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Christophe Pallez, Déontologue de l’Assemblée nationale.
Parution : lundi 2 mai 2022
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C’est une fonction qui a fêté ses 10 ans en 2021. Une décennie qui lui a permis de s’étoffer et d’évoluer, mais pas de se faire connaître - il faut l’avouer - des citoyens. Et, ce, alors même que c’est notamment pour répondre à une exigence de transparence de la vie publique que cette fonction a été créée.
Christophe Pallez, nommé Déontologue de l’Assemblée nationale en 2021 pour un mandat de deux ans non renouvelable, a pris le temps de répondre aux questions du Village de la Justice sur son rôle et de dresser un bilan de cette première décennie.

Village de la Justice : Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette fonction ? Depuis combien de temps existe-t-elle ? A quel(s) besoin(s) répond-elle ?

Christophe Pallez : "La fonction de déontologue au sein de l’Assemblée est assez récente puisqu’elle a été instaurée par une décision du Bureau en date du 6 avril 2011 qui a édicté, dans le même temps, un code de déontologie des députés. Quatre déontologues m’ont déjà précédé [1].

Cette fonction répond à un besoin de transparence, devenu de plus en plus pressant au cours des dernières années, exprimé par les citoyens vis-à-vis de leurs élus et, plus généralement, de la vie politique. Les attentes dans ce domaine se sont traduites par des évolutions législatives [2] ainsi que par des modifications du Règlement de l’Assemblée nationale [3] et différentes décisions du Bureau de l’Assemblée nationale. Il en résulte des obligations nouvelles pour les députés : transmettre une déclaration d’intérêts et d’activité qui est rendue publique, ne pas employer comme collaborateur un membre de leur « premier cercle familial », rendre compte de l’utilisation de leurs frais de mandat, etc.

Cette fonction répond à un besoin de transparence, devenu de plus en plus pressant au cours des dernières années.

Parallèlement, les missions du déontologue ont été développées et recouvrent un périmètre bien plus vaste qu’au moment de la création du poste en 2011. Les missions qui m’incombent aujourd’hui sont :
- le contrôle de l’utilisation par les députés des frais de mandat qui leur sont alloués pour l’exercice de leur mandat ;
- le conseil délivré aux députés et à leurs collaborateurs pour prévenir et traiter les conflits d’intérêts (ce qui couvre notamment les déclarations de cadeaux ou de voyages offerts par des tiers) ;
- le contrôle des représentants d’intérêt qui doivent se conformer au code de conduite édicté par l’Assemblée ;
- le contrôle du respect des règles concernant l’emploi par le député d’un membre de sa famille comme collaborateur ;
- le suivi des attestations fiscales que les députés doivent remettre au début de leur mandat ;
- les potentiels harcèlements moraux et sexuels impliquant les députés ou leurs collaborateurs ;
- la déontologie des personnels de l’Assemblée nationale.

J’observe qu’en écho à ces attentes fortes de transparence, les députés se montrent très soucieux du respect des différentes règles, qui représentent, il faut en convenir, un corpus touffu qu’ils ont parfois du mal à décrypter, et n’hésitent pas à me solliciter pour obtenir les explications qu’ils jugent nécessaires."

V.J : Comment concrètement l’exercez-vous : en équipe ou seul ? Quels sont vos "outils", vos moyens ?

C.P : "Pour l’exercice de mes fonctions, je m’appuie sur la division de la déontologie et du statut du député qui compte neuf fonctionnaires qui, outre la déontologie, ont également en charge le suivi des déclarations d’intérêts et la préparation de l’examen des incompatibilités parlementaires par le Bureau de l’Assemblée. Le contrôle des frais de mandat mobilise l’ensemble de l’équipe et la majeure partie de son temps de travail. En dehors des moyens humains et matériels, cette division ne bénéficie d’aucun budget spécifique."

V.J : Quelle est la portée de vos rapports ?

C.P : "Les rapports annuels du Déontologue sont mis en ligne sur le site Internet de l’Assemblée nationale. Ils ont vocation à informer le grand public sur la mise en œuvre des missions du Déontologue mais également sur l’appropriation par les députés des règles de déontologie.

Le Déontologue peut également être consulté par les instances de l’Assemblée nationale (Président, Bureau, Questeurs). Il est alors amené à émettre un avis officiel sur des projets de réforme dans lequel il formule des propositions d’évolution des règles applicables aux députés."

V.J : Quel est le bilan actuel du travail du déontologue de l’Assemblée nationale ? Êtes-vous de plus en plus sollicité ? Autrement dit, votre travail entraîne-t-il des comportements plus vertueux, ou au contraire les pratiques changent-elles pour échapper à votre contrôle ?

C.P : "S’agissant de la mission de conseil, la précédente Déontologue avait constaté une explosion du nombre de consultations au début de la quinzième législature et depuis mon arrivée, cette activité reste soutenue. Alors que l’année n’est pas terminée, j’ai déjà répondu à plus de 500 demandes d’avis, provenant à la fois des députés et de leurs collaborateurs.

Ces sollicitations portent sur des sujets très variés. À titre d’exemple - mais cela sera précisé dans mon rapport public - environ 50 sollicitations ont porté sur des questions en matière d’incompatibilité et de conflit d’intérêts. La plupart sont toutefois relatives aux frais de mandat, ce qui démontre une réelle volonté de la part des députés d’adopter un comportement vertueux dans l’utilisation des fonds publics mis à leur disposition par l’Assemblée nationale.

Le Déontologue est désormais un « outil » bien identifié et considéré comme utile par les députés.

Il est intéressant de constater que les députés qui s’adressent à moi sont nombreux et de tous les groupes politiques, les sollicitations que je reçois ne provenant pas toujours des mêmes parlementaires. J’ai également pu observer que les députés récemment élus à la suite des dernières élections municipales, départementales et régionales m’ont immédiatement saisi afin de connaître les règles applicables et s’assurer de leur respect dans leur cas personnel. J’en déduis que le Déontologue est désormais un « outil » bien identifié et considéré comme utile par les députés, qui n’hésitent pas à me consulter.

Du côté du contrôle des frais de mandat, le contrôle aléatoire nouvellement mené, qui porte sur une partie des dépenses de l’année en cours, est également l’occasion de constater une assimilation des règles par les députés. Ceux ayant déjà fait l’objet d’un contrôle ont particulièrement su appliquer les recommandations qui leur avaient été faites, ce qui est très positif. Aussi bien dans la tenue de la comptabilité que dans la nature des dépenses, très peu de manquements sont finalement à relever.

S’il fallait donc dresser un bilan provisoire, je dirais que le « réflexe déontologique » est désormais acquis par les députés de cette législature et que peu de situations d’abus ou de dérive sont constatées. Dans l’ensemble, les députés sont très scrupuleux et soucieux de connaître et respecter les règles qui s’imposent à eux."

V.J : Enfin, avez-vous un droit de regard "déontologique" sur les propositions et projets de loi ?

"Le Déontologue n’exerce aucune compétence en matière législative. En revanche, il émet des avis et il est consulté quant à l’évolution du corpus de règles internes à l’Assemblée nationale dont il est chargé de contrôler le respect dans le cadre de son activité."

Toutes les informations sur le déontologue de l’Assemblée nationale sont à retrouver sur cette page.

Interview de Christophe Pallez par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la Justice

[1Jean Gicquel, Noëlle Lenoir, Ferdinand Mélin-Soucramanien et Agnès Roblot-Troizier.

[2Lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et lois du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.

[3Introduction des articles 80-1 à 80-6 du Règlement de l’Assemblée nationale.