Village de la Justice www.village-justice.com

Notification par lettre recommandée : il y a remise et remise. Par Romain Laffly, Avocat.
Parution : lundi 21 décembre 2020
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/notification-par-lettre-recommandee-remise-remise,37538.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le délai d’appel, à l’égard du destinataire de la lettre recommandée de notification du jugement, court à compter de la date à laquelle la lettre lui est remise, c’est-à-dire à compter de son retrait et non de son dépôt.

A regarder de plus près, les règles de computation de délais en cas de notification d’un acte ou d’une décision peuvent s’avérer infernales. Une caisse d’allocations familiales de La Réunion demande à un assuré social de payer une certaine somme à titre de trop-perçu et celui-ci sollicite le paiement d’un rappel de prestations. Selon jugement en date du 31 août 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale annule la mise en demeure et rejette les demandes de rappel de prestations. Le jugement est notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception le 21 août 2016, et l’assuré social forme appel le 12 octobre 2016.

Par arrêt du 30 novembre 2018, la cour d’appel déclare irrecevable l’appel comme tardif. L’appelant saisit la Cour de cassation et développe, au visa de l’article 669, alinéa 3, du code de procédure civile, le moyen selon lequel la date de réception d’une notification faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception est celle qui est apposée par l’administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire tandis qu’il n’avait retiré le pli recommandé lui notifiant le jugement du 31 août 2016 que le 13 septembre 2016, soit moins d’un mois avant d’interjeter appel dudit jugement.

La deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion. Au visa des articles 528, 668 et 669 du code de procédure civile, la Cour de cassation donne la solution suivante :

« 6. Il résulte de ces textes que le délai d’appel, à l’égard du destinataire de la lettre de notification du jugement, court à compter de la date à laquelle la lettre lui est remise.
7. Pour déclarer l’appel irrecevable comme tardif, l’arrêt retient qu’il résulte des dispositions de l’article R142-28 du code de la sécurité sociale que le délai d’appel est d’un mois à compter de la notification du jugement, qu’en cas de notification à domicile, le délai court à compter du dépôt de la lettre recommandée et non pas de son retrait et qu’en conséquence, l’appel formé le 12 octobre 2016, alors que l’accusé de réception de la notification du jugement était en date du 6 septembre 2016, est manifestement hors délais.
8. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés
 ».

Par application de l’article 528, alinéa 1er,

« Le délai à l’expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement, à moins que ce délai n’ait commencé à courir, en vertu de la loi, dès la date du jugement ».

D’autre part, l’article 668 du même code dispose que « Sous réserve de l’article 647-1, la date de la notification par voie postale est, à l’égard de celui qui y procède, celle de l’expédition et, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date de la réception de la lettre ».

Enfin, l’article 669 du code de procédure civile précise que :

« La date de l’expédition d’une notification faite par la voie postale est celle qui figure sur le cachet du bureau d’émission. La date de la remise est celle du récépissé ou de l’émargement. La date de réception d’une notification faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception est celle qui est apposée par l’administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire ».

Une fois ces textes rappelés, et pour comprendre la solution dégagée, il faut raccrocher plusieurs éléments. S’il ne fait de doute que, du côté du destinataire, c’est la réception de l’acte qui permet de connaître le point de départ du délai de recours, encore faut-il savoir à quel moment correspond cette réception, c’est-à-dire à quel moment il prend connaissance de la décision, effectivement connaissance. Dans le cas d’espèce, la remise s’entendait non pas de la distribution de l’avis à domicile mais de la remise effective au destinataire, soit la remise en main propre par le bureau des postes. Dit comme cela, cela pourrait presque paraître évident. Mais il faut reconnaître qu’en cette matière, toute solution est admise selon qu’il s’agisse d’une signification, d’une notification, d’une procédure contentieuse ou non, judiciaire ou administrative et selon enfin ce que les textes disent.

Déjà, l’erreur peut naître de la solution retenue en matière de signification de la décision de justice, l’article 651, alinéa 2, du code de procédure civile, précisant que

« La notification faite par acte d’huissier de justice est une signification ».

L’article 658 du code de procédure civile dispose en effet que

« Dans tous les cas prévus aux articles 655 et 656, l’huissier de justice doit aviser l’intéressé de la signification, le jour même ou au plus tard le premier jour ouvrable, par lettre simple comportant les mêmes mentions que l’avis de passage et rappelant, si la copie de l’acte a été déposée en son étude, les dispositions du dernier alinéa de l’article 656. La lettre contient en outre une copie de l’acte de signification. Il en est de même en cas de signification à domicile élu ou lorsque la signification est faite à une personne morale. Le cachet de l’huissier est apposé sur l’enveloppe ».

Or, en cas de signification à domicile d’un jugement, la date de point de départ du délai d’appel est celle de l’acte lui-même de signification, et non celle de l’envoi par l’huissier de justice de la lettre prévue par l’article 658 [1]. De même, en cas de signification à domicile, mais avec remise de la copie par dépôt à l’étude [2], la date de signification est celle de la présentation de l’huissier de justice au domicile du destinataire [3]. Certes, la signification par voie d’huissier de justice offre des garanties qui ne sont pas celles de la lettre recommandée (assermentation du clerc significateur ou qualité d’officier public et ministériel de l’huissier instrumentaire, diligences strictement déterminées par les articles 655 et suivants du code de procédure civile et la jurisprudence en cas de signification à personne impossible...) mais l’on voit que le point de départ n’est pas le retrait du pli, confirmant la prise de connaissance du jugement.

Or, la première des garanties n’est-elle pas de s’assurer de la connaissance effective de la décision de justice ?

Dans le cas d’une décision notifiée par lettre recommandée, il faut donc s’attacher à la remise effective, laquelle n’est pas celle de la présentation mais celle de la distribution au destinataire.

Et cette réception correspond à la date de distribution, non celle de présentation, qui est donc le retrait de la lettre. À l’instar des décisions du juge de l’exécution ou du conseil de prud’hommes qui sont notifiées par lettre recommandée avec accusé de réception par le greffe, si c’est la date de réception qui doit être prise en compte, encore faut-il constater qu’elle corresponde à celle apposée par le bureau des postes attestant de la remise à son destinataire.

La deuxième chambre civile avait déjà rappelé, à propos d’un jugement du juge de l’exécution, la règle selon laquelle

« la date de réception d’une notification faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception est celle qui est apposée par l’administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire ».

Dans cette affaire, l’appel avait été jugé tardif dès lors qu’il ressortait de l’avis de réception que la lettre recommandée avait été présentée au domicile de l’appelant et que dès lors que l’avis était signé, l’appelant ne pouvait prétendre avoir retiré la lettre à la date figurant sur le cachet apposé par l’administration des postes figurant sur cet avis. Le cachet indiquait en fait la date à laquelle l’avis avait été retourné par les services postaux à l’expéditeur de la lettre recommandée. Pour la Haute juridiction

« en statuant ainsi, alors qu’elle constatait que l’avis de réception ne comportait aucune date de distribution ni de remise au destinataire, la cour d’appel a violé le texte susvisé » [4].

Lors de la notification d’un jugement par lettre recommandée, il convient donc de s’attacher à la date effective de distribution au destinataire et non à la première présentation, ainsi que vient de le rappeler la cour de cassation s’agissant d’une ordonnance du juge des tutelles. L’attendu mérite d’être souligné :

« Attendu que, pour déclarer irrecevable l’appel formé par Mme M. le 23 février 2017, l’arrêt relève que l’avis de réception de la lettre de notification de l’ordonnance a été signé le 7 février 2017 de sorte que le délai pour faire appel expirait le 22 février 2017. Qu’en se prononçant ainsi, alors que la date du 7 février 2017 était celle de la présentation et non celle de la distribution de la lettre, la cour d’appel a dénaturé le sens et la portée de cette pièce » [5].

Mais attention, la règle de l’article 669 peut-être fonction du litige ou de règles différentes moins « regardantes » pour les droits du justiciable. Ainsi, est censuré un arrêt d’une cour d’appel qui avait estimé que la seule mention « non réclamée », sur la lettre recommandée avec accusé de réception notifiant le mémoire préalable en fixation du prix du bail renouvelé ou révisé, ne pouvait constituer la notification exigée par le code de commerce qui exige une remise effective de la lettre à son destinataire au sens de l’article 669 du code de procédure civile. Pour la cour de cassation

« en statuant ainsi, alors que la formalité de notification du mémoire en fixation du prix est remplie lorsque son destinataire est à même de retirer la lettre recommandée présentée à son domicile, la cour d’appel, qui a ajouté à la loi une condition relative à la remise effective de la lettre recommandée qu’elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé » [6].

De même,

« la mise en demeure prévue à l’article R732-2 du code de la consommation, préalable à la caducité d’un plan conventionnel de redressement, n’étant pas de nature contentieuse, c’est à bon droit que le tribunal d’instance, relevant que celle-ci n’avait pas été suivie d’effet, peu important que son destinataire n’ait pas réclamé cette lettre, a, sans être tenu de répondre au moyen inopérant tiré de l’impossibilité de retirer le pli, retenu qu’une mesure d’exécution pouvait être effectuée » [7].

Et si procédure il y a, mais qu’elle n’est pas judiciaire, d’autres règles s’imposent. Ainsi les dispositions de l’article 669 du code de procédure civile, destinées à la computation des délais légaux d’accomplissement d’un acte ou d’une formalité spécifique à la procédure judiciaire, n’ont pas vocation à s’appliquer aux procédures administratives diligentées par les caisses de sécurité sociale [8].

Bref, devant tant de différences de régimes et, chose plus grave, d’une sécurité juridique modulable pour le justiciable, on comprendra qu’au moment de statuer sur la recevabilité d’un appel au regard de la notification du jugement, une valse-hésitation puisse s’emparer des juges.

Et ce n’est peut-être pas tout à fait un hasard, si, après le rappel des formes de la notification des actes en la forme ordinaire, la précision diabolique, source des difficultés, se trouve à l’article 666 :

« les autres mentions que doit comporter la notification sont déterminées, selon la nature de l’acte notifié, par les règles particulières à chaque matière ».

Ne dit-on pas que le diable se cache dans les détails ?

Article paru initialement sur Dalloz Actualité.

Romain Laffly, Avocat Associé chez Lexavoue Lyon.

[1Civ. 2e, 12 oct. 1994, n° 92-19.332, Bull. civ. II, n° 193 ; JCP 1995. II. 22469, obs. E. du Rusquec.

[2C. pr. civ., art. 656.

[3Civ. 2e, 5 févr. 1997, n°95-11.752, Bull. civ. II, n° 35 ; JurisData n° 1997-000426 ; JCP 1997. IV. 671 ; Gaz. Pal. 1998. 2, p. 793, obs. E. du
Rusquec.

[4Civ. 2e, 1er oct. 2009, n°08-19.429.

[5Civ. 1re, 18 déc. 2019, n°18-25.969, D. 2020. 1485, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro.

[6Civ. 3e, 16 oct. 2013, n° 12-20.103, D. 2013. 2463 ; ibid. 2014. 1659, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2014. 614, obs. J.-P. Blatter.

[7Civ. 2e, 1er déc. 2016, n°15-27.725.

[8Civ. 2e, 15 mars 2018, n°17-11.834.