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![]() Acheteurs publics : 6 choses qui changent avec la loi relative à l’économie circulaire. Par François Guillaud et Elisabeth Gelot, Avocats.
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Parution : jeudi 13 février 2020
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Le 30 janvier 2020, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a été définitivement adoptée.
Certaines de ses dispositions concernent la commande publique et doivent, au moins sur le papier, permettre aux personnes publiques d’inscrire leur politique d’achat dans une démarche (plus) vertueuse.
Nous vous présentons ici 3 dispositions d’ores-et-déjà applicables, et 3 obligations qui entreront en vigueur courant 2021.
1 - Pour les opérations de construction ou de rénovation de bâtiments : le recours à des matériaux issus du réemploi. [1]
L’article L.228-4 du code de l’environnement impose désormais aux acheteurs publics de veiller au recours à des matériaux de réemploi lors des opérations de construction et de rénovation [2].
Pour ce faire, il est concrètement possible de prévoir une mission d’Assistance Maîtrise d’ouvrage Réemploi. L’AMO Réemploi pourra ainsi accompagner les acheteurs tout au long du projet, de la rédaction des documents contractuels au contrôle des opérations sur le chantier, en passant par la synchronisation des assureurs et des bureaux de contrôle s’agissant du réemploi.
Il est également possible de s’inspirer de clausiers existants. [3]
2 - Pour les commandes de constructions temporaires : l’exclusion de la mention « neuf » ou l’ouverture explicite au réemploi. [4]
Le législateur l’a constaté : les appels d’offres de constructions modulaires exigent trop souvent le caractère neuf des bâtiments commandés.
Un nouvel article L.2172-5 a donc été ajouté au sein du code de la commande publique.
Il est ainsi prévu que les acheteurs ne puissent plus exclure les constructions temporaires ayant été reconditionnées pour réemploi lorsque ceux-ci en acquerront de nouvelles.
Cette interdiction d’exclusion impose une exigence dont la légitimité semble évidente : le niveau de qualité et de sécurité de ces constructions temporaires ayant fait l’objet d’un reconditionnement pour réemploi devra être équivalent à celui des constructions temporaires neuves.
Il conviendra de tenir compte, dans ce cadre, des incidences énergétiques et environnementales de la construction sur toute sa durée de vie.
3 - Pour les achats de pneumatiques : l’exigence de pneus rechapés. [5]
Un nouvel article L.2172-6 est également créé au sein du code de la commande publique.
Lors de l’acquisition de pneumatiques, et dans un souci de préservation des ressources naturelles, l’État, les collectivités territoriales et leurs opérateurs doivent s’orienter vers des pneumatiques rechapés.
Il doit être noté que cette obligation n’a pas vocation à s’appliquer dans le cadre de l’acquisition de véhicules.
Deux réserves sont au demeurant prévues dans le nouveau dispositif :
• les véhicules d’urgence et les véhicules militaires ne sont pas contraints par ce dispositif ;
• et il sera possible d’y échapper en cas de première consultation infructueuse.
1 - Pour les marchés de fournitures : la nécessaire modification des cahiers des charges pour privilégier les biens issus du réemploi ou comportant des matières recyclées. [6]
Quand ? à compter du 1er janvier 2021.
La loi relative à l’économie circulaire prévoit que les services de l’Etat, les collectivités territoriales, et leurs groupements devront réduire la consommation de plastiques à usage unique et la production de déchets.
A ce titre, ils devront privilégier les biens issus du réemploi ou intégrant les matières recyclées.
Pour ce faire, il est prévu que les acheteurs insèrent des clauses et des critères en ce sens dans les cahiers des charges.
Concrètement, il n’y a pas encore à notre connaissance de clausier disponible en libre accès.
Toutefois un travail collaboratif (au sein de groupements / associations de collectivités) pourrait permettre de rédiger des clausiers à destination de tous les acheteurs concernés.
2 - Pour certains marchés de fournitures (liste à venir par décret) : l’exigence de biens issus du réemploi ou comportant un certain taux de matières recyclées. [7]
Quand ? A compter du 1er avril 2021.
La loi prévoit qu’à compter de cette date, les biens acquis annuellement par les services de l’Etat et les collectivités territoriales et leurs groupements devront être issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrer des matières recyclées dans des proportions allant de 20% à 100% en fonction du type de produit considéré.
Au cours des débats parlementaires, des propositions ont été faites : 20 % s’agissant des téléphones, 20 % s’agissant des biens d’ameublement.
Finalement, il a été décidé de laisser le pouvoir réglementaire gérer plus précisément cette question.
Il faut maintenant attendre la publication du décret en Conseil d’Etat qui établira la liste des produits concernés et les taux qui leur seront applicables.
Sa sortie devra être étroitement surveillée !
Deux réserves principales sont néanmoins d’ores et déjà expressément formulées :
• la « contrainte opérationnelle liée à la défense nationale »
• ou la « contrainte technique significative liée à la nature de la commande publique »
permettront un affranchissement des règles précitées.
3 - Pour les commandes de logiciels : l’exigence de spécifications techniques liées à l’éco-conception. [8]
Quand ? Dès que cela sera techniquement possible !
L’article 6 bis de ce projet de loi comporte une disposition relative à l’acquisition de logiciels.
Les acheteurs (en ce compris les personnes privées chargées d’une mission de service publique [9]) « promeuvent le recours à des logiciels dont la conception permet de limiter la consommation énergétique associée à leur utilisation ».
Avec cette disposition, le législateur semble être allé un peu vite en besogne puisqu’en matière de logiciels éco-conçus le processus est engagé mais n’en est qu’à ses débuts.
Le principe a toutefois le mérite d’être posé.
L’ADEME s’est saisie de la question et finance pour partie un projet « qui a pour but le développement et l’expérimentation d’un référentiel d’évaluation des impacts environnementaux des services numériques basé sur une approche d’analyse du cycle de vie (ACV) en vue de leur écoconception », qui en est encore au stade de l’expérimentation [10]
Une fois qu’un référentiel aura émergé, il conviendra de promouvoir le recours à des logiciels éco-conçus, en passant notamment par l’insertion de spécifications techniques non discriminatoires.
François GUILLAUD et Elisabeth GELOT Avocats au Barreau de Lyon [->contact@fguillaud-avocat.fr] [->contact@gelot-avocat.fr]En conclusion, il reste des questions de constitutionnalité en suspens.
Certaines dispositions susvisées devront éventuellement passer le « filtre » de la constitutionnalité, dans la mesure où elles pourraient être interprétées comme portant atteinte à la liberté d’entreprendre [11].
A noter néanmoins que très récemment, le Conseil Constitutionnel a fait évoluer sa jurisprudence en considérant que la protection de l’environnement pouvait justifier des restrictions importantes à la liberté d’entreprendre [12].
La loi comporte d’autres nouveautés : elle prévoit notamment un nouveau diagnostic pré-démolition « Produits, Matériaux, Déchets », des obligations de création de zones de réemploi dans les déchetteries communales, etc. Ces sujets feront l’objet de prochains articles.
[1] Article 6 quinquies A du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.
[2] Rédaction à venir de l’article L.228-4 du code de l’environnement : « La commande publique tient compte notamment de la performance environnementale des produits, en particulier de leur caractère biosourcé. Dans le domaine de la construction ou de la rénovation de bâtiments, elle prend en compte les exigences de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et de stockage du carbone et veille au recours à des matériaux de réemploi ou issus des ressources renouvelables. »
[3] Comme, par exemple, celui élaboré par le Syndicat Mixte Bil Ta Garbi en partenariat avec Nobatek/Inef4 et le réseau 3AR (Association des achats publics responsables en Nouvelle-Aquitaine).
[4] Article 6 ter A du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.
[5] Article 6 quinquies du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.
[6] Article 6 bis du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.
[7] Article 6 quater du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.
[8] Article 6 bis du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.
[9] Renvoi de l’article 6 du projet de loi à l’article L.300-2 du code des relations entre le public et l’administration.
[10] Sources : https://appelsaprojets.ademe.fr/aap....
[11] Cons. const. décision n° 2013-317 QPC du 24 mai 2013.
[12] Cons. const. décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020.
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