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La garde partagée provisoire, une solution de pacification ? Par Barbara Régent, Avocate.
Parution : mercredi 8 juin 2022
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En application de l’article 373-2-9 du Code civil, le juge aux affaires familiales peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée, généralement comprise entre 6 et 8 mois.
Au terme de celle période probatoire, le juge statue définitivement sur la résidence de l’enfant : soit il confirme la résidence alternée, soit il fixe la résidence chez l’un des deux parents.
Un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux, rendu en mai 2022, fournit une illustration intéressante de l’utilisation de cette mesure largement méconnue.

L’origine de la résidence alternée provisoire.

Certaines dispositions de l’article 373-2-9 du Code civil sont issues des travaux du Sénat lors de l’examen de la proposition de loi sur l’autorité parentale. Elles permettent au juge d’imposer la mise en place de la résidence alternée (RA) à titre provisoire, en cas de désaccord d’un parent.
Selon une étude Dalloz publiée en juillet 2021 [1], la demande d’une telle mesure temporaire devrait être accueillie par le juge avec un a priori positif compte tenu des travaux préparatoires du Sénat.
En effet, le rapporteur du Sénat Laurent Béteille, lors du débat en séance publique, a clairement indiqué l’objectif de ce mode de résidence : « Il s’agit d’affirmer, dans le code civil, une préférence pour la résidence alternée, que nous avons fait figurer dans le texte avant la résidence au domicile de l’un des parents, mais en faisant montre d’une certaine prudence lorsque l’un des parents est opposé à cette solution ».
Cette mesure a été conçue comme une période de « test » afin de permettre au juge de s’assurer que l’intérêt de l’enfant est préservé et que le parent qui en faisait la demande remplit pleinement son rôle éducatif.

Une mesure peu utilisée par les magistrats.

La consultation des juges dans l’étude Dalloz précitée met en lumière de grandes différences de pratique concernant la RA provisoire : la plupart des magistrats ne l’utilisent pas, craignant de prolonger les tensions inhérentes à la procédure judiciaire : en effet, ordonner une RA provisoire implique de fixer une nouvelle audience, généralement 6-8 mois après la première afin de statuer définitivement sur la résidence de l’enfant. Pendant cette période probatoire, chaque parent a souvent à cœur de démontrer le bien-fondé de sa position initiale (résidence alternée vs résidence chez le parent qui s’y oppose). Cette situation peut placer les enfants au cœur du conflit parental et présente un risque d’instrumentalisation.
D’autres magistrats utilisent cette mesure provisoire pour rassurer le parent qui s’oppose à la RA. Elle est alors fréquemment assortie d’une mesure de médiation.

Une mesure souvent assortie d’une mesure de médiation.

L’étude précitée souligne que la RA provisoire est souvent accompagnée d’une mesure de médiation. Ainsi, une Juge aux affaires familiales du Tribunal Judiciaire de Guéret estime, au vu de sa pratique, que la résidence alternée favorise bien souvent la résolution du conflit parental en conférant à chaque parent une pleine reconnaissance de son rôle auprès de l’enfant.
Par précaution, elle assortit fréquemment la résidence alternée d’une période provisoire :

« En répondant assez favorablement aux demandes de résidence alternée dans le cadre de ma pratique, en cas de conflit parental important, j’ordonne régulièrement une résidence alternée à titre provisoire, accompagnée soit d’une mesure d’instruction, de type bilan psycho-social, soit d’une mesure de médiation ; il apparaît ensuite à l’issue de la période provisoire, lorsque l’affaire est à nouveau débattue à l’issue d’un délai de six mois, que la résidence alternée a, dans la grande majorité des cas, apaisé les conflits parentaux en ce que chacun des parents s’est retrouvé sur un pied d’égalité et s’est senti reconnu dans son rôle parental et dans sa place auprès de l’enfant ».
De même, un juge au TJ d’Arras, affirme à propos de la RA provisoire : « J’en ordonne régulièrement dans des espèces où le conflit parental ou le manque de communication entre les parents apparaît comme le seul obstacle à la RA. Je l’accompagne toujours d’une mesure de médiation, qui n’est pas vraiment post-sentencielle dans la mesure où si la RA est provisoire, l’affaire doit être rappelée devant la juridiction ».

Une juge au Tribunal Judiciaire de Marseille, indique quant à elle ordonner la RA provisoire pour « 6 mois » pour « rassurer » les parents, avec une médiation :

« En effet, en cas de réticence de l’un des parents, c’est une option tout à fait intéressante que l’on peut encore optimiser par un accompagnement sous forme de médiation. C’est en ce qui me concerne une solution que je privilégie quasi systématiquement et qui permet souvent, soit de passer le cap d’une résistance parfois uniquement théorique ou philosophique de la part d’un des parents, ou d’une certaine appréhension de l’enfant, soit de se rendre compte qu’effectivement les parties ne sont pas prêtes pour une telle pratique, laquelle ne sera pas, dans ces conditions, reconduite, mais cette fois-ci d’un commun accord entre les intéressés ».

Enfin, une juge au Tribunal Judiciaire de Montpellier précise :

« Oui, je l’ordonne assez régulièrement. En particulier quand le couple vient de se séparer et qu’il n’y a aucun obstacle objectif à la mise en place d’une RA. Cette mesure est en général assez efficace. Elle permet de couper court à un conflit de légitimité parentale qui sous-tend bien souvent le désaccord sur la résidence alternée et la mesure permet aussi aux parents d’expérimenter la faisabilité compte tenu de leurs contraintes respectives. Par ailleurs, la RA à l’essai permet aux enfants eux-mêmes d’être libérés d’une angoisse de perte d’un parent, au moins pour les premiers temps de la séparation. Ils peuvent s’exprimer, lorsqu’ils sont en âge de le faire, sur la poursuite ou non de ce mode de garde, en connaissance de cause. Je l’ordonne en général avec une mesure de médiation afin de favoriser la collaboration des parents qui sont invités à trouver les moyens d’une coparentalité responsable centrée sur les besoins de l’enfant ».

Illustration avec un arrêt rendu par la cour d’appel de Bordeaux le 5 mai 2022.

Un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux, rendu le 5 mai 2022, fournit une illustration intéressante de l’utilisation de la RA provisoire [2].

Dans cette affaire la cour d’appel a rendu un premier arrêt le 24 juin 2021 ordonnant une résidence alternée provisoire pour les enfants, infirmant ainsi la décision de première instance (JAF de Bordeaux) qui avait maintenu la résidence habituelle des enfants mineurs chez la mère.
En outre, la cour :
- enjoint aux parents de rencontrer un médiateur familial,
- désigne une structure avec pour mission l’information sur l’objet et le déroulement de la mesure de médiation familiale,
- dit que l’information des parents sur l’objet et le déroulement de la mesure de médiation familiale devra se dérouler dans un délai maximum de 30 jours à compter de la décision ;
- ordonne le ré-examen de l’affaire à l’audience du 17 mars 2022, soit environ 9 mois après l’arrêt.

Lors de cette audience, la mère s’est à nouveau opposée à la résidence alternée.
Toutefois, la cour relève que :
- les enfants avaient clairement exprimé leur volonté de vivre en résidence alternée lors de leur audition du 24 mars 2021 et qu’elles n’ont pas demandé à être entendues à nouveau ;
- aucune pièce versée aux débats par l’intimée ne permet de douter des capacités éducatives paternelles, seul le compagnon de la mère attestant en défaveur du père « en stigmatisant l’absence de suivi scolaire des enfants » ;
- que rien ne démontre que le père ne serait pas soucieux de la réussite scolaire des enfants ;
- que la mère n’a pas tenté de se rapprocher du père lors de la période d’essai de la résidence alternée, la cour ajoutant qu’elle « a même refusé de rencontrer la médiatrice dans le cadre d’un entretien individuel, contrairement au père qui a été reçu le 19 juillet 2021 ».

En conséquence, la cour d’appel confirme la résidence alternée des enfants.

En conclusion.

Il est toujours regrettable qu’un parent ne joue pas le jeu de la médiation familiale ; cette attitude, en plus d’être contraire à l’intérêt des enfants, peut être sanctionnée par la justice comme dans cette affaire.

On peut éviter le développement des conflits qui nuisent à tous (enfants, parents, beaux-parents, entourage au sens large, à l’avocat lui-même dans ses conditions de travail) en utilisant les modes amiables de règlement des différends (MARD) qui sont des outils précieux permettant de reprendre le dialogue.

Le rôle de l’avocat est d’expliquer à son client l’intérêt des solutions pacifiées versus les solutions judiciarisées. L’avocat, formé à la médiation, a un rôle d’accompagnateur de son client et peut aider le médiateur, notamment lors de blocages, à favoriser les accords qui seront profitables aux deux parties. Il peut démontrer à son client, s’il est lui-même convaincu de la plus-value apportée par les MARD, de l’importance d’apaiser les relations parentales.
On peut souligner que des parents qui se parlent, des parents moins tendus, ce sont aussi des enfants plus sereins pour grandir, travailler à l’école, se projeter dans l’avenir y compris dans leurs relations aux autres, c’est moins de stress quotidien, des conditions de vie améliorées tant financièrement que moralement…

Les MARD permettent une créativité totale, des solutions adaptées aux deux parents et aux enfants ce qui n’est pas le cas d’une procédure judiciaire qui impose un résultat qui peut ne satisfaire aucun des parents ni l’enfant.

La résidence alternée provisoire peut être envisagée dans un cadre amiable en prévoyant des modalités sur mesure adaptées au mode de vie des parents et de l’enfant, une progressivité… Chacun pourra ainsi vivre mieux sa parentalité et l’enfant s’épanouir autour de deux parents focalisé sur son bien-être et non plus sur leurs désaccords.
En droit de la famille, il est urgent que l’avocat prenne pleinement conscience du rôle pacificateur qui doit être le sien et de tous les avantages qu’il peut procurer à ses clients par ces méthodes.

Barbara Régent, Avocate au Barreau de Paris, co-fondatrice des associations Les Avocats de la Paix et Humanethic https://www.regentavocat.fr/

[2CA Bordeaux, 3e ch. famille, 5 mai 2022, n° 19/01179).