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La faute grave de l’agent commercial et ses conséquences sur l’indemnité de fin de contrat. Par Maxime Taillanter, Avocat.
Parution : vendredi 12 novembre 2021
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La faute grave de l’agent commercial, mentionnée par l’article L.134-13 du code de commerce, permet tout à la fois au mandant de rompre le contrat d’agence commerciale et de s’exonérer du paiement de la substantielle indemnité de fin de contrat due à l’agent en cas de rupture des relations contractuelles.

Le notion génère un contentieux tel qu’il n’apparaît pas inintéressant d’en analyser les contours, au travers des nombreuses jurisprudences rendues en la matière.

On le sait, l’agent commercial peut percevoir en fin de contrat une indemnité compensatrice venant réparer le préjudice que lui cause la cessation du contrat d’agence commerciale (article L. 134-12 du code de commerce).

Le montant de cette indemnité peut s’avérer substantiel, les juridictions accordant rarement une indemnité inférieure à la somme de 24 mois de commissions.

Or, la faute grave commise par l’agent commercial lui fait perdre son droit à indemnité de fin de contrat, à condition naturellement que le mandant prouve l’existence de ladite faute (Cass. com., 9 juillet 2013, n° 11-23.528).

Il apparaît donc intéressant d’étudier la définition de la faute grave de l’agent commercial (1) et de tenter une synthèse des fautes graves validées en jurisprudence (2).

1. Définition de la notion de faute grave en droit de l’agence commerciale.

a. Absence de définition légale de la faute grave de l’agent commercial.

Il n’existe pas de définition légale de la notion de faute grave : l’article L.134-13 du Code de commerce se borne à préciser que l’indemnité de fin de contrat n’est pas due lorsque « la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l’agent commercial ».

Naturellement, compte-tenu de l’important contentieux généré par l’existence de l’indemnité de fin de contrat, les juridictions n’ont pas manqué de définir cette notion au travers de nombreux arrêts.

Il résulte de la jurisprudence la plus récente que la faute grave se définit comme « celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d’intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel » (Cass. com., 15 octobre 2002, n° 00-18.122).

Cette définition permet donc de considérer qu’un simple manquement de l’agent commercial ne suffit pas à le priver de l’indemnité compensatrice.

Un simple manquement de l’agent à ses obligations contractuelles peut éventuellement justifier une rupture anticipée mais ne permet toutefois pas d’empêcher le versement de l’indemnité de fin de contrat (Cass. com., 21 juin 2011, n° 10-19.902).

b. L’analyse par le juge de la faute grave de l’agent commercial.

En outre, le juge doit être amené à analyser les circonstances entourant les faits décris comme fautifs par le mandant (Cass. com., 14 novembre 2006, n° 05-11.278), à l’instar de la pratique du contentieux du licenciement en droit du travail.

Il est également nécessaire pour le mandant de ne pas tolérer le comportement jugé fautif et de sanctionner immédiatement l’agent commercial, puisque la faute grave est censée rendre « impossible » la poursuite du contrat d’agence commerciale (Cass. com., 11 juin 2002, n° 98-21.916).

Malgré ces précisions, la définition demeure tout de même floue, si bien que les parties pourraient être tentées de définir par avance la faute grave au travers de certaines situations directement listées dans le contrat.

Or, il a déjà été jugé qu’une telle pratique était parfaitement inefficace : seul le juge doit pouvoir déterminer ce qui relève ou non de la notion de faute grave au sens de l’article L. 134-13 du code de commerce (Cass. com., 28 mai 2002, n° 00-16.857).

Il n’apparaît donc pas inutile d’analyser des cas de jurisprudence ayant conduit à la reconnaissance ou au rejet de l’existence d’une faute grave de l’agent commercial.

2. Quelques exemples de décisions rendues en matière de faute grave de l’agent commercial.

L’analyse de la jurisprudence rendue en matière de faute grave de l’agent commercial montre que deux hypothèses sont les plus courantes : celle d’un manquement au devoir de loyauté et celle d’une négligence dans l’exécution de la mission de prospection et de négociation.

a. La faute grave tirée d’un manquement de l’agent commercial à son devoir de loyauté.

S’agissant des manquements au devoir de loyauté, il a notamment été jugé que constitue une faute grave :
- le fait de prospecter la clientèle au bénéfice de produits concurrents sans avertir préalablement le mandant (Cass. com., 16 octobre 2001, n° 99-11.932) ;

- la prise de participation par l’associé de la société agent commercial au capital d’un concurrent du mandant, sans l’avertir (Cass. com., 30 novembre 2004, n° 02-17.414 ; Cass. com., 22 novembre 2016, n° 15-17.131) ;

- la dissimulation d’une activité parallèle occulte de distribution (Cour d’appel de Paris, 4 janvier 2017, n° 14/12979).

En revanche, ne constitue pas un manquement au devoir de loyauté le fait d’imaginer un projet de société concurrente, à condition que l’agent commercial n’ait pas commencé l’exploitation de cette société de manière effective et sérieuse (Cass. com. 7 octobre 2014, n° 13-21.665).

Idem lorsque l’épouse de l’agent commercial se livre à la prospection de la clientèle au bénéfice d’une société concurrente, cette dernière n’étant pas liée par le contrat d’agence commerciale conclu par son époux (Cass. com., 27 septembre 2005, n° 03-20.128).

b. La faute grave de l’agent commercial liée à sa négligence et à son incompétence dans l’exercice de sa mission principale.

Outre les manquements au devoir de loyauté, les juridictions reconnaissent souvent l’existence d’une faute grave lorsque l’agent commercial [1] fait preuve de négligences et d’incompétence dans l’exercice de sa mission de prospection et de négociation.

Ainsi en est-il lorsque l’agent commercial :

- se désintéresse largement de la commercialisation des produits du mandant et ne soucie guère de l’activité commerciale (Cass. com., 28 novembre 2000, n° 97-22.482; Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-13.975; Cass. com., 9 juin 2015, n° 14-14.936) ;
- ne prospecte pas la clientèle (Cour d’appel de Paris, 17 février 2011, n° 06/07930)
- ne se conforme pas aux méthodes de vente (Cass. com., 20 février 2001, n° 98-13.656 )
- fait preuve de multiples défaillances dans le traitement des commandes de la clientèle dont il a la charge (Cass. com., 10 novembre 2015, n° 14-14.820) ;
- fait preuve d’une inertie totale dans la prospection, ne répond pas aux demandes de son mandant, rendant ainsi inévitable l’envoi de renforts pour palier à ses carences (Cass. com. 9 décembre 2014, n° 13-28.170).

Ces solutions apparaissent logiques puisque le mandant choisi de mandater un agent commercial afin que ce dernier prospecte la clientèle, dans un but évident de fidélisation des clients préexistants et de conquête de prospects.

c. Autres cas de faute grave de l’agent commercial.

Au-delà du devoir de loyauté, d’assiduité et de compétence de l’agent commercial, le mandant peut également exiger de sa part un comportement exemplaire.

Ainsi, il a déjà été jugé que constitue une faute grave le fait pour un agent commercial d’agresser physiquement et verbalement un client devant de nombreux témoins (Cass. com., 11 février 2003, n° 01-16.484).

Les écarts de comportement peuvent donc également justifier une privation de l’indemnité de rupture.

Maxime Taillanter Avocat au Barreau de Lyon https://www.taillanter-avocat-lyon.com/avocat-agent-commercial