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La conversion progressive à la « religion » de l’aveu consenti. Par Raphaël Pressiat, Chargé de Mission.
Parution : vendredi 23 avril 2021
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Commentaire de l’arrêt Cass. Crim. 2 mars 2021, n°20-85.491.

Par un arrêt du 2 mars 2021, la chambre criminelle considère que la personne entendue dans le cadre d’une procédure suivie du chef d’une infraction autre que celle ayant justifié le placement en garde à vue et à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre cette infraction, bénéficie, après avoir été avertie de son droit d’être assistée d’un avocat et si elle a déclaré vouloir l’exercer, du droit de communiquer avec celui-ci dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien, pour une durée ne pouvant excéder trente minutes, avant toute audition sur les nouveaux faits.

Traditionnellement, la garde à vue est une mesure de contrainte destinée à créer une tension en maintenant la personne soupçonnée à disposition des enquêteurs pour faciliter la manifestation de la vérité : l’aveu.

La recherche de la confession du prévenu, qui n’est plus un objectif de la garde à vue au sens de l’article 62-2 du Code de procédure pénale, se déduit pourtant de la durée de la mesure. La garde à vue est ordonnée par l’officier de police judiciaire sous le contrôle du procureur de la République pour une durée de 24 heures, pouvant être prolongée de 24 heures supplémentaires en droit commun [1]. Dans le cadre des procédures dérogatoires, sa durée peut être prolongée jusqu’à 96 heures voire jusqu’à 144 heures lors d’une infraction terroriste imminente [2].

L’augmentation du temps de la mesure en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction permet le développement naturel d’une tension morale, destinée à recueillir l’aveu du gardé à vue, isolé et contraint.

Toutefois, le législateur français est attaché à la protection des droits fondamentaux de la personne. Parmi ceux-ci, figure le droit à l’assistance d’un avocat, garanti par les articles, 63-3-1, 63-4 et 65 du code de procédure pénale, mais également par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (article 6 §3) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [3].

Ce droit consiste notamment en un entretien confidentiel entre l’avocat et le gardé à vue pour préparer la défense de celui-ci et le conseiller. Ce conseil fait nécessairement obstacle à l’instauration d’un climat propice à l’obtention de l’aveu.

Se confrontent ainsi deux intérêts antagonistes menant à une constante recherche d’équilibre entre l’efficacité de la procédure pénale française et l’effectivité des droits de la défense du gardé à vue. Pourtant, l’évolution législative et jurisprudentielle accorde la primauté aux droits de la défense. Xavier Pin titrait même en 2011, que « le glas de la religion de l’aveu » avait sonné [4]. Cette analyse mérite d’être poursuivie à la lumière de la jurisprudence récente de la chambre criminelle.

Dans l’arrêt du 2 mars 2021, la chambre criminelle poursuit son œuvre et renforce les droits de la défense en imposant un entretien confidentiel avant toute audition après extension de la garde à vue à d’autres infractions que celles qui avaient initialement justifié la mesure. Cette position est un nouveau coup porté à l’aveu recherché et s’inscrit véritablement dans une tendance plus vaste qu’est la contractualisation de la procédure pénale française avec la conversion progressive à la religion d’un aveu consenti.

I. Les entretiens confidentiels avec l’avocat : l’agonie de l’aveu recherché.

Le droit d’être assisté par un avocat est considéré par le Conseil constitutionnel comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République depuis une décision du 11 août 1993 [5]. Ce droit comporte l’obligation d’un entretien confidentiel entre la personne suspectée et l’avocat. Cette consécration constitutionnelle implique que le législateur ne peut plus revenir sur cette garantie procédurale sauf circonstances exceptionnelles tenant à la nature de l’infraction, justifiant le différé de l’entretien. La loi a donc continuellement garanti ce droit, étendu régulièrement par la jurisprudence de la Cour de cassation au détriment de la recherche de l’aveu.

Depuis les lois du 15 juin 2000 [6] et du 9 mars 2004 [7], le mis en cause qui demande l’assistance d’un avocat pendant la garde à vue doit bénéficier d’un entretien confidentiel avant toute audition, sauf à ce que le procureur de la République ou le juge des libertés et de la détention ne diffère cet entretien pour les infractions punies d’une peine d’emprisonnement supérieure à 5 ans, commises en bande organisée, concernant un trafic de stupéfiants ou un acte de terrorisme. Le gardé à vue bénéficie également à la lumière de ces textes, d’un second entretien confidentiel lors de la prolongation de la garde à vue, avant toute audition.

La loi du 14 avril 2011 [8] a parachevé le rôle de l’avocat pendant la garde à vue en lui accordant d’être présent pendant les auditions, et de consulter les procès-verbaux en procédure. Cette garantie étend les droits de la défense non plus aux seuls entretiens mais à l’entière procédure pénale, ce qui nuit nécessairement à la recherche de l’aveu.

La chambre criminelle quant à elle, garantit l’effectivité de l’assistance par l’avocat, suivant les préceptes délivrés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010 [9].

Dans un arrêt du 14 mars 2017, [10], l’absence de procès-verbal d’avis à l’avocat du souhait du gardé à vue de bénéficier de son assistance lors de la prolongation a, par exemple, emporté la nullité de la mesure. En effet, il a été considéré que les droits de la défense n’avaient pas été effectivement garantis dès lors qu’aucune pièce en procédure ne démontrait que l’avocat avait été avisé de la requête du gardé à vue.

Dans deux arrêts du 11 juillet 2011 [11] et du 5 mars 2013 [12], la chambre criminelle a même considéré que l’aveu spontanément formulé par une personne suspectée était irrecevable en ce qu’il n’avait pas été recueilli en la présence de l’avocat. Cette position est la preuve d’un encadrement sans cesse renforcé du recueil de l’aveu, dont il serait temps de faire le deuil pour certains.

L’arrêt commenté vise également à renforcer l’effectivité des droits de la défense aux dépens de l’obtention de l’aveu. En l’espèce, le gardé à vue a bénéficié d’un entretien initial et d’un entretien lors de la prolongation de la mesure, mais aussi de la présence de son avocat lors de son audition supplétive. Pourtant, le conseil du prévenu a considéré que le droit à l’assistance de l’avocat n’était pas effectivement garanti en ce que le prévenu n’avait pas bénéficié d’un entretien confidentiel préalable avant cette audition ; prière à laquelle les juges du Quai de l’Horloge ont répondu favorablement.

II. L’obligation d’un entretien confidentiel avant toute nouvelle audition sur des faits supplétifs à la garde à vue : une conversion à la religion de l’aveu consenti ?

La Cour de cassation s’est prononcée en faveur de l’obligation d’un entretien confidentiel entre le prévenu et son avocat lorsqu’il existe une infraction supplétive à la garde à vue, ce qui amoindrit considérablement la tension morale installée lors de la mesure et renforcée par une nouvelle qualification pénale.

Auparavant, aucun entretien confidentiel n’était obligatoire pour préparer la défense du mis en cause lorsqu’un nouveau chef était ajouté à la garde à vue. En l’absence d’obligation, la courtoisie était d’avertir immédiatement le conseil du changement des qualifications retenues à l’encontre du prévenu en sus de la notification de ce dernier. En revanche, l’entretien confidentiel éventuel était à la discrétion de l’OPJ.

Rappelons que le changement de qualification est régulier en procédure pénale. L’enquête est systématiquement ouverte sous la plus haute infraction pénale pour permettre l’exercice des actes d’investigation les plus pertinents et permettre une requalification a posteriori par le ministère public ou la découverte de nouvelles infractions. Il n’est alors pas anodin d’imposer un nouvel entretien lorsqu’est notifiée une infraction supplétive à la garde à vue.

Cette position est celle adoptée par la chambre criminelle en l’espèce. Celle-ci développe l’obligation d’un entretien confidentiel entre le gardé à vue et l’avocat avant toute audition sur les nouveaux faits. Sont ensuite développées, les potentielles renonciations à ce droit et l’on bénéficie de la motivation enrichie. Le prévenu peut renoncer à ce droit expressément ou tacitement, notamment lorsqu’il accepte en présence de son avocat qu’il soit immédiatement procédé à son audition sans entretien préalable. L’avocat peut quant à lui estimer qu’il n’y a pas lieu à entretien préalable et y renoncer tacitement, notamment lorsqu’il ne demande pas à communiquer confidentiellement avec le gardé à vue avant l’audition.

Cette position nouvelle de la Cour de cassation emporte trois conséquences. Il conviendra en premier lieu d’effectuer une nouvelle notification des droits du gardé à vue lors de la notification de l’extension de la garde à vue aux nouvelles infractions qu’elle est soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre [13]. Il conviendra en deuxième lieu, d’inscrire en procédure, l’exercice ou la renonciation au droit à l’entretien confidentiel pendant la garde à vue pour lever tout doute. Il conviendra en troisième lieu, que l’avocat apporte une vigilance toute particulière aux hypothèses de renonciation tacite, pour garantir la meilleure représentation possible.

De plus, la sanction attachée au respect de cette obligation est la nullité. Toute irrégularité rencontrée dans l’exercice de ce droit à l’entretien avec l’avocat, entraînera l’irrecevabilité des auditions subséquentes et des actes dont elles constituent le support dès lors qu’elle entraîne nécessairement un grief présumé pour le prévenu qui n’a pu bénéficier de l’assistance effective de son avocat lors de la garde à vue. Dès lors, tout aveu qui pourrait être exprimé lors des auditions suivant la notification de l’infraction supplétive, ne saurait être efficace sans conseil préalable.

Il faut donc en conclure que la primauté est une nouvelle fois donnée aux droits de la défense sur la recherche de l’aveu, en ce que la tension morale que pourrait susciter une infraction supplétive à la garde à vue est annihilée par l’obligation d’un entretien renouvelé entre l’avocat et le gardé à vue.

Il reste toujours possible de recueillir l’aveu pendant la mesure de garde à vue, mais l’on s’éloigne de plus en plus de la recherche pour rejoindre le consentement. L’entretien préalable, en sus de la présence de l’avocat, est devenu une condition supplémentaire au recueil d’un aveu libre et éclairé. Il s’agit en réalité d’un pas supplémentaire, non pas vers le glas de la religion de l’aveu mais vers une conversion à la religion de l’aveu consenti à la frontière d’une certaine contractualisation de la procédure pénale française.

Raphaël PRESSIAT Chargé de mission Parquet général Cour d'appel de Grenoble

[1Article 63 du CPP.

[2Articles 706-73, 706-88 et suivants du CPP.

[3Article 48 §2.

[4Pin X. « Le glas de la religion de l’aveu a sonné…  », La Semaine Juridique Edition Générale n°28, 11 juillet 2011, 819

[5N°93-326 DC.

[6N°2000-516.

[7N°2004-204.

[8N°2011-392.

[9N°2010-14/22 QPC.

[10N°16-84.352.

[11N°10-84.251.

[12N°12-87.087.

[13Art. 63-1 CPP.