L’affaire Outreau, est une affaire pénale d’abus sexuel sur mineurs concernant des faits qui se sont déroulés entre 1997 et 2000. Elle a fait l’objet de trois procès, d’une commission d’enquête parlementaire, mais si elle reste dans les mémoires c’est surtout parce qu’elle a mis en évidence des dysfonctionnements de l’institution judiciaire et des médias.

Loin de toute polémique, dans leur ouvrage "Outreau, Angles morts", Jacques Cuvillier et Jacques Delivré, enseignants, souhaitent "faire paraître une étude approfondie qui considère l’ensemble du phénomène médiatique et judiciaire davantage comme un fait historique qu’il est nécessaire de documenter que comme un ensemble de faits divers propres à faire réagir émotionnellement."

L’affaire Outreau a marqué durablement la société française car elle traitait d’un sujet extrêmement sensible et émotionnellement fort, celui de la pédophilie, et qui a donné lieu à une sur-médiatisation et une mystification, une transformation de la réalité.
Comme le précisent les auteurs de l’ouvrage, "Outreau, Angles morts" n’a pas pour objet de refaire le procès, mais, avec du recul et une étude approfondie des nombreux documents relatifs à l’affaire, de comprendre comment l’opinion a pu être ainsi manipulée.

A noter que cette affaire a eu un impact important sur le monde judiciaire et qu’elle a été à l’origine d’une réforme de la Justice dont il a découlé notamment une amélioration de la garde à vue avec entre autre l’enregistrement de celle-ci et des auditions judiciaire ; la possibilité pour les juges de se co-saisir et de travailler à plusieurs sur une même affaire ; la modification de l’article 184 du Code de procédure pénale en imposant aux juges de rendre, à la fin de leur instruction, une ordonnance « en précisant les éléments à charge et à décharge » ; ainsi qu’un profond changement dans le mode de formation des magistrats.

Laissons à Jacques Cuvillier la charge d’expliquer les raisons de la co-rédaction de cette étude "Outreau, Angles morts. Ce que les Français n’ont pas pu savoir."

Village de la Justice : Quelles ont été les motivations pour écrire ce livre ?

Jacques Cuvillier : "Depuis les années du scandale, Outreau est devenu un nom commun. Son spectre souvent brandi dans les audiences comme un talisman est à même de conserver toute son influence tant que ne sera pas découvert toute l’ambiguïté sur laquelle il repose.

Si l’influence des médias sur le fonctionnement de la justice peut être vue sous plusieurs angles et à partir d’exemples multiples, une étude étendue et rigoureuse de leur rôle, précisément dans l’affaire d’Outreau, est riche d’enseignements dans le sens où elle permet une vue panoramique de ses différents modes d’intervention et de ses effets.

Pour ma part, une expérience qui remonte à l’enfance m’a poussé à m’intéresser dès 1988, alors que la Convention Internationale sur les droits de l’enfant était annoncée, aux questions de justice touchant à ces problématiques. L’affaire d’Outreau m’a particulièrement interpellé, et je me suis efforcé d’en comprendre le phénomène en me rapprochant de témoins directs et en confrontant le fruit de mes investigations à ce qu’en ont dit la presse, les médias audiovisuels et les auteurs de différents ouvrages, à ce qui ressort des auditions de la Commission d’enquête parlementaire.

De son côté et d’après ce que je sais, mon co-auteur a d’abord souscrit au récit tel qu’il ressortait des médias. Le livre "Outreau, la Vérité abusée, 12 enfants reconnus victimes" (de M.C. Gryson-Dejehansart) l’a cependant interpellé, et il s’est livré à un scrupuleux travail de vérification, à la lecture de l’ensemble des ouvrages parus sur le sujet et de très nombreux articles de toutes tendances (une centaine d’auteurs sont cités dans notre ouvrage).
Sur ces bases, nos recherches nous ont permis de recouper les informations et interprétations qui relèvent de l’affaire."

Quel point fort, souhaitez vous mettre en avant dans ce livre ?

"Il ressort de nos travaux, une mise en évidence des connexions qui se tissent entre les parties au procès, les médias, le monde politique, le public lui-même en proie à ses angoisses et à ses représentations. Dans ce contexte chaque catégorie cherche à satisfaire ses attentes et la réalité des faits peine à prévaloir. Ce qui en résulte aboutit à une histoire consensuelle qui s’écarte considérablement de cette réalité.

Dans ce qui suscite l’apparition du miroir déformant qui renvoie l’image dont le public et de nombreux professionnels se sont imprégnés, notre approche montre clairement la multiplicité des responsabilités, contrairement aux explications beaucoup plus sommaires qui ont été parfois lues et entendues."

A qui destinez-vous ce livre ?

"Mon co-auteur et moi-même nous sommes rencontrés à Rennes alors que nous assistions jour après jour au procès "Outreau 3" de Daniel Legrand. Nous étions l’un et l’autre sidérés de la différence de perception que nous pouvions avoir entre ce qui apparaissait lors de l’audience et ce qui en était dit sur les ondes et dans la presse qui ne semblait pas parler de la même affaire.
Cette incohérence était révélatrice d’un problème qui méritait d’être traité. Il a donc semblé de notre devoir de la faire connaître au public, mais plus particulièrement aux professionnels de la justice et de la communication afin que les leçons en soient tirées pour l’avenir."

Informations techniques :
Titre : Outreau, Angles morts ;
Auteurs : Jacques Cuvillier et Jacques Delivré ;
Éditeur : du Pétiole ;
ISBN : 978-2-491153-00-7
Parution : 10/07/2019 ;
Prix : 20 euros.

Propos recueillis par Marie Depay, Rédaction du Village de la Justice.

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Comentaires:

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  Sans titre, marie christine gryson, 23 août 2019

  Un ouvrage indispensable qui approfondit avec témoignages et documents à l’appui, les révélations de "Outreau, la vérité abusée", 12 enfants reconnus victimes ( Hugo et cie, 2009 et 2015). Leur analyse rigoureuse est incontournable car elle confirme l’absence totale de contradictoire tout au long du déroulement judiciaire, politique et médiatique de cette affaire.
  Après s’être penchés sur cette affaire et publié divers articles, c’est en assistant au procès de Rennes (Outreau 3) que ces deux enseignants ont pris la mesure de la manipulation de l’opinion avec- entre autre- seulement 10 % des reportages pour les 3 plaignants reconnus précédemment victimes, face à 90% des émissions pro-accusé. L’inversion des valeurs et des culpabilités qui a été à l’oeuvre lors des deux premiers procès, a été ici un modèle du genre. Un simple exemple, l’accusé de plus de 30 ans était présenté à l’opinion par les "6" avocats de la défense, comme un "pauvre gamin" face à trois garçons beaucoup plus jeunes censés s’acharner avec des "Faux souvenirs". Ce diagnostic sauvage de l’Avocat Général était contraire aux expertises des spécialistes en victimologie qui avaient examinés ces victimes lors de l’instruction et du procès de St Omer ( Outreau 1) et il rejoignait celui de la défense toute puissante.

  Ce livre est écrit dans un objectif éthique pour que les chercheurs juristes, sociologues, historiens, psychologues, aient d’autres sources de réflexion que les références à sens unique, qui leur sont généralement proposées.