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Soutenir financièrement une campagne électorale : oui mais à certaines conditions. Par Anne-Margaux Halpern, Avocat.
Parution : jeudi 27 juin 2019
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La campagne des élections municipales, prévues en mars 2020, va bientôt commencer et avec elle se pose l’épineuse question des soutiens financiers.
Si à chaque élection, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques publie un guide complet sur les règles applicables, la présente fiche technique entend rappeler les principaux écueils et règles à respecter.

1.- Les règles applicables à tous les candidats aux élections municipales quel que soit le nombre d’habitants de la commune.

1.1.- Dons autorisés pour les personnes physiques mais prohibés pour les personnes morales autres que les partis et groupements politiques.

L’article L. 52-8 du Code électoral dispose que :

« Une personne physique peut verser un don à un candidat si elle est de nationalité française ou si elle réside en France.
Les dons consentis par une personne physique dûment identifiée pour le financement de la campagne d’un ou plusieurs candidats lors des mêmes élections ne peuvent excéder 4.600 euros.
Les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués.
Les personnes morales, à l’exception des partis et groupements politiques ainsi que des établissements de crédit ou sociétés de financement ayant leur siège social dans un Etat membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen, ne peuvent ni consentir des prêts à un candidat ni apporter leur garantie aux prêts octroyés aux partis et groupements politiques.
Tout don de plus de 150 euros consenti à un candidat en vue de sa campagne doit être versé par chèque, virement, prélèvement automatique ou carte bancaire.
Un candidat ne peut contracter auprès d’un parti ou groupement politique des prêts avec intérêts que si ce dernier a lui-même souscrit des prêts à cette fin et dans la limite des intérêts y afférents.
Le montant global des dons en espèces faits au candidat ne peut excéder 20 % du montant des dépenses autorisées lorsque ce montant est égal ou supérieur à 15.000 euros en application de l’article L. 52-11.
Aucun candidat ne peut recevoir, directement ou indirectement, pour quelque dépense que ce soit, des contributions ou aides matérielles d’un État étranger ou d’une personne morale de droit étranger. Il ne peut recevoir des prêts d’un État étranger ou d’une personne morale de droit étranger, à l’exception des établissements de crédit ou sociétés de financement mentionnés au deuxième alinéa du présent article.
 »

Il ressort de ces dispositions :
- les personnes physiques peuvent consentir des dons, de toute nature, sous réserve de ne pas dépasser le plafond de 4.600 euros ;
- une interdiction de principe pour les personnes morales – autres que les partis et groupements politiques - de consentir des dons, de toute nature, dans le cadre du financement d’une campagne électorale.

Pour éviter toute dérive et contournement de cette interdiction de principe, les juridictions apprécient de manière particulièrement stricte la notion de « dons ». Par exemple constituent des dons prohibés au sens de l’article L. 52-8 du Code électoral le fait pour une société de :
- rédiger et imprimer sur son papier en-tête des tracts et les remettre aux candidats d’une liste municipale (CE section, 10 juin 1996, req. n°173998) ;
- mettre des coupe-vent à disposition des bénévoles d’une campagne électorale (Conseil d’État, 19 juillet 2016, req. n°397594) ;
- mettre à disposition, ponctuellement, ses locaux (Conseil d’État, 8 décembre 2010, req. n°338291) ;
- permettre l’affichage sur ses murs extérieurs des affiches de campagne des candidats [1].

Le non-respect de ces dispositions est pénalement sanctionné. Le III de l’article L. 113-1 du Code électoral dispose que « sera puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende quiconque aura, en vue d’une campagne électorale, accordé un don ou un prêt en violation des articles L. 52-7-1 et L. 52-8. Lorsque le donateur ou le prêteur sera une personne morale, le premier alinéa du présent III sera applicable à ses dirigeants de droit ou de fait ».

En revanche, dès lors que les dons émanent des comptes courant d’associés au sein d’une société, ces dons ne s’analysent plus comme des dons émanant d’une personne morale mais comme des dons émanant de personnes physiques et, par suite, non prohibés [2].

1.2.- Règles inapplicables aux partis et groupements politiques.

Bien évidemment, ces règles ne s’appliquent pas aux partis et groupements politiques qui peuvent toujours participer financièrement à une campagne électorale.

Là encore, le législateur et la jurisprudence ont adopté une définition très stricte de la notion de « partis ou groupements politiques » afin d’éviter toute dérive. Une personne morale peut être qualifiée de parti ou groupement politique si et seulement si :
- elle s’est assignée un but politique ;
- elle relève des articles 8, 9 et 9-1 de la loi du 11 mars 1988, c’est-à-dire si le parti politique bénéficie de l’aide budgétaire publique ;
- ou si elle s’est soumise aux règles fixées par les articles 11 à 11-7 de la même loi qui imposent notamment aux partis et groupements politiques de ne recueillir des fonds que par l’intermédiaire d’un mandataire [3].

Un comité de soutien qui ne répond pas à ces conditions ne peut être qualifié de parti ou groupement politique. Tout don provenant de ce comité de soutien est prohibé [4].

2.- Les règles applicables aux seules communes de plus de 9.000 habitants.

2.1.- Obligation de déclarer un mandataire financier (article L. 52-4 du Code électoral).

Le mandataire financier peut être soit :
- une association de financement électorale (article L. 52-5 du Code électoral) qui doit être déclarée en Préfecture (article 5 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association), ou à la Préfecture de Police à Paris ;
Les règles classiques d’incompatibilités s’appliquent. Ainsi, le candidat ou le membre de la liste ne peut être membre de l’association. L’expert-comptable chargé de la présentation du compte de campagne ne peut exercer les fonctions de président ou de trésorier de cette association ;

- un mandataire financier, personne physique, qui doit être déclaré en Préfecture.
Aux termes de l’article L. 52-6, l’expert-comptable chargé de la présentation du compte de campagne ne peut exercer cette fonction. Dans le cas d’un scrutin de liste, aucun membre de la liste ne peut être le mandataire financier du candidat tête de la liste sur laquelle il figure.

Attention, il ne peut y avoir qu’un seul mandataire par candidat.

2.2.- Obligation de verser les sommes sur un compte de dépôt unique ouvert par le mandataire (article L. 52-9 du Code électoral).

- interdiction de verser un don directement au candidat ;
- possibilité de verser les sommes uniquement « pendant les six mois précédant le premier jour du mois de l’élection jusqu’à la date du dépôt du compte de campagne du candidat », soit à partir de septembre 2019, pour des élections en mars 2020 ;
- tout versement en espèces est plafonné à 150 euros ;
- le financement participatif de type crowdfunding ou un virement par PayPal est interdit (Décision n°2018-5409 AN du 25 mai 2018).
- le compte de campagne doit retracer l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l’ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection, hors celles de la campagne officielle par lui-même ou pour son compte, au cours de la période visée supra.
« Sont réputées faites pour son compte les dépenses exposées directement au profit du candidat et avec l’accord de celui-ci, par les personnes physiques qui lui apportent leur soutien, ainsi que par les partis et groupements politiques qui ont été créés en vue de lui apporter leur soutien ou qui lui apportent leur soutien. Le candidat estime et inclut, en recettes et en dépenses, les avantages directs ou indirects, les prestations de services et dons en nature dont il a bénéficié » (article L. 52-12) ;
- le compte de campagne doit être en équilibre ou excédentaire et ne peut présenter un déficit.

2.3.- Plafonnement des dépenses de campagne.

Listes présentes au premier tour Listes présentes au second tour
N’excédant pas 15.000 habitants 1,22 1,68
De 15.001 à 30.000 habitants 1,07 1,52
De 30.001 à 60.000 habitants 0.91 1.22
De 60.001 à 100.000 habitants 0.84 1.14
De 100.001 à 150.000 habitants 0.76 1.07
De 150.001 à 250.000 habitants 0.69 0.84
Excédant 250.000 habitants 0.53 0.76

Aux termes de l’article L. 52-11 du Code électoral et de l’article 1er du décret du 30 décembre 2009 portant majoration du plafond des dépenses électorales, un plafond de dépenses à ne pas dépasser est fixé en fonction du nombre d’habitants de la circonscription d’élection auquel il convient d’ajouter un coefficient majorateur. Pour les élections municipales, ce coefficient est de 1,23.

Pour le premier tour :
N’excédant pas 15.000 habitants : 1, 22
De 15.001 à 30.000 habitants : 1, 07
De 30.001 à 60.000 habitants : 0, 91
De 60.001 à 100.000 habitants : 0, 84
De 100.001 à 150.000 habitants : 0, 76
De 150.001 à 250.000 habitants : 0, 69
Excédant 250.000 habitants : 0, 53

Ainsi, prenons par exemple le cas d’une commune ayant 18.000 habitants. Le plafond de dépenses pour le premier tour des élections de mars 2020 serait calculé comme suit :
- jusqu’à 15.000 habitants : 1,22 x 15.000 = 18.300 euros ;
- de 15.001 à 18.000 habitants : 1.07 x 3.000 = 16.050 euros.

Soit un sous-total de 34.350 euros.

Avec application du coefficient majorateur, cela donnerait un plafond de dépenses de 34.350 x 1.23 = 42.250,5 euros.

2.4.- Contrôle des comptes de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

Aux termes de l’article L. 52-15 :

« La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Elle arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu à l’article L. 52-11-1.
Hors le cas prévu à l’article L. 118-2, elle se prononce dans les six mois du dépôt des comptes. Passé ce délai, les comptes sont réputés approuvés.
Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n’a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l’élection.
Dans le cas où la commission a relevé des irrégularités de nature à contrevenir aux dispositions des articles L. 52-4 à L. 52-13 et L. 52-16, elle transmet le dossier au parquet.
Le remboursement total ou partiel des dépenses retracées dans le compte de campagne, quand la loi le prévoit, n’est possible qu’après l’approbation du compte de campagne par la commission.
Dans tous les cas où un dépassement du plafond des dépenses électorales a été constaté par une décision définitive, la commission fixe alors une somme égale au montant du dépassement que le candidat est tenu de verser au Trésor public. Cette somme est recouvrée comme les créances de l’Etat étrangères à l’impôt et au domaine
 ».

La décision de Commission est susceptible de faire l’objet d’un recours gracieux ou d’un recours contentieux devant le Conseil d’État, s’agissant d’une élection municipale.

Si saisine du juge pénal.

Le I de l’article L. 113-1 du Code électoral dispose que :

« I. – Sera puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende tout candidat, en cas de scrutin uninominal ou binominal, ou tout candidat tête de liste, en cas de scrutin de liste, qui :
1° Aura, en vue de financer une campagne électorale, recueilli des fonds en violation de l’article L. 52-4 ;
2° Aura accepté des fonds en violation des articles L. 52-7-1, L. 52-8 ou L. 308-1 ;
3° Aura dépassé le plafond des dépenses électorales fixé en application de l’article L. 52-11 ;
4° N’aura pas respecté les formalités d’établissement du compte de campagne prévues aux articles L. 52-12 et L. 52-13 ;
5° Aura fait état, dans le compte de campagne ou dans ses annexes, d’éléments comptables sciemment minorés
 ».

Si saisine du juge électoral en cas de rejet du compte de campagne.

Le juge peut prononcer, conformément à l’article L. 118-3 du Code électoral :

« l’inéligibilité du candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales.

L’inéligibilité déclarée sur le fondement des premier à troisième alinéas est prononcée pour une durée maximale de trois ans et s’applique à toutes les élections. Toutefois, elle n’a pas d’effet sur les mandats acquis antérieurement à la date de la décision.

Si le juge de l’élection a déclaré inéligible un candidat proclamé élu, il annule son élection ou, si l’élection n’a pas été contestée, le déclare démissionnaire d’office ».

Les peines d’inéligibilité et le rejet des comptes de campagne sont soumis au contrôle in concreto du juge.

Le juge tient compte de l’importance de l’avantage ou du don irrégulièrement consenti et recherche si, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, il a été susceptible de porter atteinte, sensiblement, à l’égalité entre les candidats.

A titre d’exemple, par un arrêt du 9 juillet 2015, le Conseil d’Etat a jugé que le fait pour une société de mettre à disposition d’un candidat un local, pour une durée de 4 mois, en pleine période électorale, constituait un don prohibé au sens de l’article L. 52-8. Pour autant, la Haute juridiction a relevé que « cet avantage, évalué à 1200 euros, soit 3.9% du plafond des dépenses autorisés » était « limité » et que compte tenu des circonstances dans lesquelles il avait été consenti, il n’y avait pas lieu de rejeter les comptes de campagne du candidat [5].

3. Les règles applicables aux communes de moins de 9.000 habitants.

- Mise en place de commissions chargées, pour les Communes de 2.500 habitants et plus, d’assurer l’envoi et la distribution des documents de propagande électorale (article L. 241 du Code électoral) ;

- Incertitude quant à la date à laquelle les personnes morales doivent s’abstenir de participer activement au débat public.
Cette imprécision a été soulevée par Sébastien Huyghe, député, dans le cadre d’une Question n°14728, soumise le 4 décembre 2018 : « Alors que l’alinéa 2 de l’article L. 52-4 dispose que « le mandataire recueille, pendant les six mois précédant le premier jour du mois de l’élection et jusqu’à la date du dépôt du compte de campagne du candidat, les fonds destinés au financement de la campagne » dans les communes de plus de 9.000 habitants, aucune disposition ne fixe de délai lors duquel il est interdit à une personne morale d’intervenir dans une campagne municipale d’une commune de moins de 9.000 habitants. Or il existe dans les communes concernées de nombreuses associations qui participent activement au débat public et s’affichent explicitement comme des structures politiques visant la préparation du scrutin municipal. Il lui demande donc de lui préciser la date à partir de laquelle les personnes morales devront s’abstenir de participer au débat municipal en vue des élections de mars 2020 ». Aucune réponse n’a été publiée à ce jour.

Il y a donc lieu de faire preuve de la plus grande prudence en matière de soutien financier à un candidat.

Anne-Margaux HALPERN Atmos Avocats

[1Conseil d’Etat, 19 juillet 2016, req. n°397594.

[2Décision n°2002-3029 AN du 27 mars 2003 ; Conseil d’Etat, 10 mai 1996, req. n°176541.

[3Décision n°97-2303 du 13 février 1998 ; Réponse ministérielle, JO Sénat du 8 août 2013, page 2376.

[4Décision n°97-2535 AN du 19 mars 1998.

[5Conseil d’Etat, 9 juillet 2015, req. n°388466.

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