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Covid-19 : décès du patient contaminé au sein de l’établissement de soins. Par Sylvie Personnic, Avocat.
Parution : mardi 4 mai 2021
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Quel recours pour les familles endeuillées suite à la perte d’un être cher ? La reconnaissance du caractère nosocomial de l’infection et la prise en charge de l’indemnisation du patient décédé de la Covid-19 et de ses ayants droit par l’ONIAM.
Article mis à jour par son auteur en octobre 2023.

I- Le contexte.

Selon les estimations de l’organisation mondiale de la santé datant du mois d’août 2023, ce sont près de 167 985 personnes qui sont décédées de la Covid-19 en France depuis l’apparition du virus.

De nombreux témoignages se sont succédés et certains d’entre eux sont révoltants.

Les familles des patients décédés ont ainsi dénoncé des conditions de traitement particulièrement choquantes, voire une absence totale de prise en charge ayant pu conduire au décès de leur proche.

Leur colère est d’autant plus marquée lorsque lesdits proches ont été admis dans l’établissement de soin pour une autre cause, et que c’est à l’occasion de cette hospitalisation, qu’ils ont contracté le virus Covid-19 ayant conduit à leur décès.

Certaines familles dénoncent alors une absence de soins adaptés, des négligences dans les traitements prodigués aux malades ou des propos indignes de la part du personnel soignant, laissant à penser que leur proche ne méritait pas une attention particulière en raison de son âge, de sa vulnérabilité, de ses antécédents médicaux et donc de l’impossibilité pour lui de recevoir des soins curatifs.

Elles ont le sentiment, parfois légitime, que leur proche n’a pas reçu le minimum de considération et de soins qu’il était en droit d’attendre de la structure hospitalière, et que sa mort aurait pu être évitée. Des familles se sentent abandonnées, confrontées à leur douleur, et ce dans l’indifférence totale du personnel médical.

Certains patients sont ainsi décédés dans l’indifférence ou un isolement total, sans même pouvoir communiquer avec leurs familles, pourtant omniprésentes, mais auxquelles tout accès a été refusé.

Les conditions du décès conduisent donc ces familles endeuillées à se tourner vers la justice, non pas nécessairement avec la préoccupation d’une éventuelle indemnisation de leur préjudice lié au décès de leur proche, mais avec la volonté de comprendre les raisons qui ont conduit au décès de leur proche.

Face à leurs interrogations, il convient d’examiner l’indemnisation du préjudice subi par les ayants-droit, dans le cas bien particulier d’une contamination par la Covid-19 au sein d’un établissement de soins.

II- Définition de l’infection nosocomiale.

L’infection nosocomiale n’est pas définie par la loi.

C’est donc la jurisprudence qui a pris le relais du législateur et qui a donné une définition juridique à l’infection nosocomiale.

C’est ainsi que dans le dernier état de sa jurisprudence, le Conseil d’Etat définit l’infection nosocomiale comme « une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une origine autre que la prise en charge »  [1].

La Cour de Cassation s’est alignée sur la jurisprudence administrative dans un arrêt remarqué rendu le 6 avril 2022 : « Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection qui survient au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge » [2].

Dans bien des situations, il s’avère qu’un patient est entré à l’hôpital pour toute autre chose et a contracté le virus au sein de l’établissement.

Certains dossiers permettent incontestablement d’établir que la contamination trouve son origine au sein de la structure de soins car des tests PCR ont été réalisés sur le patient lors de son admission, lesquels se sont avérés négatifs.

La contamination par la Covid-19 n’a donc pu se faire qu’au sein même de l’établissement, postérieurement à la prise en charge du patient, ce qui a d’ailleurs été rendu tout à fait possible lorsque les patients n’étaient pas isolés les uns des autres et que les mesures de protection n’étaient pas suffisantes.

Or, une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit, au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé, comme de l’évolution prévisible de celui-ci, et présentent un caractère de gravité.

III- Régime de l’indemnisation de l’infection nosocomiale.

Dans le cadre des infections nosocomiales, et sous réserve que certaines conditions de gravité soient remplies, ce qui est nécessairement le cas dans l’hypothèse du décès du patient, l’indemnisation est de droit, sans avoir besoin de prouver une quelconque faute  [3].

L’établissement ne peut alors être exonéré de sa responsabilité que s’il rapporte la preuve d’une cause étrangère, c’est à dire extérieure, imprévisible et irrésistible, ce qui sera extrêmement difficile voire impossible à établir.

Cette indemnisation est supportée par la solidarité nationale via l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (l’ONIAM).

Il s’agit d’une procédure tout à fait particulière, amiable, permettant d’obtenir une indemnisation plus rapide des victimes ou de leurs ayants droit.

Ainsi, les préjudices des victimes indirectes en cas de décès du patient pourront être les suivants :

 Les préjudices patrimoniaux :

 Les préjudices extrapatrimoniaux :

VICTIME DECEDEEBENEFICIAIRE MONTANT en €
Conjoint / Concubin / Pacsé Conjoint / Concubin/Pacsé 15 000 - 25 000
Enfant mineur Parent 15 000 - 25 000
Enfant majeur au foyer Parent 12 000 - 20 000
Enfant majeur hors foyer Parent 4 000 - 6 500
Parent Enfant mineur 15 000 - 25 000
Enfant majeur au foyer 12 000 - 20 000
Enfant majeur hors foyer 4 000 - 6 500
Grand parent Petit enfant
- avec cohabitation 4000 - 6 500
- sans cohabitation 2 000 - 4 500
Petit enfant Grand parent
- avec cohabitation 4 000 - 6 500
- sans cohabitation 2 000 - 4 500
Frère / Sœur Frère / Sœur
- avec cohabitation 12 000 - 20 000
- sans cohabitation 4 000 - 6 500

Aussi et faute pour le législateur d’avoir, envisagé une indemnisation spécifique des victimes directes ou indirectes de la Covid-19 par la solidarité nationale, la possibilité d’obtenir réparation du préjudice subi par les ayants-droit des victimes décédées de la Covid-19 suite à une contamination au sein de l’établissement de soins, devra être privilégiée.

Reste la question de l’indemnisation de la victime décédée, au titre du préjudice d’angoisse de mort imminente, lié à « une très grande détresse et une angoisse dues à la conscience d’être confronté à la mort ».

Ce préjudice d’angoisse de mort imminente a été défini comme étant
« un préjudice autonome lié à une situation ou à des circonstances exceptionnelles résultant d’un acte soudain et brutal, notamment lors d’un accident collectif, d’une catastrophe, d’un attentat ou acte terroriste »  [5].

Ce préjudice situationnel d’angoisse de mort imminente a été reconnu par la Chambre criminelle de la Cour de Cassation dans un arrêt du 23 octobre 2012, qui a alloué aux parties civiles, au titre de leur action successorale, outre une indemnité à raison des souffrances physiques et morales subies par la victime décédée du fait de ses blessures entre le moment de l’accident et son décès, une indemnité réparant
« la souffrance psychique résultant d’un état de conscience suffisant pour envisager sa propre fin »  [6].

Ce préjudice est désormais reconnu de manière autonome la chambre mixte de la Cour de Cassation au terme de deux arrêts en date du 22 mars 2022.

Ce préjudice n’a cependant jamais été admis pour des victimes, ou leurs ayants-droit, dont le décès a pour origine une contamination de cette nature, y compris pour les infections nosocomiales, même si l’existence d’un préjudice spécifique de « contamination » a été reconnue pour les victimes de contamination transfusionnelle  [7].

Aussi, et même si pour les familles, la reconnaissance de ce préjudice d’angoisse de mort imminente revêt une importance particulière, les conditions de sa mise en œuvre sont loin d’être établies et il est peu probable d’obtenir une indemnisation sur ce fondement, celle-ci étant clairement circonscrite à des circonstances tout à fait exceptionnelles. Elle mérite néanmoins d’être envisagée.

IV- La jurisprudence des Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux.

C’est ainsi que de nombreuses familles se sont tournées vers les Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux.

En effet l’avantage de la saisine de cette commission est, sous réserve de la recevabilité de la demande, l’organisation d’une expertise contradictoire et gratuite.
La Commission désigne alors deux experts et s’agissant de la Covid-19, généralement un pneumologue et/ou infectiologue.

Ces derniers convoquent alors l’ensemble des parties mises en cause ainsi que les requérants à une réunion d’expertise, laquelle est réalisée sur pièces c’est-à-dire sur la base du dossier médical du patient.

Il appartient ainsi aux experts de déterminer si la cause de la mort est liée à la Covid-19, si l’infection a été contractée au cours de l’hospitalisation, si la victime présentait un état antérieur ou non, et enfin, de déterminer les préjudices qui en découlent pour la victime et pour ses proches.

Dans plusieurs décisions, les CCI ont ainsi reconnu le caractère nosocomial de la contamination à la Covid-19.

Avis de la CCI d’Ile de France du 21 avril 2022.

Une patiente âgée de 71 ans souffrant d’un carcinome pulmonaire avec métastases osseuses de la voûte crânienne envahissant le lobe frontal a été hospitalisée au sein d’un service d’oncologie en vue d’une thérapeutique associant radiothérapie et chimiothérapie.

Le lendemain de son hospitalisation, un test PCR a été réalisé, lequel est revenu négatif.

A J16 de l’hospitalisation, en raison de l’apparition de symptômes typiques de l’infection Covid-19, une PCR de principe a été réalisée, laquelle est revenue positive.

L’état de santé de la patiente s’est ensuite rapidement dégradé en raison d’une atteinte pulmonaire majeure. Elle est décédée une semaine après la mise en évidence de l’infection Covid-19.

La famille a décidé de saisir la CCI d’Ile-de-France, laquelle a ordonné une expertise confiée à un médecin réanimateur infectiologue et à un médecin microbiologiste.

Les experts ont conclu que « Le décès est dû à une détresse respiratoire aigüe liée à une infection Covid 19 dans le contexte sous-jacent d’un adénocarcinome pulmonaire avec métastases osseuses en cours de traitement » et que « l’infection à Covid 19 est l’élément principal de la cause du décès ».

Ils considèrent que « compte tenu du délai de survenue de l’infection > 12 jours après l’admission, l’infection de la patient à SARS COV-2 est considérée comme associée aux soins ».

Dans son avis du 21 avril 2022, la CCI estime :
« qu’il ressort du rapport d’expertise que le décès de la patiente est en lien avec l’infection à SARS Cov-2 que celle-ci a contractée.

Que par ailleurs, cette infection est survenue au cours ou au décours d’une partie en charge alors qu’elle n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge, doit être qualifiée de nosocomiale » [8].

S’agissant de l’état antérieur, elle retient « que la survenance du décès de la patient est imputable à l’infection au Sars Cov2 en milieu hospitalier pour une part qu’elle évalue souverainement à hauteur de 35% ».

Avis de la CCI d’Ile de France du 16 juin 2022.

Un patient âgé de 79 ans a été hospitalisé en chirurgie vasculaire et médecine interne pour une prise en charge d’une gangrène du pied droit.

Le patient a subi une intervention consistant en une excision des tissus nécrosés.
L’opération s’est bien déroulée et le patient a été gardé à l’hôpital dans le cadre du suivi post-opératoire dans le but de consolider la cicatrisation de son pied.

A 11 jours de l’hospitalisation, l’état de santé du patient s’est rapidement dégradé et le diagnostic d’infection à Covid-19 a été posé suite à la réalisation d’un test PCR positif. A noter que deux tests PCR avaient été réalisés à J0 et à J4 de l’hospitalisation, lesquels étaient revenus négatifs, ce qui permettait de s’assurer que l’infection n’était ni présente, ni en incubation au moment de la prise en charge.

L’état de santé du patient s’est ensuite rapidement dégradé en raison d’une atteinte pulmonaire majeure. Il est décédé une semaine après la mise en évidence de l’infection à la Covid-19.

La famille a décidé de saisir la CCI d’Ile-de-France, laquelle a ordonné une expertise confiée à un médecin pneumologue et à un médecin anesthésiste-réanimateur.
Les experts ont conclu que « le décès est lié directement et uniquement à une infection à Sars Cov 2 » et que « l’infection n’est pas directement liée aux soins, mais a été contractée dans l’établissement ».

Dans un avis en date du 16 juin 2022, la CCI d’Ile-de-France a considéré que :
« au regard de la date d’apparition des symptômes et du délai habituel d’incubation de l’infection à Covid-19, il existe un faisceau d’indices graves, précis et concordants permettant de considérer que l’infection à SARS-COV-2 présentée par le patient a été contractée au cours de son hospitalisation.

Dès lors, la commission considère que cette infection, ainsi survenue au cours ou au décours d’une prise en charge alors qu’elle n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge est associée aux soins et doit être qualifiée à ce titre de nosocomiale » [9].

La Commission met donc à la charge de l’ONIAM l’indemnisation des préjudices résultant du décès du patient, en considérant néanmoins que « l’état antérieur du patient a joué un rôle défavorable dans l’évolution de l’infection à SARS-COV-2 et a participé à la survenue du décès à hauteur de 80% ».

Avis de la CCI du Nord-Pas de Calais du 22 mars 2023.

Un patient âgé de 70 ans a été hospitalisé après avoir été victime de diverses chutes accompagnées de malaises et vertiges.

Après plusieurs transferts dans des hôpitaux successifs, le patient a commencé à souffrir de troubles respiratoires avec des épisodes de désaturation, ce qui a conduit à la réalisation d’un test PCR de principe qui s’est révélé positif à J35 de la prise en charge initiale.

Son état de santé s’est peu à peu dégradé, ce qui a conduit à son décès quelques jours après la contraction de la Covid-19.

La famille a saisi la CCI du Nord-Pas-de-Calais, laquelle a ordonné une expertise confiée à un neurochirurgien et à un médecin spécialisé en maladies infectieuses.
Les experts ont conclu que « Le décès relève exclusivement d’une infection intercurrente à Covid durant le séjour hospitalier ».

La CCI a été d’avis que « Le patient a contracté une infection à la Covid 19 au décours de sa prise en charge. Les différents tests réalisés depuis le début de l’hospitalisation s’étaient tous révélés négatifs. Ainsi, cette infection est en lien direct et certain avec la prise en charge médicale litigieuse et revêt les critères permettant de la qualifier de nosocomiale » [10].

L’étude des avis qui ont été rendus par les CCI permet de constater que les infections à Covid-19 contractées au sein d’un établissement de santé sont généralement qualifiées de nosocomiales conformément à la jurisprudence des cours suprêmes administratives et judiciaires.

En revanche, il est certainement à regretter la prise en compte d’un état antérieur lequel diffère parfois dans sa proportion par rapport à l’avis des experts et sans que cela ne donne lieu à débat contradictoire.

Il s’agit cependant d’une voie rapide et efficace qui offre aux familles des victimes une expertise gratuite et de qualité leur permettant de comprendre les circonstances qui ont entouré le décès de leur proche. Cela leur permet par ailleurs le plus souvent et si les conditions sont bien remplies d’être indemnisé de leurs préjudices.

Sylvie Personnic, Avocat http://www.sylvie-personnic-avocat.com/

[1CE, 23 mars 2018, n°402237.

[2Cass, Civ 1ère, 6 avril 2022, n°20-18.513.

[3Article 1142-1 du Code de la santé publique.

[4Référentiel de l’ONIAM 2018.

[5Rapport de Mme le Professeur Porchy-Simon « L’indemnisation des préjudices situationnels d’angoisse des victimes directes et de leur proches ».

[6Cass. Crim 23 octobre 2012 pourvoi n° 11-83770.

[7Cass. Civ. 2ème 2 avril 1996 pourvoi n° 94-15676.

[8Avis 21 avril 2022 CCI Ile de France - Dossier 21-075-C-137288.

[9Avis du 16 juin 2022 CCI Ile de France - Dossier 21-075-C-137294.

[10Avis 22 mars 2023 CCI Nord - Dossier 22-059-C-142245.