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Obtention d’une déclaration préalable modificative : un faux problème. Par Christian Mouchel, Avocat.
Parution : mardi 12 mai 2020
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Il peut s’avérer utile de lever une ombre sur une incertitude créée non par la doctrine mais par la pratique : déposer et obtenir une déclaration préalable modificative est non seulement possible mais surtout de droit.

Volontairement, la hiérarchie des normes sera inversée en commençant par la doctrine.

1. La déclaration modificative en doctrine : traitée et admise (première fois).

Une brève recherche conduit à un double constat favorable.

Dans son commentaire sur la déclaration préalable, Antoine Beal précise :

« En revanche, si la décision de non-opposition a déjà été obtenue, mais que l’audit a mis en évidence des irrégularités susceptibles de constituer des moyens d’annulation de la décision, l’avocat peut, le cas échéant conseiller à son client de déposer une déclaration préalable modificative afin de « régulariser » la décision obtenue et éviter ainsi une annulation contentieuse. » [1].

Analyse partagée par Francis Polizzi :

« Même si, contrairement au permis de construire, le code ne les prévoit pas, rien ne s’oppose au dépôt d’une demande et à la délivrance d’une décision de transfert d’une décision de non-opposition à déclaration préalable et d’une déclaration modificative. » [2]

Reste maintenant à s’assurer que la jurisprudence et la loi le prévoient également.

2. La déclaration modificative par la jurisprudence : traitée et admise (deuxième fois).

Les recherches, sur Légifrance et ArianeWeb, répondant à la seule expression « déclaration préalable modificative » ont mis en évidence deux types de décisions :

-  celles qui jugent d’une déclaration préalable modificative comme décision administrative ayant de facto intégrée l’ordonnancement juridique.

Pour une décision topique rendue sur une déclaration préalable modificative délivrée par la ville de Quimper :

« 4. En revanche, la déclaration modificative qui a donné lieu à l’arrêté de non-opposition du 25 septembre 2015 mentionne qu’elle porte notamment sur " l’ouverture d’une partie du mur ouest du garage pour pouvoir y rentrer une seconde voiture, à côté de la partie déjà ouverte ". » [3]

Force est de constater que le juge ne remet pas en question l’existence de cette décision et accepte de la prendre en compte.

-  celles qui en valident le principe et précisent le régime applicable aux déclarations préalables modificatives :

o une décision ancienne du Conseil d’Etat faisant d’ailleurs application de la jurisprudence Fontaine de Villiers [4] :

« Considérant que lorsqu’un arrêté de non opposition aux travaux déclarés a été délivré sans que soient respectées des formes ou formalités, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par un arrêté modificatif dès lors que celui-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises ; que les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’arrêté initial de non opposition aux travaux déclarés ; qu’ainsi en jugeant que l’arrêté complémentaire du 29 juillet 2008 n’était pas susceptible de régulariser l’illégalité dont se trouvait entaché l’arrêté du 11 avril 2008, le tribunal administratif a entaché sa décision d’erreur de droit ; que dès lors son jugement en date du 17 décembre 2009 doit être annulé ; » [5]

 un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux :

« 4. Le 16 janvier 2014, M. E...a déposé une nouvelle déclaration préalable portant sur le même abri, qui a fait l’objet d’une décision de non-opposition le 6 février 2014. Bien qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne s’oppose à ce qu’un arrêté de non opposition aux travaux déclarés entaché d’un vice de fond ou de forme soit régularisé par un arrêté modificatif, il ressort des pièces du dossier, et notamment du constat d’huissier du 21 juin 2012, qu’à la date à laquelle M. E... a fait cette nouvelle déclaration pour revêtir de bardages en bois les trois côtés fermés de l’abri de jardin, sa construction telle qu’autorisée était déjà achevée. Dès lors, même si l’adjonction de bardage en bois avait pour objet de régulariser l’abri de jardin au regard des dispositions de l’article UC 11 du plan local d’urbanisme et si aucune déclaration d’achèvement des travaux ne ressort du dossier, la demande tendait en réalité à la délivrance d’une décision nouvelle de non-opposition à déclaration préalable et non à celle d’une décision modificative. » [6]

Ces décisions semblent parfaitement établir la validité d’une déclaration préalable modificative, quand bien même aucune disposition législative ou réglementaire ne la prévoirait. C’est d’ailleurs ce qui est en substance le lot du permis modificatif, simple construction jurisprudentielle.

Mais si l’on remonte/descend la pyramide inversée, se trouvent alors au sommet/à la base les dispositions du Code de l’urbanisme.

3. La déclaration modificative par le code de l’urbanisme : traitée et admise (troisième fois).

On citera d’abord les dispositions réglementaires en commençant par le 1er alinéa de l’article R. 462-9 du code de l’urbanisme relatif à « L’achèvement des travaux de construction ou d’aménagement » :

« Lorsqu’elle estime que les travaux ne sont pas conformes à l’autorisation, l’autorité compétente pour délivrer le permis ou prendre la décision sur la déclaration préalable met en demeure, dans le délai prévu à l’article R. 462-6, le maître de l’ouvrage de déposer un dossier modificatif ou de mettre les travaux en conformité avec l’autorisation accordée. »

Cet article, bien établi, prévoit depuis fort longtemps un mécanisme de régularisation par le dépôt d’un « dossier modificatif » dont il faut bien admettre que l’expression vise tant le permis que la déclaration préalable.

Encore, sous l’article R. 421-9 du Code de l’urbanisme (dans sa version commentée) qui définit les « Constructions nouvelles soumises à déclaration préalable », il est indiqué que :

« Le rapport d’information parlementaire des sénateurs François Calvet et Marc Daunis (n° 720) recommande la création d’une procédure de déclaration modificative afin d’éviter d’avoir à en déposer une nouvelle pour des changements mineurs. Le juge pourrait alors surseoir à statuer à fin de régularisation, conformément à l’article L. 600-5-1 du présent code. » (Commentaires par Bernard Lamorlette et Dominique Moreno, LexisNexis).

Pour être plaisant, reste à en fournir l’extrait :

« Dans le domaine de l’urbanisme, les principales pistes de simplification réglementaire concernent les procédures d’autorisation individuelles. Le groupe de travail invite le Gouvernement à réfléchir, notamment à :

– la création d’une procédure de déclaration préalable modificative. En effet, en l’absence d’une telle procédure modificative, dès lors, la modification des travaux objet de la déclaration préalable nécessite le dépôt d’un nouveau dossier portant sur la totalité des travaux. Dans un second temps, il conviendrait également de modifier l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, pour rajouter la déclaration préalable modificative, après le permis modificatif. La DP modificative suivrait ainsi le même régime contentieux que le PC modificatif ; » (Rapport d’information fait au nom du groupe sénatorial de travail sur la simplification législative du droit de l’urbanisme, de la construction et des sols (1), constitué par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (2), Par MM. François Calvet et Marc Daunis, Sénateurs, n°720, Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 juin 2016)

Il s’agit là d’une intention délicate mais qui fait litière de la position de principe du Conseil d’Etat de 2011 précédemment visée qui admet le recours à une déclaration modificative. Pour autant, la proposition démontre bien l’incertitude existante quant à son usage.

Venons-en alors à la loi, et en particulier aux articles L. 600-5, L. 600-5-1 et L. 600-5-2 du code de l’urbanisme qui, en intégrant la décision de non opposition à déclaration préalable, en alignent le régime de la modification sur celui du permis modificatif. Autrement dit, la loi ELAN [7] a eu pour objet d’étendre le bénéfice des mécanismes prévus par ces articles aux déclarations préalables.

Ainsi, l’article L. 600-5-2 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi ELAN prévoit que :

« Lorsqu’un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d’une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d’aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance. »

Dans ses conclusions sous la jurisprudence Commune de Cogolin, Monsieur le Rapporteur Public, Louis Dutheillet de Lamothe a soutenu que :

« 6. Appliquant immédiatement cette loi, vous en adopterez également le nouveau vocabulaire puisque le législateur a souhaité que l’acte pris pour régulariser un permis ou une déclaration préalable dont le juge a constaté qu’il est irrégulier ne soit plus assimilé à un permis modificatif ou à une déclaration modificative mais désigné comme une « mesure de régularisation », en l’espèce un permis de régularisation. » [8].

Que faut-il déduire de tout cela ? Que nonobstant les avis librement exposés sous la force des habitudes, une déclaration préalable peut faire l’objet de modifications ou de régularisations. En résumé, il peut être tenu pour acquis que le régime de la déclaration préalable modificative suit celui du permis modificatif.

Ce qui a deux incidences immédiates :

-  la première tient à la nature des modifications susceptibles d’être apportées. Pour l’essentiel, les modifications apportées au projet par la déclaration modificative ne devront pas bouleverser son économie générale,

-  la seconde tient aux règles opposables à la déclaration modificative.

La récente réponse parlementaire visant les permis modificatifs pourra servir d’inspiration :

« Si le permis modificatif ne fait pas l’objet d’un encadrement strict par le code de l’urbanisme, la doctrine ainsi que la jurisprudence administrative ont déjà consacré les principales lignes directrices de son régime lorsque celui-ci sert à modifier un projet déjà autorisé. Ainsi, un permis modificatif est délivré au regard des règles d’urbanisme applicables au jour où il est accordé, même si ces règles ont évolué depuis la délivrance du permis initial. Ces nouvelles règles d’urbanisme n’évoluent pas toujours d’une manière défavorable au pétitionnaire : le demandeur peut se voir opposer des règles plus avantageuses pour la réalisation de son projet. Par ailleurs, un certificat d’urbanisme a pour effet de cristalliser les règles applicables à sa date de délivrance (expresse ou tacite) pour une durée de 18 mois. Cette cristallisation s’applique également au permis modificatif lorsque le pétitionnaire bénéficie d’un certificat d’urbanisme toujours en cours de validité au moment du dépôt de sa demande de modification. Ainsi, le permis modificatif sera également instruit en prenant en compte les droits acquis par le certificat. Il n’est donc pas prévu de modifier le code de l’urbanisme pour codifier un régime qui doit conserver sa souplesse ou introduire un nouveau régime qui pourrait, en tout état de cause, se révéler moins favorable au porteur de projet. » [9]

En conclusion, rien ne s’oppose à la délivrance d’une déclaration modificative, suivant le régime du permis modificatif. Le refus d’instruction qui serait opposé par une administration pourrait être contesté en sollicitant du juge qu’il lui soit enjoint d’y procéder.

Sauf si les réticences devaient perdurer, il ne semble pas nécessaire que l’existence de la déclaration préalable modificative soit consacrée par les textes mais plutôt que la pratique s’en empare et qu’un Cerfa lui soit dédié afin d’en simplifier l’instruction.

Pour remettre la pyramide dans le bon ordre, la déclaration modificative est traitée et admise : par la loi (oui), par la jurisprudence (oui) et la doctrine (oui). Un avant-goût de ce "monde d’après" tant fantasmé ?

Conseil juridique (immobilier, urbanisme, construction et assurance-construction) Membre de l'Association Française des Juristes d'Entreprise Ancien avocat au Barreau de PARIS

[1Antoine Beal, Professeur associé à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Fiche pratique, n°130 – Déposer une déclaration préalable, LexisNexis, 03.05.2019

[2Francis Polizzi, Président du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, Fasc. 1314 : Autorisations d’urbanisme - Règles spécifiques de délivrance et de mise en œuvre, 09.10.2019, 190. – Déclaration modificative et transfert

[3CAA Nantes, 02.07.2019, req. n°18NT01455

[4CE, 02.02.2004, req. n°238315, Mentionné dans les tables du recueil Lebon

[5CE, 06.05.2011, req. n°336919

[6CAA Bordeaux, 28.12.2017, req. n°15BX03721

[7loi n°2018-1021 du 23.11.2018, art. 80

[8M. Louis Dutheillet de Lamothe, Rapporteur public, sous la décision du 15 .02.201req. n°401384, Commune de Cogolin

[9Question écrite n°5498, de M. Guy Teissier (Les Républicains - Bouches-du-Rhône, Question publiée au Joan le : 13/02/2018 page : 1068, Réponse publiée au Joan le : 17/04/2018 page : 3234

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