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Puis-je être licencié en raison de la pandémie du coronavirus ? Par Guilain Lobut, Avocat.
Parution : mardi 21 avril 2020
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Si le gouvernement espagnol a décidé le 27 mars dernier d’interdire tout licenciement pendant la pandémie de coronavirus, la France n’a pas posé d’interdiction de principe. La Ministre du Travail, Madame Muriel Penicaud, a simplement indiqué le 29 mars : « surtout ne licenciez pas, vous serez remboursés par l’Etat des salaires jusqu’à 4,5 fois du SMIC mais ne licenciez pas ».

Le gouvernement français a ainsi souhaité que soient mises en œuvre toutes les mesures alternatives possibles, permettant au maximum d’éviter les licenciements [1].

Toutefois, certains employeurs pourraient être amenés à procéder à des licenciements, soit pendant la période de confinement, soit dans la période qui suivra, en invoquant des motifs divers et variés [2].

I. La pandémie du coronavirus peut-elle justifier mon licenciement pour motif économique ?

La pandémie du coronavirus risque de provoquer une vague de licenciement pour motif économique sans précédent.

Ce type de licenciements pourra cependant être contesté en justice s’il n’est pas motivé par l’une des raisons de l’Article L1233-3 du Code du travail : difficultés économiques, mutations technologiques (non traité dans cet article), réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, cessation d’activité de l’entreprise.

1. Difficultés économiques.

Les difficultés économiques sont notamment caractérisées par une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
- Un trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés ;
- Deux trimestres consécutifs pour une entreprise de 11 à 49 salariés ;
Trois trimestres consécutifs pour une entreprise de 50 à 299 salariés ;
Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de 300 salariés et plus.

Si cette baisse n’est pas constatée sur ces périodes, le licenciement pour motif économique, dû par exemple à une perte de chiffre d’affaires lié à la pandémie, est injustifié.

En tout état de cause, la preuve de réelles difficultés économiques doit être rapportée par l’employeur, et non seulement alléguée.

Les licenciements pour motif personnel (insuffisance professionnelle, disciplinaire) notifiés durant la période de pandémie et de confinement pourront être contestés s’ils s’avèrent relever en réalité d’un licenciement économique déguisé.

2. Réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.

La notion de sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise est mal définie par la loi et la jurisprudence.

Si on s’en tient à une définition économique, la compétitivité est la mesure de la performance de l’entreprise au regard de la concurrence, objectivée grâce à différents indicateurs (coûts, prix, parts de marché…). La nécessité de sauvegarder la compétitivité requiert notamment une analyse approfondie de l’évolution des parts de marché de l’entreprise sur son secteur d’activité.

La jurisprudence admet communément la validité des licenciements liés à une réorganisation de l’entreprise pour sauvegarder la compétitivité lorsqu’il s’agit d’anticiper des difficultés économiques à venir [3]. Ces difficultés prévisibles doivent néanmoins être justifiées.

En revanche, les licenciements sont injustifiés lorsqu’ils ont pour but de réaliser des bénéfices plus importants [4] ou de réduire la masse salariale [5].

Ainsi, les entreprises qui auront recours à ce motif devront démontrer que les licenciements ont été nécessaires pour conserver leurs parts de marché, dans un contexte où le juge tiendra très probablement compte du fait que tous les acteurs d’un même marché ont été simultanément impactés par la crise du coronavirus.

3. Cessation d’activité de l’entreprise.

La cessation d’activité de l’entreprise doit être définitive et totale et ne doit pas résulter de l’attitude fautive de l’employeur [6].

La cessation d’une partie des activités de l’entreprise (par exemple un seul établissement) ne constitue pas en soi un motif économique de licenciement [7].

La crise du coronavirus risque d’entraîner la fermeture définitive de certaines entreprises (notamment certains commerces disposant de peu de trésorerie ou exposés à une perte considérable de chiffre d’affaires), ce qui constitue un motif autonome de licenciement, à condition que l’activité ne soit pas transférée et poursuivie par un repreneur.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de l’entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux autres entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

II. La pandémie du coronavirus peut-elle justifier la rupture de mon contrat de travail pour force majeure ?

1. La pandémie du coronavirus remplit-elle les conditions de la force majeure en droit du travail ?

Conditions de la force majeure : extériorité, imprévisibilité, irrésistibilité.

En droit du travail, la force majeure est caractérisée par la survenance d’un événement extérieur, imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, c’est-à-dire que la survenance de l’événement en cause n’a pas pu être empêché [8].

Ces trois conditions (extériorité, imprévisibilité, irrésistibilité) sont cumulatives.

La rupture du contrat de travail pour force majeure n’est juridiquement pas un licenciement
 [9].

La charge de la preuve de la force majeure pèse sur l’employeur, et non sur le salarié [10].

Le fait du prince est un cas particulier de force majeure : il s’agit de tout acte de la puissance publique (comme l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 prévoyant la fermeture temporaire de nombreux établissements) qui rend impossible, pour l’un ou l’autre des contractants, l’exécution du contrat de travail. Pour constituer un cas de force majeure, il est nécessaire de s’assurer que le fait du prince en remplit bien les trois conditions.

Application de ces conditions à la pandémie du coronavirus.

La pandémie du coronavirus est, sans doute, un événement extérieur et imprévisible pour les contrats de travail conclus bien antérieurement à sa révélation.

Pour les contrats de travail conclus à une période où la pandémie était déjà connue, et notamment durant la période de confinement, la condition d’imprévisibilité se semble plus remplie.

Pour les mêmes raisons, la force majeure tirée des arrêtés du gouvernement fermant différents lieux au public pourrait être contestée en raison du caractère prévisible de l’interdiction, notamment au regard des dispositions prises antérieurement dans les pays voisins.

La condition d’irrésistibilité est quant à elle remplie si le contrat de travail ne peut absolument pas être poursuivi en raison de la pandémie du coronavirus.

Il est toutefois nécessaire de tenir compte des précisions de l’article 1218 du Code civil qui prévoit que :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1
 ».

Ces dispositions ont une incidence directe en droit du travail : si l’empêchement de poursuivre la relation de travail n’est que temporaire, le contrat de travail doit en principe être simplement suspendu mais si cet empêchement est définitif, alors le contrat de travail pourrait être rompu pour force majeure.

Il en résulte que les salariés embauchés en CDD de courte durée [11] risquent d’être davantage exposés à la rupture de leur contrat pour force majeure (si tant est que toutes les conditions susvisées soient bien respectées), que les salariés en CDI pour lesquels le contrat de travail ne pourrait être que temporairement suspendu.

Dans ces circonstances exceptionnelles et inédites, et compte tenu des répercussions économiques considérables à venir, il est cependant difficile de présager des décisions qui seront prises par les juges en la matière.

2. Quelles indemnités en cas de rupture du contrat de travail pour force majeure ?

Les conséquences indemnitaires diffèrent selon que le contrat de travail est un CDI ou un CDD.

Concernant les CDI :

D’un point de vue procédural, la rupture du contrat de travail pour force majeure n’ayant juridiquement pas la nature d’un licenciement, l’employeur est en principe dispensé de respecter la procédure de licenciement et notamment de convoquer le salarié à un entretien préalable.

Il n’est également pas tenu de respecter un délai de prévenance quelconque entre la notification de la rupture du contrat et le terme effectif de la relation de travail.

S’agissant des indemnités de rupture, l’employeur est libéré du versement des indemnités de licenciement et de préavis, uniquement dans le cas très particulier de la cessation de l’entreprise pour cas de force majeure [12].

L’employeur reste néanmoins redevable de l’indemnité compensatrice de congés payés.

A contrario, dans tous les autres cas, et notamment celui d’un sinistre relevant d’un cas de force majeure, l’employeur qui rompt le contrat de travail pour force majeure reste tenu de payer au salarié les indemnités suivantes : indemnité de licenciement, indemnité de préavis, indemnité compensatrice de congés payés [13].

En cas de contestation en justice de la force majeure, l’employeur pourrait également être condamné à payer au salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Concernant les CDD et les contrats de mission :

Le Code du travail prévoit la possibilité de rompre un CDD ou un contrat de mission avant l’arrivée du terme en cas de force majeure, sans que le salarié puisse prétendre à des dommages et intérêts [14].

S’agissant des contrats de mission, le Code du travail précise toutefois que : « La rupture du contrat de mise à disposition ne constitue pas un cas de force majeure » [15].

L’indemnité de fin de contrat/mission (ou de précarité) n’est pas due en cas de rupture anticipée pour force majeure [16].

Important : lorsque le contrat de travail est rompu avant l’échéance du terme en raison d’un sinistre relevant d’un cas de force majeure, le salarié a également droit à une indemnité compensatrice dont le montant est égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat. Cette indemnité est à la charge de l’employeur [17].

Reste à savoir si le juge prud’homal considérera ou non que de la pandémie de coronavirus est un « sinistre relevant d’un cas de force majeure ». L’Administration du Travail en a donné une définition extensive : « Selon le droit des assurances, le sinistre est défini comme étant la réalisation du risque prévu au contrat de nature à entraîner la garantie de l’assureur. Il est donc possible de considérer que les dispositions de l’article L122-3-4-1 (nouvel article L1243-4) auront vocation à s’appliquer pour tout événement relevant de la force majeure. » [18].

Dans un arrêt du 20 janvier 2015, la Cour d’appel de Paris a retenu une définition similaire du sinistre comme étant la réalisation d’un risque contre lequel l’employeur aurait pu s’assurer, avant de décider qu’une insurrection ne rentrait pas dans cette catégorie [19]. Si le juge venait à décider du contraire concernant la pandémie, le salarié pourrait alors recevoir une indemnisation conséquente.

III. La pandémie du coronavirus peut-elle justifier la rupture de ma période d’essai ?

La période d’essai permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent [20].

Le Code du travail prévoit que les dispositions applicables en matière de licenciement pour motif économique ne sont pas applicables à la rupture de la période d’essai [21].

La Cour de cassation a par ailleurs déjà pu préciser que : « La période d’essai étant destinée à permettre à l’employeur d’apprécier la valeur professionnelle du salarié, la résiliation du contrat de travail intervenue au cours de cette période pour un motif non inhérent à la personne de ce dernier est abusive » [22].

En conséquence, hors cas de force majeure, la période d’essai ne peut être rompue en raison de la pandémie du coronavirus et des difficultés économiques générées.

Guilain Lobut Avocat au barreau de Paris Email: [->gl@lobut-avocat.com] Site: guilainlobutavocat.fr

[1Activité partielle, télétravail, arrêt maladie pour garde d’enfants, report du paiement des charges sociales…

[2Licenciement pour motif économique, force majeure, rupture de période d’essai…

[3Cass. Soc. 11 janvier 2006 n° 04-46.201.

[4Cass. Soc. 12 décembre 2001, n° 99-45.248.

[5Cass. Soc. 15 décembre 1998, n° 96-44.571.

[6Cass. Soc. 10 octobre 2006 n° 04-43.453.

[7Cass. Soc. 29 juin 2005 n° 03-43.664.

[8Cass. Soc. 16 mai 2012 n° 10-17.726.

[9Cass. Soc. 24 avril 1986 n° 83-43.220.

[10Cass. Soc. 20 mai 2009 n° 08-10.637 ; CA Paris, 20 janvier 2015, n° 12/09002.

[11Exemple : CDD saisonnier pour travailler dans un restaurant, CDD pour organiser un événement culturel estival.

[12Art. L1234-12 du Code du travail.

[13Cf. notamment art. L1234-13 du Code du travail.

[14Art. L1243-1, L1243-4 alinéa 1 et L1251-26 du Code du travail.

[15Art. L1251-27 du Code du travail.

[16Art. L1243-10 et L1251-33 du Code du travail.

[17Art. L1243-4 alinéa 2 du Code du travail.

[18Circulaire DRT n° 2002-08 du 2 mai 2002.

[19CA Paris, 20 janvier 2015, n° 12/09002.

[20Art. L1221-20 du Code du travail.

[21Art. L1231-1 du Code du travail.

[22Cass. Soc. 20 novembre 2007 n° 06-41.212.

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