Village de la Justice www.village-justice.com

Définition du manquement aux règles de l’art dans le contrat d’assurance : rappel d’une nécessité impérieuse ! Par Maud Avril-Logette, Avocat.
Parution : jeudi 31 octobre 2019
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/definition-manquement-aux-regles-art-dans-contrat-assurance-rappel-une,32817.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Par un arrêt du 19 septembre 2019, la troisième chambre civile de la Cour de cassation revient sur la délicate question de la validité de la clause d’exclusion de garantie pour manquement aux règles de l’art dans le contrat d’assurance décennale.

Les faits sont les suivants : Le GAEC des marcassins confie à la Société P. la construction d’un bâtiment agricole. Ladite société fait l’objet d’une procédure de sauvegarde de justice en cours de chantier. Elle bénéficie d’une assurance décennale auprès de la Compagnie GAN. Après interruption des travaux, le maître d’ouvrage, assigne après expertise, le locateur d’ouvrage et son assureur en réfection de la charpente et indemnisation.

La Cour d’appel va rejeter la demande de garantie du constructeur contre son assureur au motif que la clause d’exclusion de garantie pour manquement aux règles de l’art est claire et précise.

Elle considère que l’ensemble de la charpente métallique n’est pas conforme aux règles de l’art en raison du sous-dimensionnement de ses pièces et d’une mauvaise conception de certains de ces constituants. Selon elle, ces anomalies manifestes constituent de la part d’une société spécialisée une inobservation consciente et délibérée des règles de l’art, telles que définies par l’expert, à défaut de normes en la matière.

La Cour de cassation censure le raisonnement de la Cour d’appel et casse et annule la décision sur ce point.

Au visa de l’article L131-1 du Code des Assurances, la cour de cassation rappelle que la clause d’exclusion visant les dommages résultant d’une méconnaissance intentionnelle, délibérée ou inexcusable des règles de l’art et normes techniques applicables dans le secteur d’activité ne permettait pas à celui-ci de déterminer avec précision l’étendue de l’exclusion en l’absence de définition contractuelle de ces règles et normes et du caractère volontaire ou inexcusable de leur inobservation.

Avant toute chose, il convient de noter que le visa retenu par la Cour de cassation est erroné. Il ne s’agit évidemment pas ici de l’article L131-1 Code des assurances (relatif aux assurances-vie) mais de l’article L113-1 du code des assurances qui dispose :
« Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.
Toutefois, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré
 ».
En l’espèce, la clause d’exclusion de garantie opposée par le GAN est donc écartée au regard de son imprécision tant sur les règles de l’art et la norme concernée que sur l’absence de définition du manquement volontaire ou inexcusable du constructeur.

Cette décision s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence déjà bien établie en la matière (à titre d’exemple : Civ.2 12 décembre 2013 n° 12-29862, Civ.3, 27 octobre 2016, n°15-23841). Il ne s’agit donc pas d’un revirement mais bien d’une réaffirmation.

On se souvient, en outre, de la jurisprudence développée en matière de prescription biennale tendant aux mêmes fins, la précision et définition du délai dans le contrat d’assurance (Civ.3, 14 janvier 2010 n° 09-12590), son point de départ (Civ.2, 28 avril 2011, n° 10-16403) et ses causes d’interruption (Civ.2, 7 avril 2016, n°15-14752).

La finalité reste la même dans les deux cas : l’assuré, même professionnel, doit être en mesure à la première lecture du contrat de comprendre le contenu de l’exclusion de garantie. Ce qui n’est pas chose aisée pour une notion, oserons-nous, « caméléon » telle que celle des règles de l’art…

La décision de la Cour d’appel sur ce point est d’ailleurs révélatrice. Cette dernière avait, en effet, renvoyé à la définition de la notion opérée par l’expert judiciaire « en l’absence de normes en la matière ».

Le flou contractuel en la matière profite donc à l’assuré, reste à l’assureur l’impérieuse nécessité de définir urgemment ces notions clés sur lesquelles reposent les exclusions de garantie.

Maud AVRIL-LOGETTE - ARHESTIA Avocat spécialiste en droit immobilier avec une qualification spécifique en construction