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Article L 442-6 du Code de commerce : la « stricte »compétence d’attribution et la preuve du déséquilibre significatif. Par Geoffrey Kembo, Etudiant en droit.
Parution : vendredi 19 juillet 2019
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C’est dans le prolongement des décisions antérieures que la cour d’appel de Paris (Cour d’appel de Paris, 19 Avril 2019, n° 16/14293 ) se prononce sur le recours formé contre la décision du tribunal non désigné par les articles D442-3 et suivant c.com., et la preuve du déséquilibre significatif dans un contrat d’adhésion.

En l’espèce, La Société Nouvelle d’Installations Electriques « SNIE » s’est engagée pour une durée de 5 ans à des prestations de service au profit de la société Foliateam. Le premier contrat est conclu 1er avril 2010, le second, le 21 décembre 2012.

Le 18 novembre 2014, la société SNIE décide, par convenances personnelles, de mettre fin aux contrats précités. De ce fait, la société Foliateam recourt à la clause pénale sanctionnant la résiliation anticipée aux fins d’obtenir une injonction de payer d’un montant égal à la totalité des redevances à échoir jusqu’au terme des contrats majorées de 20% contre la société SNIE, qui s’en est d’ailleurs opposée.

Outre le caractère excessif de la clause pénale, le Tribunal de commerce de Melun devait se prononcer notamment sur le déséquilibre significatif de ladite clause selon l’article « ancien » L 442-6 c.com qui, d’ailleurs, a été écarté pour ce cas.

En appel, la société Foliateam arguait notamment la nullité du jugement au motif que le tribunal de commerce de Melun n’est pas compétent pour connaitre les litiges relatifs à l’article L 442-6 c.com. reconnu d’ordre public, et que cette exception peut être soulevée à tout moment, en appel y compris, contrairement au moyen soutenu par la société SNIE. Ensuite, la société SNIE reprochait également à la clause pénale de créer un déséquilibre significatif selon l’article L 442-6 c.com car insérée dans un contrat d’adhésion, et en l’occurrence non réciproque, imposée et non discutée.

Ainsi, il était question de savoir si l’exception d’incompétence, qui n’a pas été évoquée d’office devant le tribunal non spécialisé pour connaitre les litiges relatifs à l’article L 442-6 c.com., peut être soulevée devant la cour d’appel ? Ensuite, quel est le sort réservé à un tel jugement, lequel comprend en outre des demandes formées sur d’autres fondements juridiques ? Enfin, les caractères non réciproque, imposé et non discuté d’une clause pénale insérée dans un contrat d’adhésion suffisent-ils à créer un déséquilibre significatif selon l’article L 442-6 c.com.?

Pour la Cour d’appel de Paris, le caractère d’ordre public de l’article précité ne s’oppose à ce que l’incompétence du tribunal non spécialisé à statuer en la matière soit soulevée en appel. Ainsi, le défaut de compétence dudit tribunal permet à la cour saisie d’annuler le jugement uniquement pour les demandes formulées sur l’article L. 442-6 c.com. Ceci n’a en revanche aucune incidence sur la recevabilité desdites demandes par la Cour d’appel de Paris qui est la seule compétente pour connaitre le recours du jugement portant sur l’article précité, et que le tribunal saisi en première instance figure dans son ressort.

Enfin, les caractères non réciproque, imposé et non discuté d’une clause insérée dans un contrat d’adhésion peuvent caractériser un déséquilibre significatif selon l’article L. 442-6 c. com. Néanmoins, la victime qui invoque ce déséquilibre doit rapporter la preuve qu’elle a été soumise lors de la conclusion du contrat, du fait du rapport de force existant entre les parties, à des obligations injustifiées et non réciproques.

I. De la nullité du jugement rendu par un tribunal non spécialisé.

Dès 2009, le contentieux relevant de l’article L 442-6 c.com. est assigné à des tribunaux désignés aux articles D 442-3 et D 442-4 c.com.. En appel, seule la Cour d’appel de Paris a un pouvoir juridictionnel exclusif pour statuer sur les recours formés contre les décisions des tribunaux précités [1]. Ainsi, tout recours dirigé vers une autre cour d’appel est sanctionné par une fin de non-recevoir, suite à l’inobservation d’une règle d’ordre public [2].

Cela étant, l’arrêt présenté repose sur un mécanisme inversé. Quid lorsqu’un tribunal non spécialisé est saisi et, après avoir statué sur un litige relatif à l’article L 442-6 c.com., le recours contre son jugement est formé devant la Cour d’appel de Paris ? La question n’est pas nouvelle, mais les faits sont particuliers, d’autant plus que le jugement comprend des demandes formées sur d’autres fondements (contractuels), et que tribunal saisi figure dans le ressort de la Cour d’appel de Paris.

A défaut de saisir un tribunal spécialisé, seules les autres cours d’appel peuvent connaitre les recours formés contre les décisions rendues par les tribunaux situés dans leur ressort, même si ces derniers ont statué à tort sur une demande relevant de l’article L 442-6 c.com. [3].

En l’espèce, l’appel a été interjeté devant la cour d’appel de Paris ayant dans son ressort le Tricom de Melun, en l’occurrence non spécialisé. Dans cette hypothèse, la compétence de ladite cour se fonde sur l’article R 311-3 du code de l’organisation judiciaire, ainsi la jurisprudence veut que la cour saisie dans ces circonstances puisse examiner la recevabilité des demandes formées devant le tribunal non spécialisé puis, le cas échéant, statuer dans la limite de son propre pouvoir juridictionnel [4].

Il est évident que face à une disposition d’ordre public attribuant la compétence à des tribunaux spécialisés, les juges du Tricom de Melun ont commis un excès de pouvoir en statuant sur des demandes dont ils n’ont pas la compétence, d’où l’annulation partielle de leur décision par la cour d’appel de Paris. Il y a lieu à se demander, pourquoi avaliser pour les tribunaux non spécialisés la possibilité de statuer sur des litiges relatifs à l’article L 442-6 c.com., sachant qu’en appel ces décisions seront annulées totalement ou partiellement, lorsque celles-ci porteront également sur d’autres fondements ?

Fort heureusement qu’en l’espèce, la cour d’appel saisie était celle de Paris. Ainsi, en se prononçant dans la limite de son pouvoir juridictionnel, elle a rappelé sa compétence au degré d’appel concernant l’article L 442-6 c.com, ce qui lui aurait permis d’accorder la recevabilité des demandes formulées au visa de l’article précité grâce à l’effet dévolutif de l’appel (art. 562 du CPC dans sa rédaction antérieure à 2017 ), outre les demandes contractuelles.

Quid si c’était une autre cour d’appel ? Il semble que la solution n’aurait pas été la même. Car après examen de la recevabilité des demandes formées devant le tribunal non spécialisé, la cour d’appel, statuant dans les limites de son pouvoir juridictionnel, se déclarera saisie que pour les demandes hors champ de l’article L 442-6.

Il revient donc aux parties de faire bien attention à ces règles de compétence. L’aval accordé aux juridictions non spécialisées se résout in fine à la stricte application des articles D 442-3 et D 442-4 c.com.

II. La soumission au déséquilibre significatif, résultat d’un rapport de force préexistant entre les parties.

Un déséquilibre contractuel peut être librement accepté, ce qui peut écarter l’allégation de la soumission d’une partie à des obligations injustifiées et non réciproques [5].

En effet, la soumission à un déséquilibre significatif au sens de l’article L 442-6 c.com. résulte des contraintes souvent révélées par l’absence d’un réel pouvoir de négociation d’une partie. Ainsi, on peut présumer l’absence d’un réel pouvoir de négociation d’une partie, faible économiquement, qui craint d’être déréférencée si elle n’adhère pas intégralement aux clauses contractuelles non réciproques proposées par son partenaire commerciale [6].

Tels sont les arguments évoqués par la société SNIE. Premièrement, elle soutenait que la clause pénale sanctionnant par une indemnité la résiliation anticipée n’était pas réciproque, ce que la cour a visiblement admis. Deuxièmement, cette clause n’avait pas fait l’objet de négociations entre les parties car insérée dans un contrat dont les stipulations litigieuses notamment étaient prérédigées par la société Foliateam, argument non réfuté par les juges d’appel.

Cependant, l’enjeu ne reposait pas uniquement sur l’absence de réciprocité de la clause pénale et de sa soustraction à de négociations. Outre ces éléments, la démonstration d’un rapport de force entre les parties était déterminante pour caractériser la soumission à la clause contestée. La victime n’était-elle pas réellement en mesure de négocier ? En l’espèce oui, par une appréciation concrète des faits [7], les juges ont déduit que la société SINE était économiquement bien positionné pour négocier les termes du contrat.

En effet, une comparaison du capital social des deux sociétés a permis aux juges d’aboutir à cette conclusion. Ainsi, lors de la conclusion du contrat, il n’existait pas un rapport de force que la société Foliateam aurait pu exercer pour soumettre unilatéralement la société SNIE à la clause litigeuse, ce qui n’est d’ailleurs pas prouvé par cette dernière. Dit autrement, cette « soumission » résultait plutôt d’une libre acception du contrat présenté, sans risque ultérieure pour la société SNIE en cas de négociation.

Une clause imposée susceptible de créer un déséquilibre significatif est celle qui n’a pas été négociée et qui ne pouvait pas être négociée. Il revient donc à la victime qui allègue ce déséquilibre de prouver le rapport de force empêchant toute négociation, outre l’absence de réciprocité.

Geoffrey Kembo, Juriste

[1Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-10016

[2Cass. com., 20 oct. 2015, n° 14-15851

[3Cass. com., 29 mars 2017 n° 15-17659 et n° 15-24241

[4Cass. com., 29 mars 2017 n° 15-17659

[5Nicolas Dissaux et Romain Loir, Droit de la distribution, LGDJ, 2017, P.306

[6Cass. com., 27 mai 2015, n° 27 mai 2015, n° 14-11387

[7CA Paris, 11 sept. 2013 : Juris-Data n° 2013-019306

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