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Indemnisation des dégâts causés par le grand gibier. Par Alexis Colcomb, Elève-Avocat.
Parution : jeudi 10 mars 2022
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La décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 2022 (n° 2021-963 QPC) confirme la constitutionnalité de la charge pour les fédérations départementales des chasseurs de l’indemnisation des dégâts causés par le grand gibier.

Décision : QPC 20 janvier 2022 n°2021-963 : Fédération nationale des chasseurs (Indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et récoltes).

Le Conseil Constitutionnel, saisi par le Conseil d’Etat le 20 octobre 2021, avait à juger de la constitutionnalité de l’article :
- L421-5 du Code de l’environnement : Les Fédérations Départementales des Chasseurs (les « FDC ») « conduisent des actions de prévention des dégâts de gibier et assurent l’indemnisation des dégâts de grand gibier dans les conditions prévues par les articles L426-1 et L426-5 » au regard de la constitution notamment :
- le principe d’égalité devant la charge publique. Issu de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

Le système actuel d’indemnisation des dégâts causés par le grand gibier date de la loi de finance du 27 décembre 1968. Il remplace le « Droit d’affut », que détenaient les agriculteurs sur leur exploitation afin de limiter les dégâts aux cultures. Ce système prévoit que les chasseurs effectuent des versements afin d’indemniser les dégâts liés au grand gibier (cerfs, daims, mouflons, chevreuils et sangliers). A cette époque, le système est national et en 2000, un transfert de la charge de l’indemnisation intervient passant de L’office Nationale de la Chasse et de la Faune Sauvage (l’« ONCFS ») aux FDC.

Ce système repose sur une indemnisation non contentieuse.

Tout exploitant qui a subi des dégâts nécessitant une remise en état ou entraînant une perte agricole peut réclamer une indemnisation à la FDC s’il remplit certaines conditions :
- les dégâts doivent avoir été causés par des espèces de grand gibier ;
- de gibier ne doit pas provenir de son propre fonds [1] ;
- le montant des dommages dépasse un seuil fixé par décret : des dégâts supérieurs à 3% de la surface ou du nombre de plants de la parcelle détruite, ou avoir subi des dégâts dont le montant dépasse 230 euros, ou 100 euros pour le cas particulier des prairies, avant abattement (R426-11).

L’indemnisation est calculée selon un barème départemental. Elle peut être réduite : un abattement légal de 2% s’applique et une réduction peut intervenir en cas de responsabilité de l’exploitant dans la survenance du dommage.

En pratique, un exploitant agricole victime de dégât :
- Effectue une déclaration de dégâts à la FDC,
- Une expertise par un expert habilité permet la conclusion d’un constat définitif avec accord de l’exploitant agricole,
- Selon le barème précité, la FDC établit une offre d’indemnisation.

Une Commission Nationale d’Indemnisation des dégâts de gibiers fixe et harmonise les barèmes d’indemnisation et étudie les recours contre les décisions des FDC en cas de désaccord avec la proposition d’indemnisation.

Selon Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État au ministère de la transition écologique de 2018 à 2020 :

« L’augmentation des portées de sanglier et les dégâts de gibier (…) engendrent une situation difficile. Ce statu quo n’est pas tenable pour les chasseurs et les agriculteurs. Nous savons bien que la lutte contre le réchauffement climatique qui cause ces dérèglements est un enjeu fondamental ».

En effet, le nombre de chasseur est passé de 2 millions à la fin des années 1970 à 1,173 million en 2019 (baisse de 2% par an). Dans le même temps, le nombre de sangliers dans les pays européens a été multiplié par 4 à 5 en moyenne par pays durant les 20 dernières années. D’où le cout démultiplié pour les FDC.

Le président de la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC) Willy Schraen déclarait le 22 juillet 2022 pour France Bleu :

« … la tendance est la même partout. La loi sur laquelle repose ce système date de 1968, à une époque où on tuait 80 000 sangliers par an en France ; aujourd’hui, on abat 1 million de sangliers par an, la prolifération est considérable. Parallèlement, le nombre de chasseurs a diminué … ».

D’autant que la réorganisation du permis de chasse avec un permis de chasser national à 200 euros a affaibli les finances des fédérations régionales des chasseurs qui financent aujourd’hui par l’emprunt l’indemnisation des agriculteurs.

Les FDC reprochent à cette législation

« de méconnaître le principe d’égalité devant la charge publique, au motif qu’elle fait peser sur les seules fédérations départementales des chasseurs la charge de l’indemnisation des dégâts de grand gibier, alors que son montant a augmenté en raison de la prolifération de certaines espèces et que les chasseurs ne sont pas responsables de ces dégâts ».

Dès lors, la charge financière que représente cette indemnisation entraine une rupture d’égalité devant la charge publique.

Le Conseil Constitutionnel confirme que ce système d’indemnisation est conforme à la constitution.

En effet selon le Conseil Constitutionnel, l’article 13 de la DDHC n’interdit pas de faire supporter pour un motif d’intérêt général à certaines catégories de personnes des charges particulières sauf si cela constitue une rupture caractérisée de l’égalité devant la charge publique.

Le motif d’intérêt général ici évoqué est celui du financement de l’indemnisation des dégâts causés par le gibier. Puis l’indemnisation des dégâts entre, selon le conseil constitutionnel, dans les missions de service public des FDC.

Enfin, elle considère que dans la mesure ou le système d’indemnisation prévoit des seuils, des abattements, la possibilité de voir la responsabilité du propriétaire du fonds engagée, la charge financière des dégâts n’entraine pas une rupture d’égalité devant la charge publique.

Alexis Colcomb, Elève-Avocat

[1L426-2 du Code de l’environnement.