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Dernières conclusions : le visa dans le viseur de la Cour de cassation. Par Romain Laffly, Avocat.
Parution : jeudi 7 janvier 2021
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S’il n’expose pas succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l’indication de leur date.

Une société interjette appel d’un jugement la condamnant au profit d’un salarié. La société appelante dépose des conclusions le 11 juillet 2017 puis notifie de nouvelles écritures le 9 octobre 2018, veille de la clôture. Par arrêt du 14 décembre 2018, la cour d’appel de Toulouse prononce la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur et le condamne à payer au salarié diverses sommes. Demandeur au pourvoi, l’employeur reprochait à la cour d’appel de s’être prononcée au seul visa des conclusions notifiées le 11 juillet 2017 et de s’être abstenue de viser les conclusions du 9 octobre 2018, recevables comme notifiées avant la clôture.

Au visa des articles 455, alinéa 1er, et 954, alinéa 2, du code de procédure civile, la deuxième chambre civile casse inévitablement l’arrêt de la cour de Toulouse et apporte la réponse suivante :

« 4. Il résulte de ces textes que s’il n’expose pas succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l’indication de leur date.
5. Pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, puis le condamner à payer au salarié diverses sommes à l’exception de l’indemnité de travail dissimulé, l’arrêt se prononce au visa des conclusions notifiées par la société Bureau de contrôle fédéral le 11 juillet 2017.
6. En statuant ainsi, alors qu’il ressort des productions que la société Bureau de contrôle fédéral avait déposé le 9 octobre 2018 des conclusions développant une argumentation complémentaire portant sur l’examen des fiches horaires établies par Mme X, la cour d’appel, qui n’a pas visé ces dernières conclusions et qui s’est prononcée par des motifs dont il ne résulte pas qu’elle les aurait prises en considération, a violé les textes susvisés
 ».

La solution, classique, a été rappelée un nombre incalculable de fois par les différentes chambres de la Cour de cassation, et elle dépasse bien sûr le strict cadre de la cour d’appel. Lorsqu’il expose les faits, les moyens et la procédure, ne s’offrent pas au juge beaucoup d’options. S’il ne rappelle pas les prétentions et moyens des parties, il doit expressément viser la date à laquelle ont été déposées les conclusions. L’article 455 du code de procédure civile, qui entre dans le livre Ier « Dispositions communes à toutes les juridictions », est libellé comme suit :

« Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date. Le jugement doit être motivé. Il énonce la décision sous forme de dispositif ».

La deuxième chambre civile le rappelle à nouveau dans cet arrêt : le juge ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées. Si l’on s’est habitué désormais à la règle des dernières conclusions, issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 applicable depuis le 1er mars 1999, c’est peut-être qu’elle est ancienne ! Car, si l’exigence pourrait aujourd’hui faire sourire au regard des innombrables autres pièges qui jalonnent la procédure civile, notamment d’appel, n’oublions pas qu’elle fut vertement critiquée lors de son instauration : pour certains, texte d’essence « bureaucratique » [1], ou pour d’autres « gadgets incertain et pervers » [2].

Mais il en était bel et bien fini du procédé de renvoi aux précédentes écritures, selon la formule consacrée par les avocats : « allouer au concluant le bénéfice de ses précédentes écritures ». Ainsi, peu de temps après l’apparition du texte, la haute juridiction a pu estimer que

« dans les conclusions soumises aux prescriptions de l’article 954, alinéa 2, du code de procédure civile, toute formule de renvoi ou de référence à des écritures précédentes ne satisfait pas aux exigences du texte et est dépourvue de portée » [3].

Quant à la forme même des dernières conclusions, elles ne devaient plus consister en une compilation d’écritures, en une addition matérielle des moyens et prétentions précédents, mais bien en une véritable synthèse, en « une reprise intellectuelle » selon la formule du professeur Guinchard.

La règle des « dernières écritures » - faussement appelées récapitulatives puisqu’elles le sont par définition - a depuis essaimé puisque si on la retrouve devant la cour d’appel (art. 954), devant le tribunal judiciaire (art. 753 anc., devenu 768 depuis le 1er janv. 2020), le décret n° 2017-892 (ou « l’autre décret », celui de réforme de la première instance), l’impose désormais en procédure orale.

En effet, si toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions et moyens par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, l’article L446-2 du code de procédure civile dispose que

« le juge ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. Les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et le juge ne statue que sur les dernières conclusions déposées ».

Toute ressemblance avec d’autres textes n’étant pas fortuite, voilà en tous cas la parfaite illustration d’un alignement de la procédure orale avec la procédure écrite.

La règle étant posée, quelles sont dès lors les dernières conclusions qui doivent être examinées par le juge ? Déjà, il est de jurisprudence constante que les dernières conclusions qui doivent être prises en compte sont celles déposées avant que la clôture ne soit rendue, c’est-à-dire jusqu’au jour de la clôture, l’horodatage du réseau privé virtuel des avocats (RPVA) permettant très exactement d’en apprécier la recevabilité. En l’espèce, n’était pas en question l’impossibilité d’organiser la défense et le non-respect du contradictoire en raison de conclusions notifiées la veille de la clôture. La problématique se pose le plus souvent en cas d’incident de procédure ou de jonction.

Si l’article 910-1 du code de procédure civile précise que les conclusions qui doivent être notifiées dans les délais imposés dans la procédure à bref délai ou la procédure en circuit classique sont celles qui déterminent l’objet du litige, la Cour de cassation estime qu’une cour d’appel ne peut considérer qu’il s’agit de celles soulevant un incident de procédure devant le conseiller de la mise en état et postérieures aux écritures déjà notifiées au fond qui, seules, déterminent l’objet du litige au sens de l’article 910-1 du code de procédure civile [4].

De même, en cas de jonction, le juge doit statuer sur les dernières écritures déposées dans chaque procédure par la partie qui n’a pas conclu après jonction, car la jonction d’instance ne crée pas de procédure unique qui obligerait les parties à récapituler en un jeu unique d’écritures des conclusions déposées dans chaque procédure avant la jonction.

Le rappel de l’ensemble des moyens et prétentions ou du visa de la date des conclusions, option retenue qui varie en pratique selon les juridictions, offre enfin au plaideur la garantie que le juge a bien eu connaissance de ses écritures, et avant toute chose des ultimes. Car, si le juge, en les visant, ne peut se référer qu’aux dernières conclusions, c’est que les parties sont tenues, elles aussi, par leurs dernières écritures. Paradoxalement, c’est avec l’avènement du RPVA et l’horodatage des conclusions notifiées que cette nécessité se fait la plus déterminante et cet arrêt en est peut-être l’illustration.

En effet, alors que l’article 912 du code de procédure civile n’exige que le dépôt des pièces quinze jours avant l’audience de plaidoirie, l’avocat est conduit à joindre, avec la remise de son dossier de plaidoirie qui les contient, un nouvel exemplaire de ses conclusions faute pour les greffes de pouvoir les éditer. De fait, il arrive parfois de constater une erreur sur les dernières écritures effectivement déposées et, ainsi, que les conclusions examinées ne sont pas celles dernièrement notifiées. La garantie que les conclusions remises soient bien les dernières déposées cède le pas devant le manque de moyens de la justice.

L’obligation de visa faite au juge, qui devrait se référer aux dernières conclusions notifiées par voie électronique plutôt que celles remises dans le dossier de plaidoirie, permet en tous cas de savoir quelles sont les conclusions qui doivent être prises en compte.

Et de savoir quelles conclusions ont effectivement été prises en compte.

Et dans le même temps d’éviter une cassation.

Article publié initialement sur Dalloz Actualité.

Romain Laffly, Avocat Associé chez Lexavoue Lyon.

[1J. Beauchard, La procédure civile saisie par la bureaucratie [à propos des conclusions récapitulatives], LPA n° 52, 15 mars 1999, p. 9.

[2J.-L. Meunier, la systématisation des conclusions récapitulatives, Gaz. Pal. 1999. 1. Doctr. 153.

[3Cass., avis, 10 juill. 2000, n° 20-20.007, Bull. civ. avis, n° 6 ; BICC 15 sept. 2000, no 5, concl. Kessous et rapp. Séné ; D. 2000. 837, note A. Lacabarats ; RTD civ. 2000. 893, obs. R. Perrot.

[4Civ. 2e, 15 nov. 2018, n° 17-27.844, Dalloz actualité, 11 déc. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2018. 2242 ; ibid. 2019. 555, obs. N. Fricero.