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[Réflexion] La présomption d’innocence à l’aune du nouveau contexte sociétal : le lynchage médiatique est ouvert. Par Sandrine Pégand, Avocat.
Parution : mercredi 1er juin 2022
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Analyse et Synthèse de 3 décisions, avis et rapports rendus par la Cour de cassation sur le thème de la présomption d’innocence (1er semestre 2022).

La présomption d’innocence à l’aune du nouveau contexte sociétal.

De nouveaux modes de communication ont été adoptés de manière universelle.

Entre autres, le caractère public du réseau Twitter a permis la diffusion immédiate et sans limites de toute sorte d’informations, considérablement favorisée par l’usage d’un hashtag, à la fois signe de ralliement à un mouvement et mécanisme informatique de viralité d’un message.

Depuis l’affaire du célèbre producteur américain accusé et condamné pour harcèlement sexuel, viols et agressions sexuelles sur de nombreuses actrices, un mouvement sociétal remarquable de dénonciations des atteintes à caractère sexuel faites aux femmes est apparu sur Internet.

Ces dénonciations de comportements susceptibles d’infraction pénale ou heurtant la dignité de la victime, se retrouvent scellées dans des « post » avec désormais une délation nominative, stigmatisant la personne pour l’éternité.

Certes, nous vivons dans une société démocratique, propice à l’émergence de débats d’intérêt général mais qui implique trop souvent l’absence de protection des individus dont l’honneur et la réputation sont mises en cause, sur le fondement d’un message nécessairement bref rédigé en quelques signes limités, sans nuance, dans un contexte médiatique viral devenu la norme au 21e siècle.

La dénonciation nominative favorise l’apparition d’une justice privée par l’inévitable sanction immédiate de l’opinion publique et la liberté d’expression s’en trouve indéniablement renforcée par ce nouvel environnement technologique ouvert sur la société dans son ensemble et très performant du point de vue de la diffusion large.

Mais alors, quels sont les remparts que le législateur a érigés ?

Le tribunal médiatique ne saurait en effet se substituer à la justice étatique.
Sauf que les décisions rendues par la Cour de cassation, ces derniers mois, nous laissent pantois et créent un véritable paradoxe.

Et les rumeurs qui s’abattent sur le ministre des Solidarités en sont un exemple concret.

Il résulte de l’article 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article 9-1 du Code civil et de l’article préliminaire, III, alinéa 1er, du Code de procédure pénale que le droit au respect de la présomption d’innocence est celui de ne pas être présenté publiquement comme coupable d’une infraction, tant qu’une procédure pénale est en cours.

En effet, la présomption d’innocence ne saurait être bafouée et son atteinte fonder une action en justice qu’en cas de dénonciation nominative d’une personne faisant l’objet de procédures judiciaires en cours.

Ainsi, si le mis en cause, visé par une plainte, a bénéficié d’un classement sans suite, la prétendue victime qui dénonce de nouveau ces faits sur la place publique, ne pourra être attaquée que sur le fondement de la diffamation [1].

En revanche, en dehors de toute procédure judiciaire en cours, une personne s’estimant victime est désormais autorisée à publier des propos contenant l’imputation d’un délit, sans être sanctionnée au motif que lesdits propos s’inscrivent et participe au débat d’intérêt général et serait de bonne foi [2].

Par ces décisions, le lynchage médiatique est ouvert.

Il apparait donc urgent que le législateur comble ce vide juridique et renforce la loi sur la présomption d’innocence.

Sandrine Pégand Avocat associée Barreau de Paris https://maitrepegand.com

[1Décision de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 16 février 2022 (Pourvoi n°21-10.211).

[2Décisions du 11 mai 2022 de la 1e chambre civile de la Cour de cassation (Pourvois n°21-16.497 et n°21-16.156).

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