Il est très important que les deux parties, le modèle et l’exploitant, définissent en amont les limites de l’exploitation autorisée (sa portée, la durée, les supports d’exploitation des images et le montant de la rémunération perçue par le modèle). Tout ce qui n’aura pas été prévu contractuellement ne sera pas autorisé sans renégociation préalable. Cela donne des contrats qui peuvent un peu ressembler à ceux des auteurs ; on parle d’ailleurs ‘d’oeuvre du corps’.

Il existe de très nombreuses jurisprudences, mais j’en citerai une récente à titre d’exemple : une mannequin avait participé à une campagne de produits cosmétiques et donné le droit d’exploiter les images deux ans durant. Au terme de ce délai, l’exploitant a continué de diffuser ces clichés mais en flouttant son visage : eh bien l’exploitant a été sanctionné, parce que le corps est un objet de droit, même si l’on ne reconnait pas tout de suite l’identité du modèle… [1].

Les modèles ont-ils un statut particulier ?

Il faut en premier lieu distinguer les mannequins et les modèles.
ll existe en théorie une distinction entre les mannequins et les modèles, les modèles n’étant pas soumis à la loi sur les mannequins. Le modèle interviendrait de manière courte, ponctuelle, désintéressée et sans aucune contrepartie, dans le cadre d’un loisir artistique, à l’exception des tirages offerts par le photographe.

L’image du mannequin est, quant à elle choisie pour représenter une marque. Elle est le support commercial d’un vêtement, d’un parfum, d’un produit. Une loi est venue règlementer la profession de mannequin, afin de clarifier la double relation, qui existe entre l’exploitant et le mannequin.
En premier lieu, il a précisé la définition d’un mannequin : « désormais sera considéré comme exerçant une activité de mannequin, même si cette activité est exercée à titre occasionnel, toute personne qui est chargée soit de présenter au public, directement ou indirectement, par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire, soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image. »
C’est donc une définition très large qui s’applique à des personnes physiques, adultes ou mineures.

En second lieu, le législateur a décrété que, par définition, dès qu’il y a une prise de vue, il y a une présomption de contrat de travail - que les photographies soient par la suite exploitées ou pas. Le travail pendant la prise de vue est rémunéré, cela sous-entend que le mannequin va faire ce que lui dit le photographe, donc qu’il est dans un lien de subordination, et donc qu’il est bien dans le cadre d’un contrat de travail. Ce contrat de travail, réel ou présumé, est indépendant des droits d’exploitation des images : ce sont deux choses à envisager séparément.

Dans tous les cas, qu’il s’agit d’une photo de mannequin ou d’un modèle, la personne photographiée n’aura aucun droit sur l’image. Elle appartiendra au photographe, le seul auteur. Son image fait l’objet d’une exploitation, d’une commercialisation dont il peut-être est dédommagé, mais il n’a pas de droit sur la photo elle-même, en tant qu’oeuvre.

Mais si la personne photographiée n’obéit pas aux injonctions du photographe, comme par exemple un musicien pris lors d’un concert - doit-il percevoir une rémunération ?

Un photographe peut faire des portraits d’artistes, cela peut être considéré comme de la photo d’art. Mais le fait est que la photo de tel ou tel musicien ou comédien, en dehors de la qualité de la prise de vue elle-même, est valorisée par la notoriété de l’artiste photographié… donc ce dernier pourrait demander à être payé ou du moins demander à pouvoir exploiter au titre de son droit à l’image ou de ses droits voisins. Non pour le travail lors de la prise de vue, puisqu’il n’y en a pas (il est pris durant l’exercice de son métier), mais pour l’utilisation de son image.
De toute façon, là aussi et comme dans tous les cas, le photographe doit préalablement obtenir l’autorisation de diffuser ses images…
Nous sommes donc dans un cas de conflit de droits entre celui du photographe et celui de l’artiste sur son image.
Les tribunaux devront trancher cette question au cas par cas, même si la jurisprudence est peu abondante sur cette question.

Prenons un sportif professionnel, un rugbyman par exemple : s’il est sur une photo d’équipe ou s’il est pris pendant qu’il joue un match, il s’agit d’informer ou de restituer des images d’actualités, le rugbyman ne pourra pas s’y opposer. Il en sera de même dans le cas de la publication d’un manuel didactique à l’attention des entraineurs, à condition que l’ouvrage ait une finalité pédagogique et que l’image du sportif ne soit pas dénaturée [2].
En revanche, s’il fait une publicité, sa notoriété est prépondérante et prend le pas sur son statut de sportif : il est considéré comme un mannequin ou un artiste, il peut être rémunéré.

Pourquoi, dans le cadre d’un match, son droit à l’image est-il suspendu ?

La photo d’un match ou d’une équipe va être considérée comme une photographie visant à informer le public. C’est le droit à l’information qui prévaut dans ce cas. Plus généralement, les photos prises lors d’événements ou de manifestations sur la voie publique, la jurisprudence évolue pour autoriser de manière de plus en plus large la reproduction d’image des personnes, même si elles apparaissent en premier plan. Cela me rappelle un cas récent : une jeune femme avait été photographiée lors de la coupe du monde sur les champs Élysées, avec le drapeau français, en gros plan, portée sur des épaules. C’était clairement l’évènement qui faisait l’intérêt du cliché, elle était comme une Marianne, et je pense qu’elle ne pouvait pas s’opposer à la diffusion de cette image. Mais cela dépend du juge : c’est à lui d’estimer quel serait son préjudice, en quoi cette photo la dégraderait, est-ce qu’elle a été réellement prise à son insu, etc. C’est lui qui décide si cette photo doit être retirée et si l’éventuel préjudice nécessite une compensation.

Peut-on revenir sur les photos prises à l’insu du sujet ?

C’est ici que l’on aborde la question de la vie privée. C’est la protection de cette dernière qui prévaut, selon l’article 9 du code civil : on a le droit au plein respect de sa vie privée, et donc de son image dans l’espace personnel. Le paparazzi qui va prendre une célébrité en famille, c’est une atteinte à la vie privée de celle-ci : on parle de droit à l’image mais, en fait, l’atteinte est liée à la vie privée de cette célébrité.
Nous parlions de l’information du public comme exception du droit à l’image : imaginons le remariage de Johnny, c’est un sujet qui peut intéresser le public, mais c’est avant tout un évènement de la vie privée. Il y aura toujours un concours entre ces deux notions. Il appartiendra au juge de déterminer la limite entre l’information légitime du public de ce qui relève de la sphère privée.
Poussons à l’extrême : l’image d’un mort, peut-elle être exploitée ? Il ne peut évidemment plus se prononcer… Le droit à l’image est intransmissible aux héritiers. Alors la question, pour le juge, sera de bien saisir quelle est l’exploitation, l’intention de l’image, et si cela relève d’une information : par exemple, Mitterrand sur son lit de mort. C’est de l’information. Mais le cliché le présente dans son cercle familial, avec son entourage, dans sa maison. C’est l’intimité, la vie privée. Il appartiendra à la famille de démontrer le préjudice, habituellement qualifié d’affliction, qu’elle subirait pour interdire l’exploitation de l’image.
A titre d’exemple, le juge a considéré que s’agissant de la photographie de Coluche sur son lit de mort, que nul ne peut, sans le consentement de la famille, reproduire e livrer à la publicité les traits d’une personne sur son lit de mort, qu’elle qu’ait été sa célébrité. L’image d’une personne constitue un élément de sa personnalité qui mérite protection au-delà de sa mort [3].

Donc, pour résumer tout cela…

Ce qu’il faut retenir avant tout, c’est que j’ai un droit exclusif sur mon image et je peux en interdire toute reproduction, sauf exception relatives au droit à l’information ou à la liberté d’expression et de création.
C’est le truc de base, que ce soit pour tout ou partie du corps - même s’il faut cependant que l’on puisse faire le lien entre l’image et moi, sans quoi il va être compliqué d’interdire quoi que ce soit. Je peux ensuite faire commerce de cette image, autoriser sa diffusion en définissant clairement les modalités de sa diffusion.

Si j’ai une notoriété, parce que je suis un sportif, je suis un artiste, je suis mannequin, etc. je peux faire valoir un droit rémunération.

Si mon image fait l’objet d’une utilisation abusive, je peux demander des dédommagements. Si je suis pris en photo lors d’un évènement public, je ne peux m’opposer à la diffusion de mon image, qui relève de l’intérêt légitime du public à l’information.

Et, enfin, mon image est en principe protégée dans le cadre de ma vie privée et la prise de vue effectuée dans un lieu privé peut-être sanctionnée pénalement. Voici pour les grandes lignes !

Hortense Moisand Avocate Associée Fondatrice du cabinet Constellation Avocats Médiatrice Talent Advisor [->http://moisand-avocate.fr/] [->https://www.linkedin.com/in/hortense-moisand-avocate/]

[2TGI Paris 10/01/2005, RG 03/00774.

[3TGI Paris, 1er ch., 31 mai 1989 : Gaz. Pal. 1989, II, somm. p.525.

Comentaires: