Village de la Justice www.village-justice.com

Quels motifs invoquer pour refuser une garde alternée ? Par Sarah Saldmann, Avocat.
Parution : jeudi 3 décembre 2020
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/quels-motifs-invoquer-pour-refuser-une-garde-alternee,37359.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Aux termes de l’article 373-2-9 du Code civil : « la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux ».

Toutefois, ce fondement juridique n’impose pas que : « le temps passé par l’enfant auprès de son père et de sa mère soit de même durée ; les juges du fond peuvent, si l’intérêt de l’enfant le commande, compte tenu des circonstances de la cause, décider d’une alternance aboutissant à un partage inégal du temps de présence de l’enfant auprès de chacun de ses parents » (Civ. 1re, 25 avr. 2007, no 06-16.886).

Actuellement, la garde alternée concerne moins d’un enfant sur quatre. En effet, le mode de garde « classique » le plus utilisé est celui où la résidence habituelle de l’enfant est fixée au domicile d’un parent et que l’autre ait un droit de visite et d’hébergement, généralement un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires.

Si la garde alternée présente des avantages certains comme une plus grande égalité entre les parents, il peut arriver que l’un deux soit farouchement opposé à sa mise en place.

Lorsque les époux sont mariés, cela devra être réglé par le divorce. En cas de désaccord sur le mode de garde, le divorce par consentement mutuel est exclu.

Néanmoins, si le divorce est déjà prononcé et qu’un des parents souhaite faire évoluer les modalités de la garde ou que les parents étaient concubins ou partenaires de PACS et que l’un d’eux souhaite instaurer une résidence alternée, il conviendra de saisir le juge aux affaires familiales en cas de désaccord. Au contraire, en cas d’accord, il suffit d’une convention parentale à faire homologuer par le juge aux affaires familiales pour entériner la garde alternée.

Dès lors, quels sont les arguments que l’on peut invoquer pour refuser la mise en place d’une garde alternée ?

I. L’éloignement géographique des deux domiciles et de l’école.

Il n’existe pas de grilles officielles instaurant la distance maximale entre deux domiciles pour que la garde alternée soit possible. Toutefois, ce critère est souvent assez objectif pour être apprécié par les juges aux affaires familiales bien qu’il dépende aussi de l’âge de l’enfant. De plus, cela varie en fonction de la zone géographique considérée dans la mesure où dix kilomètres prennent plus de temps dans Paris qu’en région.

La distance avec l’école est également un paramètre important que le juge prend en compte. Si la mise en place de la garde alternée implique une réduction du temps de sommeil des enfants, le juge sera naturellement moins enclin à la prononcer.

II. L’incapacité matérielle pour un parent de recevoir l’enfant.

Si l’un des parents ne dispose pas d’une situation stable et d’un logement décent permettant d’accueillir l’enfant, il est évident que la garde alternée n’est pas une solution adaptée. En effet, un parent, qui, par exemple, vit dans une chambre de bonne, peut difficilement prétendre à une garde alternée quand l’autre parent dispose d’une chambre par enfant.

III. L’instabilité d’un parent.

Pour qu’une garde alternée soit mise en place, cela sous-tend tout d’abord que les deux parents soient titulaires de l’autorité parentale et qu’ils soient en capacité de s’occuper de l’enfant. Ainsi, ce mode de garde ne sera probablement pas prononcé quand un parent déménage souvent ou qu’il voyage à l’étranger plusieurs mois par an pour des motifs professionnels. De plus, l’instabilité peut aussi être liée à des problèmes médicaux, comme un alcoolisme notoire, des problèmes d’addiction aux substances illicites etc.

IV. La mésentente entre les parents.

La garde alternée suppose un minimum d’entente entre les parents pour être mise en œuvre de manière effective et pérenne. Ainsi, lorsque les relations sont conflictuelles ou que le dialogue est complètement rompu, la mise en place de la résidence alternée peut s’en trouver compromise.

Toutefois, il ne suffit pas d’envenimer volontairement les relations avec l’autre parent pour être certain que la garde alternée ne soit pas prononcée. En effet, si cet élément est pris en considération, il ne saurait être le seul critère déterminant.

En revanche, le parent qui souhaite la garde alternée ne peut pas l’exiger du juge sous prétexte que les difficultés de communication seraient sans importance [1].

De plus, il a été jugé qu’une garde alternée pouvait prendre fin si elle a pour effet d’exposer « l’enfant à une tension quasi quotidienne et à des situations douloureuses en raison de l’absence totale de communication entre ses parents » [2].

V. L’âge de l’enfant.

Le jeune âge de l’enfant, comme l’approche de la majorité peuvent soulever des questionnements.

Lorsque l’enfant est en très bas âge, il est le plus souvent confié à sa mère. Certes, il y a des exceptions et cela tend à évoluer, mais, plusieurs jurisprudences affirment que le jeune âge de l’enfant peut être un argument pour refuser, temporairement, une garde alternée car le mineur est trop jeune pour avoir « deux maisons ».

Inversement, certains juges aux affaires familiales estiment que le jeune âge n’est pas un frein à la résidence alternée car cela permet à l’enfant d’avoir des relations avec ses deux parents de façon équitable.

Aussi, lorsque l’enfant est proche de la majorité, il est plus compliqué de lui imposer une garde alternée s’il la refuse catégoriquement. En effet, plus l’enfant grandit, plus sa liberté d’aller et de venir s’accroit.

Dès lors, l’argument relatif à l’âge doit être manié avec précaution dans la mesure où il dépend surtout de la subjectivité du juge aux affaires familiales.

VI. Les souhaits de l’enfant lui-même.

Lorsque l’enfant est capable de discernement, il peut demander à être auditionné par le juge aux affaires familiales (article 388-1 du Code civil). L’audition de l’enfant lui permet d’exprimer librement ses choix.

Bien que le juge prenne en compte les dires de l’enfant (qui peuvent être influencés par les parents eux-mêmes auquel cas le mineur est pris dans un conflit de loyauté), il n’est pas tenu de suivre ses souhaits. En ce sens, il peut aller contre la volonté de l’enfant si celle-ci ne lui semble pas correspondre à son intérêt [3].

VII. La prise en compte des pratiques antérieures.

Les pratiques antérieures à la demande de garde alternée sont naturellement prises en considération par les juges aux affaires familiales. Ainsi, si une garde alternée existe en pratique, il est plus facile d’entériner cette situation de fait que si elle n’a jamais été envisagée en quinze ans. Là encore, ces critères sont à apprécier en fonction de chaque situation.

VIII. La pension alimentaire est-elle ordonnée en cas de garde alternée ?

Généralement, il n’y a pas de versement de pension alimentaire en cas de garde alternée, surtout si la garde est égalitaire en termes de durée. Néanmoins, s’il existe une disparité entre les ressources des deux parents, le juge peut ordonner le versement d’une pension alimentaire pour que l’enfant ait le même niveau de vie entre ses deux domiciles.

Sarah SALDMANN Avocat au Barreau de Paris Tel : 01.84.25.75.28 [->s.saldmann@saldmann-associes.com] https://sarah-saldmann-avocats.com

[1Civ. 1re, 14 févr. 2006, no 05-13.202.

[2Civ 1re, 19 septembre 2007, n° 07-12.116.

[3Civ. 1re, 20 juin 2012, no 11-19.377.

Comentaires: