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L’accès aux correspondances émises par voie électronique en droit français, par Serge Losappio, Avocat
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Parution : mardi 19 février 2008
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L’accès aux correspondances émises par voie électronique est soumis à un régime juridique particulier (§1). Dans la mesure où un tel dispositif constitue en soi une atteinte grave à la vie privée, une instance de surveillance, garante de la mise en œuvre légitime du système, a été mise en place (§2).
§I/ Un régime juridique particulier.
Avant de développer davantage le présent propos, il convient de préciser la notion de « communication électronique ». Depuis l’adoption en 1990 des directives 90/387/CEE et 90/388/CEE du 28 juin 1990 qui ont constitué le socle de l’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications, jusque là monopolisé dans chaque Etat membre par l’opérateur historique national, la réglementation du secteur s’est progressivement enrichie par strates successives, notamment pour tenir compte des évolutions technologiques.
C’est près de 28 textes communautaires qui ont fini ainsi par composer l’encadrement juridique des activités de télécommunications dans l’Union européenne. Ce cadre législatif d’un abord quelque peu difficile, destiné à créer un marché intérieur, a atteint ses limites avec la convergence croissante entre les réseaux audiovisuels et les réseaux de télécommunications, le téléphone pouvant maintenant être offert sur le câble.
Il est ainsi apparu nécessaire de définir un cadre permettant de soumettre à des règles communes de concurrence l’ensemble de ces services de « communications électroniques ». C’est pourquoi la Commission, après avoir mené à bien une consultation publique sur cette notion de « convergence » engagée dès 1997, a proposé le 12 juillet 2000 un « paquet » de sept textes à adopter selon la procédure de codécision par le Parlement européen et par le Conseil pour redessiner le cadre réglementaire applicable au secteur des communications électroniques.
Ce « paquet », composé de six textes définitivement adoptés en mars 2002 et d’un septième adopté en juillet 2002 (relatif à la protection des données personnelles), comprend :
la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, dite directive « cadre » en ce qu’elle établit le nouvel encadrement juridique général ;
la directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques, dite directive « autorisation », qui définit les prescriptions applicables à l’exercice des activités de communications électroniques, lesquelles ne sont plus soumises à autorisation, mais seulement à déclaration, sauf dans le cas où elles mobilisent des ressources rares, telles les fréquences ou les numéros ;
la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion, dite directive « accès », qui fixe le régime de l’accès en général, et de l’interconnexion en particulier, et encadre les obligations susceptibles d’être imposées en matière d’accès aux opérateurs puissants sur un marché du secteur des communications électroniques ;
la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques, dite directive « service universel », qui détermine les conditions dans lesquelles est assuré le service universel et encadre les obligations susceptibles d’être imposées, notamment en matière tarifaire, aux opérateurs puissants sur un marché de détail du secteur des communications électroniques et qu’a transposée presque intégralement la loi du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom.
la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, dite directive « données personnelles », relative à la protection de la vie privée, susceptible d’être menacée par le développement des communications électroniques. Le principe du consentement préalable pour tout traitement de données personnelles y est décliné ;
la décision n° 676/2002/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire pour la politique en matière de spectre radioélectrique dans la Communauté européenne, dite décision « spectre radioélectrique », qui est d’application directe et n’est donc pas à transposer en droit national ;
la directive 2002/77/CE de la Commission du 16 septembre 2002 relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications électroniques, dite directive « concurrence », prise par la Commission au titre de ses compétences propres en matière de règles de concurrence afin de mettre un terme à tout droit exclusif en matière d’exploitation de réseaux et de fourniture de services de communications électroniques.
La directive 1999/5/CE du 19 mars 1999 du Parlement européen et du Conseil concernant les équipements hertziens et les équipements terminaux de télécommunications, dite « R&TTE », constitue un huitième texte venant compléter le « paquet télécoms ». Le décret n°2003-961 du 8 octobre 2003 relatif à l’évaluation de conformité des équipements terminaux de télécommunications et des équipements radioélectriques et à leurs conditions de mise en service et d’utilisation a assuré sa transposition en droit national :
Il soumet les équipements hertziens mis sur le marché européen (y compris ceux n’utilisant pas de bandes de fréquences harmonisées en Europe) aux « exigences essentielles » qui concernent principalement la protection de la santé et de la sécurité des personnes, la compatibilité électromagnétique et la non perturbation lorsque ces équipements sont utilisés conformément à l’usage prévu.
Cette refonte globale de la réglementation du secteur des communications électroniques, concentrée en moins d’une dizaine de textes communautaires, venant en supplanter près d’une trentaine et couvrant tous types de réseaux, y compris ceux permettant de transmettre des services audiovisuels, répond à un besoin réel des acteurs de ce secteur. En effet, la convergence des secteurs des télécommunications, des media et des technologies de l’information impliquait que tous les réseaux de transmission et les services associés soient soumis à un même cadre juridique.
La loi du 9 juillet 2004 n° 2004-669 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, visant à transposer en droit national l’ensemble des directives communautaires désignées sous le nom de « paquet télécoms », est venue en particulier en instituer une définition standard de la notion de communication électronique et de réseaux de communication électronique, qui remplace celle de « télécommunications ». Ainsi, relativement tout d’abord à la notion de communication électronique, l’article 2 de la loi, modifiant l’article L. 32 du Code des postes et des communications électroniques, prévoit « qu’on entend par communications électroniques les émissions, transmissions ou réceptions de signes, de signaux, d’écrits, d’images ou de sons, par voie électromagnétique ».
Cette définition inclut en pratique toute émission, transmission ou réception de signes, signaux, écrits, images ou sons par voie électromagnétique. Contrairement à l’ancienne, la nouvelle définition ne détaille pas les différents systèmes électromagnétiques (fil, optique, radioélectricité...) autorisant cette transmission d’information. En se limitant à indiquer qu’elle se fait par « voie électromagnétique », la nouvelle définition présente un degré de généralité technique autorisant une application à toutes les technologies de transmission existantes et à venir .
Concernant d’autre part la notion de réseaux de communication électronique, l’article 2 énonce qu’ « on entend par réseau de communications électroniques toute installation ou tout ensemble d’installations de transport ou de diffusion ainsi que, le cas échéant, les autres moyens assurant l’acheminement de communications électroniques, notamment ceux de commutation et de routage.
« Sont notamment considérés comme des réseaux de communications électroniques : les réseaux satellitaires, les réseaux terrestres, les systèmes utilisant le réseau électrique pour autant qu’ils servent à l’acheminement de communications électroniques et les réseaux assurant la diffusion ou utilisés pour la distribution de services de communication audiovisuelle ».
En principe, les pouvoirs publics ne disposent pas d’un droit d’atteinte au secret des correspondances en général, et des correspondances émises par voie de communication électroniques en particulier . Ainsi aux termes de l’article 432-9 alinéa 1 du Code pénal, « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions ou de sa mission, d’ordonner, de commettre ou de faciliter, hors les cas prévus par la loi, le détournement, la suppression ou l’ouverture de correspondances ou la révélation du contenu de ces correspondances, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende ».
Il en va de même pour les correspondances émises par la voie des communications électroniques. De sorte que l’article 432-9 alinéa 2 du Code pénal vient punir des mêmes peines le fait « par une personne visée à l’alinéa précédent ou un agent d’un exploitant de réseaux ouverts au public de communications électroniques ou d’un fournisseur de services de télécommunications, agissant dans l’exercice de ses fonctions, d’ordonner, de commettre ou de faciliter, hors les cas prévus par la loi, l’interception ou le détournement des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications, l’utilisation ou la divulgation de leur contenu ».
A titre exceptionnel cependant, il peut être porté atteinte à ce secret par l’autorité publique, « dans les seuls cas de nécessité d’intérêt public prévus par la loi et dans les limites fixées par celle-ci » . Il résulte de la loi du 10 juillet 1991 que des interceptions de sécurité peuvent être autorisées aux fins de rechercher des renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et la reconstitution ou le maintien de groupement dissous en application de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées .
Pour autant, la portée du droit de transcription du contenu des interceptions de sécurité est limitée. En effet, dans les correspondances interceptées, seuls les renseignements en relation avec l’un des objectifs énumérés précédemment peuvent faire l’objet d’une transcription . Cette prérogative exceptionnelle d’interception administrative, qui se situe donc par définition en dehors du cadre judiciaire, est soumise à une procédure excessivement lourde.
En effet, l’autorisation est accordée par décision écrite et motivée du Premier ministre ou de l’une des deux personnes spécialement déléguées par lui. Elle est donnée sur proposition écrite et motivée du ministre de la défense, du ministre de l’intérieur ou du ministre chargé des douanes, ou de l’une des deux personnes que chacun d’eux aura spécialement déléguées . Cette autorisation est donnée pour une durée maximum de quatre mois, et ne cesse de plein droit de produire effet à l’expiration de ce délai. Elle ne peut être renouvelée que dans les mêmes conditions de forme et de durée .
Le nombre d’interceptions susceptibles d’être pratiquées simultanément est déterminé par le Premier ministre. Elles sont réparties entre les ministères de la défense, de l’intérieur ou du ministère chargé des douanes . Sous l’autorité du Premier ministre, il est établi un relevé de chaque opération d’interception et d’enregistrement. Ce relevé mentionne la date et l’heure auxquelles elle a commencé et celles auxquelles elle s’est terminée .
§II/ Une instance garante de la mise en œuvre légitime du système.
La commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, autorité administrative indépendante, est chargée de veiller au respect de l’ensemble de la réglementation applicable. Elle est présidée par une personnalité désignée pour une durée de six ans par le Président de République, sur une liste de quatre noms établie conjointement par le vice-président du Conseil d’Etat et le premier président de la Cour de cassation .
Lorsque le Premier ministre autorise une interception, le président de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité en est informé dans un délai de quarante-huit heures au plus tard. Si ce dernier considère que la légalité de la décision est douteuse, il réunit la commission, laquelle statue dans les sept jours suivant la réception par son président de la notification. Au cas où la commission estime qu’une interception de sécurité a été autorisée en méconnaissance de la loi, elle adresse au Premier ministre une recommandation tendant à ce que cette interception soit interrompue. Elle porte également cette recommandation à la connaissance du ministre ayant proposé l’interception et du ministre chargé des communications électroniques .
De sa propre initiative ou sur réclamation de toute personne y ayant un intérêt direct et personnel, la commission peut procéder au contrôle de toute interception de sécurité en vue de vérifier si elle est effectuée dans le respect des dispositions légales . Le ministre informe alors sans délai la commission des suites données à ses recommandations .
Chaque année, la commission remet un rapport au Premier ministre, relativement aux conditions d’exercice et aux résultats de son activité. Ce rapport est rendu public .
Cela étant, la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 est venue créer une nouvelle hypothèse de communication de données informatiques en dehors du cadre judiciaire. Elle autorise en effet les agents individuellement habilités des services de police et de gendarmerie spécialisés dans la prévention du terrorisme à se faire communiquer certaines données de trafic générées par les communications électroniques.
Serge Losappio, Avocat
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