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Dettes professionnelles et surendettement. Par Magalie Provost, Avocat.
Parution : mardi 11 janvier 2022
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L’existence de dettes professionnelles exclut-elle le bénéfice d’une procédure de surendettement ? Un jugement du 7 juin 2021 du Juge des contentieux de la protection près le Tribunal Judiciaire de Nevers rappelle les règles applicables en la matière.

Par un jugement du 7 juin 2021 (RG N°11-20-000423), le Juge des contentieux de la protection près le Tribunal Judiciaire de Nevers a rappelé que la présence de dettes professionnelles ne fait pas obstacle à la recevabilité d’une demande d’ouverture d’une procédure de surendettement, dès lors que les dettes non-professionnelles caractérisent à elles seules la situation de surendettement.

En l’espèce le débiteur, âgé de 59 ans, s’était retrouvé en invalidité et avait été contraint de cesser son activité de commerce de fruits et légumes sur les marchés.

Cette situation avait entrainé des difficultés financières auxquelles le débiteur ne pouvait faire face, en raison de ses faibles revenus, ses seules ressources étant fixées à la somme de 755 euros au titre de sa pension d’invalidité. La difficulté était que ses dettes étaient à la fois de nature personnelle (dette de logement, dettes sur charges courantes, dettes sur crédit à la consommation) et de nature professionnelle (crédit souscrit dans les besoins de l’activité professionnelle et taxe foncière des entreprises).

C’est dans ces conditions que le débiteur a déposé un dossier auprès de la Commission de surendettement des particuliers de la Nièvre. Par décision du 25 août 2020, la Commission a déclaré irrecevable cette demande au motif que « deux dettes (hors dettes RSI ou URSSAF) issues d’une ancienne activité professionnelle relevant des procédures collectives sont présentes et ont pour conséquence de rendre le débiteur inéligible à la procédure de surendettement. Le débiteur doit engager une procédure collective pour le traitement de son passif ».

Fort de son pouvoir d’appréciation de l’endettement invoqué, le Juge des contentieux de la protection a très justement infirmé cette décision et déclaré recevable le débiteur en sa demande de traitement de sa situation de surendettement.

Il a rappelé que la situation de surendettement est caractérisée par l’impossibilité manifeste pour le débiteur de bonne foi de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir [1].

Le Juge a également rappelé que l’impossibilité de faire face à un engagement de cautionner ou d’acquitter solidairement la dette d’un entrepreneur individuel ou d’une société caractérise également une situation de surendettement. Il en résulte que seules les dettes de nature non-professionnelles doivent être prises en compte pour apprécier la recevabilité de la demande de surendettement.

Or bien souvent, les débiteurs se retrouvent dans une situation irrémédiablement compromise dans leur vie personnelle du fait d’un événement directement en rapport avec leur activité professionnelle : une cessation d’activité, un redressement voire une liquidation judiciaire. Dans cette hypothèque, coexistent, avec les dettes personnelles, des dettes de nature professionnelles (c’est-à-dire des dettes « nées pour les besoins ou au titre d’une activité professionnelle » [2]) qui relèvent, quant à elles, des règles applicables en matière de procédure collective [3].

La coexistence de dettes de nature mixte, à la fois professionnelle et non professionnelle, exclut-elle pour autant le bénéfice d’une procédure de surendettement ? Assurément non. La jurisprudence est très favorable aux débiteurs en décidant que la coexistence de dettes professionnelles et de dettes personnelles ne permet pas d’exclure de la procédure de surendettement un débiteur en situation de surendettement du seul fait de ses dettes professionnelles :

« Attendu que s’il est vrai que pour être recevable à demander l’ouverture d’une procédure de traitement de surendettement, le débiteur doit être surendetté au regard de ses dettes non professionnelles, il n’en demeure pas moins vrai que la coexistence de dettes professionnelles et de dettes non professionnelles ne permet pas d’ exclure de la procédure un débiteur en situation de surendettement du seul fait de ses dettes professionnelles ; qu’en droit, en présence d’un surendettement mixte, il appartient à la commission ou aux juridictions de vérifier si le débiteur ne se trouve pas en situation de surendettement au regard de sa seule dette non professionnelle » [4].

Dans l’hypothèque de dettes mixtes, le droit positif a octroyé au juge du fond un pouvoir souverain d’appréciation important, puisqu’il est tenu de vérifier la part que représente les dettes non-professionnelles dans la situation globale du débiteur [5].

Le Tribunal Judiciaire de Nevers a ainsi rappelé que

« Pour apprécier la situation de surendettement, les dettes professionnelles ne sont pas prises en compte. Pour autant, la présence de telles dettes ne fait pas obstacle à la recevabilité de la demande d’ouverture d’une procédure de surendettement, dès lors que les dettes non-professionnelles caractérisent à elles seules la situation de surendettement » [6].

En l’espèce, le montant des créances professionnelles de 1 300 euros représentait seulement 10% de l’endettement total de 14 300 euros, les 90% restant correspondant aux dettes non-professionnelles d’un montant de 13 000 euros. Le débiteur était donc bien éligible à la procédure de surendettement.

Face à une décision d’irrecevabilité de la Commission de surendettement fondée sur l’existence de dettes professionnelles, le débiteur ne doit donc pas hésiter à former un recours devant le juge compétent dans le délai imparti et solliciter les conseils d’un avocat dans cette démarche.

Magalie Provost Docteur en Droit Privé Avocat au Barreau de Nevers [->provost.avocat@gmail.com] Site internet: www.provost-avocat-nevers.fr

[1Article L711-1 du Code de la consommation.

[2Cass. 2e civ., 8 avril 2004, Bull., II, n° 190, pourvoi n° 03-04.013.

[3Articles L631-1 et suivants du Code de commerce.

[4Cour d’appel de Pau, 17-12-2013, n° 13/4807.

[5Cass. 2e civ., 29 janvier 2004 : n° 02-04.095 ; Cass., 2e civile, 6 juin 2019 : n° 18-17.158.

[6Juge des contentieux de la protection du Tribunal Judiciaire de Nevers, 7 juin 2021 (RG N°11-20-000423).