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Les contrats de cession de droits d’auteur à l’épreuve du phénomène des « NFT artistiques ». Par Sylvie Regnault, Avocat et Hugues Belleau, Juriste.
Parution : vendredi 3 juin 2022
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Depuis la vente de l’œuvre numérique « Everyday : The First 5 000 Days » de l’artiste Beeple par Christie’s le 11 Mars 2021 pour un prix record de 69,3 millions de dollars, les NFT sont au cœur d’un véritable engouement médiatique et populaire, en dépit des inévitables controverses que leur émergence suscite.

Abréviation anglaise de l’expression « Non Fongible Token », un NFT est un jeton numérique unique et non fongible, inscrit durablement sur une blockchain et auquel peut être associé toutes sortes de droit ou de privilège, dont il permet de certifier l’authenticité. L’expression « NFT artistique » (ou « NFT Art »), déjà reconnue dans la doctrine, est utilisée pour décrire de manière générale tout NFT associé à une œuvre d’art. Ces dernières peuvent être, selon les cas, des œuvres entièrement numériques - ce qui est le cas des célèbres CryptoPunks ou Bored Ape - ou des œuvres physiques reproduites sur un support numérique - en témoigne la création de NFT associés à des reproductions numériques d’œuvres emblématiques de De Vinci et de Raphael.

Sans revenir sur le fonctionnement technique des NFT, qui a déjà été largement traité par ailleurs, il convient de rappeler que la création d’un NFT artistique passe par des opérations préalables de tokenisation et de minting, qui ont pour objet de permettre la création et l’inscription du jeton sur une blockchain, et plus généralement sur la blockchain Ethereum.

Les opérations d’inscription et de vente du NFT, opérées sur la blockchain sont régies par un Smart Contract, programme informatique permettant, d’une part, de définir les caractéristiques du droit ou de l’œuvre associé(e) au NFT et, d’autre part, d’exécuter automatiquement les ventes et reventes successives du NFT aux conditions prévues au smart contract sans l’intervention d’un organisme tiers.

Au centre de toutes les attentions dans la presse artistique et financière spécialisée, les NFT se voient maintenant être appropriés par les théoriciens et professionnels du droit, pour qui ce sujet soulève des problématiques nouvelles et variées. Force est de constater, qu’en l’absence de réglementation spécifique applicable pour le moment, le régime juridique des NFT demeure incertain à plusieurs égards, notamment en droit de la propriété intellectuelle où l’absence de qualification légale des « NFT artistiques » est source de nombreuses interrogations autour de la titularité des droits.

La question de la titularité des droits d’auteur sur l’œuvre associée au NFT se pose tant au stade de la création et de la première mise en vente du NFT qu’à l’occasion de l’achat de ce NFT par un tiers. La conclusion d’un contrat de cession de droits (ou de licence) se révèle ainsi indispensable à la création d’un NFT artistique et à l’utilisation de l’œuvre sous-jacent (I) dont la rédaction doit être adaptée à ces nouveaux actifs (II).

I. Le contrat d’auteur, gage du transfert des droits de propriété intellectuelle sur le NFT artistique.

La cession des droits de l’auteur sur une œuvre suppose de tenir compte des obligations légales prévues par le Code de la Propriété Intellectuelle que sont les principes de formalisme, de spécialité des cessions de droits d’auteur et de rémunération.

1. La cession des droits d’auteur sur une œuvre associée au NFT est ainsi conclue par écrit [1].

L’émetteur du NFT artistique doit, à ce titre, être expressément autorisé par l’auteur de l’œuvre d’émettre et de commercialiser le NFT, à défaut pour ce dernier d’être qualifié de contrefacteur. Cette autorisation se formalise par un contrat de cession des droits d’auteur intégré au Smart Contract.

L’acquéreur du NFT doit également se faire concéder des droits d’utilisation sur l’œuvre associée au NFT pour pouvoir l’exploiter sur les réseaux sociaux ou dans les Metavers et, plus généralement, pour la diffuser dans l’espace public comme Internet. À l’instar du monde réel, l’achat d’un NFT ne transfère, par défaut, aucun droit de propriété intellectuelle sur l’œuvre à l’acheteur. En l’absence d’une cession des droits, l’acheteur d’un NFT artistique peut uniquement exploiter son œuvre dans un cadre privé - comme un tableau qu’il conserverait chez lui - voire revendre le NFT, si l’on considère que l’autorisation à la première vente du NFT artistique a épuisé le droit de distribution de l’auteur.

2. Par ailleurs, la cession des droits d’auteur sur une œuvre associée au NFT doit détailler chaque droit cédé et délimiter précisément leur domaine d’exploitation [2].

L’étendue des droits cédés varie en fonction des modes d’exploitation de l’œuvre associée au NFT. La création et la première mise en vente d’un NFT artistique relèvent des prérogatives patrimoniales de l’auteur.

L’émetteur du NFT se fait ainsi céder le droit de reproduction de l’œuvre sur un fichier numérique en vue de son association à un NFT et le droit de représentation de l’œuvre associée au NFT à des fins de mise en vente sur les plateformes dédiées.

L’acquéreur particulier du NFT se fait généralement et uniquement céder un droit d’utilisation du NFT à des fins d’utilisation non-commerciales sur l’espace virtuel, à l’exception du droit de revente du NFT sur une marketplace dédiée. À l’inverse, les partenaires de l’auteur se verront céder des droits d’utilisation du NFT à des fins commerciales pour par exemple distribuer des produits dérivés.

Les rédacteurs du contrat de cession des droits d’auteur devront assurément porter une attention toute particulière à la formulation de cette clause de cession des droits.

De surcroît, en vertu du principe d’interprétation stricte des cessions de droits patrimoniaux, toute clause imprécise ou ambigüe devra être interprétée dans les intérêts de l’auteur, c’est-à-dire comme n’accordant pas la cession des droits.

3. Enfin, la cession des droits d’auteur sur une œuvre associée au NFT est en principe rémunérée.

L’article L131-4 du CPI prévoit le principe d’intéressement proportionnel de l’auteur aux recettes tirées de l’exploitation de son œuvre en contrepartie de la cession des droits.

Toutefois, dans un certain nombre de situations limitativement énumérées, la rémunération peut être forfaitaire, notamment lorsque « 1° la base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée » ou encore lorsque

« 4° la nature ou les conditions de l’exploitation rendent impossible l’application de la règle de la rémunération proportionnelle, soit que la contribution de l’auteur ne constitue pas l’un des éléments essentielles de la création intellectuelle de l’œuvre, soit que l’utilisation de l’œuvre ne présente qu’un caractère accessoire par rapport à l’objet exploité ».

En matière de NFT artistique, la fixation d’une rémunération proportionnelle supposerait de pouvoir identifier avec précision les recettes tirées des exploitations de l’œuvre associée au NFT, lesquelles demeurent difficilement quantifiables. En pratique, seules les plus-values tirées de la vente du NFT sur la blockchain pourraient être aisément déterminées.

Face à ces difficultés, le choix d’opter pour une rémunération forfaitaire de l’auteur se justifiera, dans l’intérêt de celui-ci, au motif que la base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée. Le montant de cette rémunération forfaitaire devra alors être déterminé en fonction de la notoriété de l’auteur, de la valeur de l’œuvre à la date de la cession et du marché global des NFT.

II. Le contrat d’auteur, les nécessaires adaptations au phénomène des NFT artistiques.

La conclusion de contrats de cession de droits d’auteur d’œuvres en vue de leur exploitation en association avec un NFT conduit à une modification des pratiques contractuelles, s’illustrant notamment par la création d’un « droit de suite fictif » et la mise en place d’obligations, de garanties et de clauses inhérentes aux caractéristiques des NFT artistiques.

1. Les ventes de NFT sont encadrées par un droit de suite fictif.

Le droit de suite, prévu à l’article L122-8 du CPI, permet à l’auteur d’une œuvre originale graphique ou plastique, après la première vente d’un support de cette œuvre par lui ou ses ayants droits, de percevoir un pourcentage des recettes tirées des reventes sur le territoire français. Le bénéfice de ce droit de suite par l’auteur est conditionné au fait : (i) qu’un professionnel du marché de l’art intervienne dans la revente en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire, (ii) que le prix de revente soit supérieur à 750 euros et inférieur à 10 000 euros.

Ce droit de suite légal ne sera pas nécessairement applicable aux reventes de NFT artistiques. Si aucun texte spécifique ne vient l’autoriser expressément, aucune réglementation ne l’interdit pour autant, de sorte que son application reste envisageable si les conditions légales de mise en œuvre sont réunies. Or, certaines conditions font défaut dans le cadre de la revente de NFT artistique et notamment celle relative à l’intervention d’un professionnel du marché de l’art qui demeure marginal dans le secteur. Certains auteurs considèrent également que l’exigence d’une transaction opérée en euros pourrait faire obstacle à l’application du droit de suite alors qu’il pourrait être avancé en réponse que les crypto-monnaies sont convertibles en monnaie fiduciaire.

Face à ces incertitudes, il est essentiel de prévoir par des dispositions expresses dans le contrat de cession, le versement à l’auteur d’un pourcentage du prix de l’œuvre à l’occasion de chaque vente ou revente du NFT artistique. Intégré au Smart Contract, ce « droit de suite contractuel » présente l’avantage technique de bénéficier d’une exécution automatique et instantanée, par simple effet de la vente sur la blockchain.

En effet, à chaque vente ou revente du NFT sur la blockchain, le programme informatique intégré au NFT a la capacité de retenir automatiquement un pourcentage de royalties sur le prix de cession et le verser à l’auteur, directement ou par l’intermédiaire d’une tierce personne.

Cette « rente numérique » n’étant pas soumise aux dispositions légales, le vendeur et l’acheteur du NFT ont ainsi la possibilité de l’assortir de conditions et de modalités d’exécution variées, notamment de prévoir une variation du pourcentage en fonction du prix de vente, de limiter son exécution aux ventes où le prix de vente ou la plus-value dégagée est supérieure ou inférieure à un certain montant.

2. Des obligations, des garanties et des clauses spécifiques inhérentes à la nature des NFT artistiques doivent par ailleurs être mises en place dans les contrats d’auteur de NFT artistiques.

La prévision de dispositions spécifiques dans les contrats de cession de droits d’auteur pourrait permettre de faciliter son ajustement aux réalités techniques et juridiques des NFT artistiques.

Tout d’abord, les parties auront intérêt à rédiger un préambule afin de préciser les objectifs et enjeux du contrat, notamment si ce contrat fait partie d’une opération plus large ou s’intègre dans un contrat cadre. Ce préambule pourrait également permettre d’aborder les notions clés du contrat, comme les NFT et la Blockchain, étant précisé qu’une définition exhaustive de ces notions pourrait s’avérer très utile afin de favoriser l’adaptation du contrat à l’évolution technologique de ces procédés.

Ensuite, les parties pourraient également avoir intérêt à prévoir une clause de révision des conditions de rémunération de la cession à intervalles réguliers, leur permettant le cas échéant d’assurer leur adéquation à l’évolution du marché des NFTs artistiques et de leur valeur économique. En l’absence d’une telle clause, l’article L131-5 du Code de la Propriété Intellectuelle permettra à l’auteur, dans les cas où les parties ont prévu une rémunération forfaitaire, de provoquer unilatéralement la révision des conditions de prix du contrat par un juge lorsqu’il a subi un préjudice de plus de sept douzièmes dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des recettes de l’œuvre.

Enfin, les parties devront prendre en compte la nature technique des NFTs afin de prévoir des déclarations et garanties contractuelles spécifiques. A titre d’exemple, le cessionnaire des droits sur l’œuvre, chargé du mint et de la mise en vente du NFT, s’engagera à émettre un certain nombre d’exemplaire du NFT sans garantir leur vente ou leur revente à des utilisateurs, et exclura sa responsabilité en cas d’attaque de la blockchain, de perte de valeur du NFT ou de modifications légales et réglementaires susceptibles d’avoir des incidences sur le fonctionnement de la blockchain. Quant l’auteur, il devra garantir que l’œuvre numérique est en état de fonctionnement et d’opérabilité afin d’être minté.

Sylvie Regnault, Avocat et Hugues Belleau, Juriste Yooner Avocats

[1Article L131-2 du Code de la propriété intellectuelle.

[2Article L131-3 du CPI.

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