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Une cour d’appel torpille les sociétés de recouvrement des créances anciennes. Par Paul-Emile Boutmy, Avocat.
Parution : mercredi 9 février 2022
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Dans un arrêt révolutionnaire du 14 septembre 2021, la Cour d’appel d’Amiens a décidé de déclarer la guerre aux sociétés spécialisées dans le rachat de crédits à la consommation, en arrêtant que le principe de cession de créances à des organismes spéculatifs qui avaient pour vocation de recouvrer des crédits plus de 11 années après leur souscription caractérise les délits de pratiques commerciales déloyales et abusives.

Ce faisant, la Cour d’appel d’Amiens remet tout simplement en cause la qualité à agir de toutes les sociétés spécialisées dans le rachat de vieux crédits à la consommation.

En effet, en application de ce principe, les cessions de créance qualifiées de « spéculatives » et caractérisant le délit de pratiques commerciales déloyales, ne sont plus opposables aux débiteurs cédés.

Ainsi, en vertu de cette jurisprudence, lorsque les sociétés Eos France, Intrum, 1640 Finance, 1640 Investment, Iqera, Cabot Financial France, ou les fonds communs de titrisation de créance tels que Credinvest ou Foncred viennent réclamer le paiement d’un crédit datant de la présidence de Jacques Chirac, le débiteur relancé pourra opposer le caractère déloyal de la cession.

En outre, sanctionnant « les activités prédatrices » de la société Eos France « qui inondent la juridiction », relevant « le caractère choquant de poursuites procédant d’une cession spéculative » en vertu d’un titre dont le débiteur n’avait plus entendu parler depuis 11 ans, alors qu’il devait s’occuper de 4 enfants avec un salaire modeste, la Cour a considéré que cette manière de recouvrer les créances caractérisait une pratique commerciale déloyale indiquant au sujet de la société Eos France qu’il s’agissait d’un « fonds financier entièrement dévoué à la poursuite maximale des recouvrements de créances achetées à bas prix ».

La cour en a tiré comme conséquence que « cette pratique, postérieure au contrat, est déloyale ».

Un aspect très particulier de cette décision de la Cour d’appel d’Amiens est qu’elle a soulevé d’office les moyens relatifs aux pratiques commerciales déloyales et abusives, alors qu’elle avait déjà constaté que la cession de créance n’était pas valable.

Ainsi, ces moyens n’avaient pas été soulevés par les parties, et c’est donc bien une torpille envoyée directement par les magistrats aux sociétés de recouvrement.

Il convient de rendre hommage à la société Eos France, puisque son comportement a poussé les magistrats à faire évoluer la jurisprudence, ceux-ci ayant fait preuve d’innovation pour mettre à mal les « activités prédatrices » dont ils sont si souvent saisies.

En effet, cette société est à l’origine :
- Du principe de la prescription biennale des intérêts, là encore soulevé d’office, ("Veuillez, sous huitaine, régler une dette datant de 1995"),
- De l’exercice du droit au retrait litigieux au moment de l’opposition à une ordonnance antérieure à la cession de créance,
- De la sanction pour pratique commerciale déloyale du recouvrement d’intérêts prescrits (Quand on vous demande de payer des intérêts calculés sur 5 ou 26 ans !).

A présent, la société Eos France est à l’origine du fait que son activité majeure a été déclarée par la Cour d’appel d’Amiens comme une pratique commerciale déloyale et abusive.

Rendons donc hommage à la société Eos France qui aura activement contribué à la défense du droit des consommateurs, tel un bienfaiteur, voire un mécène.

Nul doute que les prochaines décisions à intervenir vont être intéressantes et cela permet aux débiteurs harcelés par des sociétés spécialisées dans le recouvrement de vielles dettes de garder espoir.

Il reste encore à faire établir le droit à l’accès au juge dans le cas où une opposition à ordonnance d’injonction de payer est irrecevable, sans parler d’une possible condamnation à l’encontre de ce type de sociétés prédatrices pour les délits de harcèlement ou d’appels téléphoniques malveillants…

Comme disait une ancienne présidente de la chambre des comparutions immédiates du Tribunal correctionnel de Paris en lisant le casier vierge d’une prévenue qu’elle s’apprêtait à juger : « N’insultons pas l’avenir ».

Paul-Emile Boutmy Avocat à la Cour d'appel de Paris [->paulemileboutmy@gmail.com] https://www.avocat-boutmy.com

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