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Mur de soutenement et voie publique : qui est propriétaire, qui est responsable ? Par Benjamin Vincens-Bouguereau, Avocat.
Parution : vendredi 7 juin 2019
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Les coûts souvent colossaux induits par l’entretien de murs de soutènement ont conduit les juridictions administratives à devoir se prononcer sur leur appartenance et donc sur la prise en charge des frais afférents.

Dans ce contexte, les uns et les autres arguent le plus souvent - et contrairement à la pratique habituelle en matière de propriété - ne pas être propriétaires afin de ne pas avoir à s’acquitter des travaux de réparation ou d’entretien de ces ouvrages.

Après plusieurs années de flottement sur les critères permettant d’attribuer la propriété de tels ouvrages, la jurisprudence s’est récemment stabilisée même si l’on verra que les répercussions notamment financières pour les gestionnaires des voiries publiques peuvent être très importantes.

En effet, on rappellera d’abord qu’aux termes de l’article L.2111-1 du Code Général de la Propriété des personnes publiques : « Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public. »

Et l’article L.2111-2 du même Code dispose que : « Font également partie du domaine public les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L. 1 qui, concourant à l’utilisation d’un bien appartenant au domaine public, en constituent un accessoire indissociable. »

Ainsi, ces dispositions consacrent la théorie de l’accessoire au domaine public de par l’indissociabilité physique et fonctionnelle entre le bien et le domaine public.

S’agissant précisément de la nature juridique et par voie de conséquence de la propriété des murs de soutènement, il a pu être jugé par le Conseil d’Etat (CE, n°36 339, 15 avril 2015) que :

« 2. Considérant qu’en l’absence de titre en attribuant la propriété aux propriétaires des parcelles en bordure desquelles il est édifié ou à des tiers, un mur situé à l’aplomb d’une voie publique et dont la présence évite la chute de matériaux qui pourraient provenir des fonds qui la surplombent doit être regardé comme un accessoire de la voie publique, même s’il a aussi pour fonction de maintenir les terres des parcelles qui la bordent ;
3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le mur litigieux a été édifié en bordure d’une avenue créée au milieu du dix-neuvième siècle en creusant dans une colline afin d’en réduire la pente ; que le tribunal administratif n’a pu, sans dénaturer les pièces du dossier, nier que cet ouvrage, dont la présence évite la chute sur la voie publique de matériaux qui pourraient provenir des fonds riverains situés en surplomb de l’avenue, soit nécessaire à la sécurité de la circulation ; que, par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, son jugement doit être annulé
. »

Dans cet arrêt, le Juge administratif prenait en considération la temporalité de la création de la voie publique mais surtout la finalité du mur par rapport à cette voie et par voie de conséquence son utilité vis-à-vis de celle-ci (Dans ce sens également : CE, 27 juillet 2016, n°389771).

Très récemment encore, la Cour Administrative d’Appel de Marseille (n°18MA01446, 26 avril 2019) a pu juger que :

« 3. En l’absence de titre en attribuant la propriété aux propriétaires des parcelles en bordure desquelles il est édifié ou à des tiers, un mur situé à l’aplomb d’une voie publique et dont la présence évite la chute de matériaux qui pourraient provenir des fonds qui la surplombent doit être regardé comme un accessoire de la voie publique, même s’il a aussi pour fonction de maintenir les terres des parcelles qui la bordent (...)
6. La circonstance invoquée par le département, au demeurant sans plus de précision, selon laquelle ce mur aurait été construit par des personnes privées ne saurait emporter, à elle-seule, titre de propriété sur cet ouvrage. Le fait que le mur litigieux a été bâti dans le style architectural correspondant au cahier des charges du "domaine de Rothschild" et commun aux autres murs situés à l’intérieur des parcelles privatives n’est pas davantage de nature à établir que cet ouvrage serait la propriété de M. et Mme B.... L’acte de vente du lot n° 47 du 28 janvier 1926 produit au dossier est muet s’agissant de la propriété de ce mur.
7. Enfin, dans le rapport définitif qu’il a rendu le 8 juin 2016, l’expert judiciaire Vernet expose que le mur en litige est un "ouvrage d’infrastructure routière" eu égard aux caractéristiques de la voie, qui a été créé en "déblai-remblai", l’expert estimant que ce mur était indispensable à la stabilisation des remblais côté aval et à la stabilisation du talus décaissé côté amont.
8. Dans ces conditions, aucun titre n’attribuant la propriété du mur en cause à M. et Mme B... ni à un tiers et ce mur surplombant la voie publique et dont la présence évite la chute de matériaux provenant de la parcelle AX n° 40, cet ouvrage, au moins dans sa partie suivant le tracé de la voie départementale et présentant un lien physique étroit avec cette voie, doit être regardé comme un accessoire de cette voie, alors même qu’il a aussi pour fonction de maintenir les terres de cette parcelle qui la borde et de la clore et qu’il intègre des ouvrages privés tels un portillon d’entrée et des plantations privées.
9. Il résulte de l’instruction que les dommages subis par le mur en litige au droit de la parcelle AX n° 40 sont survenus dans la partie de l’ouvrage surplombant immédiatement la route départementale 111, laquelle appartient au département des Alpes-Maritimes depuis 1958 après avoir été remis à la commune de Grasse par la Société Civile Immobilière et de Reconstruction en application de la convention d’aménagement précitée. Il suit de cela que l’entretien du mur en cause et donc la réparation des dommages subis par M. et Mme B... du fait de l’éboulement de ce mur incombent au département des Alpes-Maritimes. (…)
 »

Le Juge Administratif juge de manière désormais constante que, pour être qualifié d’accessoire à la voie publique, il faut :
- qu’aucun titre n’attribue la propriété privé aux propriétaires des parcelles en bordure desquelles est édifié le mur, ou à des tiers ;
- que le mur concoure à l’utilisation de la voie publique et/ou présente un lien fonctionnel avec celle-ci (soutient en aval, protection contre la chute de matériaux en amont).

Ainsi, lorsqu’il est saisi de la qualification juridique d’un mur de soutènement, le Juge administratif prend en considération :
- d’abord les éventuelles mentions figurant dans les titres de propriété (qui sont rarement éclairant sur ce point),
- à défaut les caractéristiques techniques des ouvrages, afin d’apprécier si l’ouvrage de soutènement en cause peut être qualifié ou non d’accessoire de la voirie publique et donc en attribuer la propriété à la personne publique gestionnaire de ladite voie. Il apprécie ainsi à cet occasion si le mur en cause est de nature à concourir à l’utilisation de la voie publique, notamment pour éviter des chutes de pierres ou de matériaux sur cet ouvrage.

Benjamin VINCENS-BOUGUEREAU Avocat Associé - SELARL Aubert, Thoinet & Vincens-Bouguereau - ATV AVOCATS ASSOCIES [->www.atv-avocats.com]
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