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Responsabilité d’une Holding, droits d’auteur, DMCNE et concurrence déloyale et parasitaire. Par Philippe Bessis, Avocat.
Parution : jeudi 29 avril 2021
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Le 12 mars 2021, le Tribunal Judiciaire de Paris a rendu un Jugement particulièrement riche d’enseignements.

Acteur important du prêt à porter en France, une société holding était titulaire d’une marque exploitée par une de ses sociétés filles.

Une maison de haute couture, la société Leonard Fashion, exploitant la marque notoire « Leonard », reprochait tant à la holding qu’à sa fille :
- Une contrefaçon de droits d’auteur, et de DMCNE (Dessin et Modèle Communautaire Non Enregistré) ;
- A titre subsidiaire des actes de concurrence déloyale.

Concernant un imprimé enregistré sous pli cacheté et divulgué de manière non équivoque, utilisé sur divers vêtements.

Concernant la responsabilité d’une holding, titulaire des marques.

La holding soutenait n’avoir pris aucune part active aux agissements reprochés, et partant, déclinait toute responsabilité.

Le Tribunal relève cependant que cette holding était titulaire de la marque concernée « sous laquelle les articles en cause sont distribués ».

Elle ne pouvait prétendre ne prendre aucune part aux agissements reprochés dont elle a retiré un bénéfice « ne serait-ce que sous forme de redevances en exécution d’un accord de licence dont elle admet elle-même l’existence ».

Ainsi, deux observations peuvent être faites à ce sujet :
- La qualité de holding ne constitue pas une protection en tant que telle ;
- Le titulaire d’une marque, même donnée en licence, engage sa responsabilité si son licencié commet une faute.

Concernant la protection au titre du dessin ou modèle communiqué non enregistré.

La maison de haute couture Leonard Fashion revendiquait une présomption de titularité au titre des DMCNE en qualité de personne morale commercialisant l’imprimé litigieux, ce qui était contesté par la holding et sa fille.

Conformément aux exigences requises par l’article 11 du Règlement 6/2002 du 12 décembre 2001, des preuves datées de la divulgation publique en France du modèle revendiqué avaient été versées aux débats.

Il était soutenu que la divulgation à date certaine de produits fabriqués dans le tissu litigieux permettait d’invoquer la protection au titre des DMCNE indépendamment de son exploitation et de toute preuve de création de ses ayant-droits et y afférents.

Le Tribunal, après avoir rappelé les termes des articles 1, 11 paragraphes 1 et 2, et 14 paragraphe 1 du Règlement précité, en déduit que

« si la protection d’un modèle enregistré est présumée bénéficier au déposant, ce droit est, en l’absence de cette formalité, attribué par présomption à celui qui en assure la première divulgation sur le territoire de l’Union, sans préjudice d’une éventuelle revendication prévue par l’article 15 du même texte, cette règle - qui (…) n’est pas liée à une exploitation commerciale - s’appliquant indifféremment qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale ».

Le Tribunal a retenu la date des posts Instagram versés aux débats par la demanderesse, comme celle de divulgation du modèle revendiqué.

Il valide donc une présomption de titularité des droits en matière de dessins et modèles communautaires, ce qui paraît conforme aux textes et à leur logique.

On rappellera donc que la présomption de titularité est attachée, en matière de :
- droits d’auteur, à la commercialisation d’un produit, quel qu’il soit ;
- de dessins et modèles communautaires, à la première divulgation sur le territoire de l’Union du produit revendiqué, sans qu’il ne s’agisse nécessairement d’une exploitation commerciale.

Concernant la contrefaçon invoquée.

Le Tribunal a rejeté la demande de contrefaçon de dessins et modèles communautaires non enregistrés en estimant que :
- « C’est (…) à partir d’un rapport de proportions modifié que la demanderesse opère son examen comparatif alors que les dispositions précitées supposent de se fonder sur l’impression d’ensemble visuellement produite par chacun des motifs, et non sur des similitudes présentées par les différents éléments le composant » ;
- « Les motifs litigieux qui diffèrent par leurs proportions, agencements, lignes et contrastes de couleurs, ne procurent pas sur l’utilisateur averti la même impression d’ensemble que celle se dégageant du dessin revendiqué… (lequel) se caractérise par la finesse des traits, l’agencement des compositions de grandes et petites tailles et l’association de lignes nettes et plus floues sous forme de taches de couleurs... ».

Concernant les actes de concurrence déloyale et parasitaire.

En revanche, sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire, le Tribunal rappelle que :
- « Nonobstant les différences précédemment relevées permettant d’exclure la contrefaçon alléguée, chacun des imprimés en cause fait appel à la même combinaison de couleurs - à savoir différentes nuances de bleu et violet avec des touches de rouge vif - des formes de feuilles très semblables et une dominante de fond blanc ou bordeaux selon la partie concernée de l’imprimé » ;
- Pour deux des trois vêtements incriminés, « ces points de ressemblances s’accompagnent d’une bande longitudinale reprenant de la même façon deux nuances de bleu clair et plus soutenu sur le côté intérieur de chaque trait parallèle entre lesquels s’insèrent des motifs de feuilles rappelant le dessin principal ».

Le Tribunal retient donc une combinaison d’éléments associée à des couleurs s’inscrivant dans une même tendance d’imprimés « foulard » illustrée par le magazine Voici de mars 2019, de nature à conduire « les consommateurs sensibilisés à une tendance de la mode à opérer une association de nature à influencer leur acte d’achat ».

Le Tribunal en déduit que la holding et sa fille ont bénéficié d’une partie des investissements exposés par la maison de haute couture « ainsi que de son positionnement sur une gamme supérieure en termes de qualité, de matériaux utilisés et d’efforts de conception ».

On relèvera cette tendance de la jurisprudence selon laquelle il faut prendre en considération le comportement des consommateurs et l’influence possible de leur comportement en fonction de celui de certains agents économiques.

Concernant l’estimation du préjudice.

Le Tribunal précise à bon droit que

« la réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire doit être évaluée par référence aux principes applicables en matière de responsabilité civile, ce qui n’exclut pas de prendre en considération des critères définis en matière de contrefaçon à condition qu’ils soient pertinents dans le cadre du dommage effectivement subi ».

A l’inverse de ce qui est fréquemment soutenu, les critères adoptés par le législateur de façon unifiée en matière de contrefaçon de dessins et modèles, de droits d’auteur, ou de contrefaçon de marques, peuvent donc être également pris en considération pour l’évaluation d’un préjudice en matière de concurrence déloyale.

Ces différents apports par ce Jugement en matière de propriété intellectuelle sont susceptibles de constituer des éclaircissements et sans doute des réponses aux problèmes auxquels le praticien pourra être confronté au gré de différents litiges qu’il aura à connaître.

Décision : Tribunal Judiciaire de Paris, 3ème Chambre, 2ème Section, 12 mars 2021, n° 19/07436.

Philippe BESSIS, Avocat au Barreau de PARIS http://www.cabinet-bessis.com/

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