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L’origine extraprofessionnelle du malaise mortel : vers une impossible administration de la preuve ? Par Maxime Thomas, Juriste.
Parution : mercredi 10 août 2022
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L’employeur amené à contester, devant les juridictions du contentieux de la sécurité sociale, une décision de reconnaissance du caractère professionnel d’un accident du travail dont aurait été victime un de ses salariés, échoue bien souvent, dans l’esprit du juge, à remettre en cause la matérialité du sinistre litigieux et à renverser ainsi la présomption d’imputabilité. Appliquée au cas tragique du malaise mortel qui surviendrait au temps et au lieu du travail, cette réalité pratique du traitement de ces litiges par le juge du fond est d’autant plus caractérisée.

Pour rappel, l’article L411-1 du Code de la Sécurité Sociale pose le principe d’une présomption du caractère professionnel de toute lésion accidentelle dont la survenance aux temps et lieu du travail est avérée. Cette présomption peut être renversée par l’employeur si celui-ci démontre que le sinistre litigieux revêt une cause totalement étrangère au travail.

Appliquée au cas spécifique du malaise, l’administration d’une telle preuve, revêtant par nature une dimension médicale, n’est pas sans poser une difficulté d’ordre pratique pour un employeur qui ne dispose pas, fort logiquement, d’une vision exhaustive sur le dossier médical de son collaborateur. S’agissant du cas tragique du malaise mortel qui surviendrait au temps et au lieu du travail, il apparaît, dans une telle configuration, que seule l’autopsie serait susceptible d’apporter une réponse médicale objective et concrète à cette question.

Rappelons toutefois que seule la Caisse Primaire, dans le cadre de son instruction portant sur le caractère professionnel du sinistre, évalue l’opportunité de la mise en œuvre d’une telle mesure, laquelle ne pourra être sollicitée auprès du Tribunal Judiciaire qu’avec l’appui des ayants-droits [1]. Dans les faits, l’organisme de sécurité sociale, qui focalise quasi-exclusivement son instruction sur la seule vérification de la survenance avérée de l’événement au temps et au lieu du travail, n’explore que trop rarement cette modalité d’enquête. La reconnaissance du caractère professionnel du sinistre mortel concerné, dès lors que sa survenance aux temps et lieu du travail est établie, est donc systématique.

Il n’est donc pas exagéré (et c’est même un euphémisme) de considérer que la position de l’employeur français, qui contestera ensuite l’origine professionnelle du sinistre litigieux devant les Commissions puis les Tribunaux, n’est pas facilitée sur le plan de l’administration de la preuve. Relevons, pour rappel, que l’enjeu du contentieux en question n’est pas quelconque s’agissant d’un requérant qui a vocation à assumer financièrement l’intégralité du coût des accidents du travail et des maladies professionnelles affectant ses salariés (si application d’un régime de tarification individuelle ou mixte).

Force est de constater toutefois que la jurisprudence actuelle du juge du fond n’est clairement pas de nature à améliorer la position des employeurs requérants sur cette question. Si l’interprétation de la notion de présomption d’imputabilité retenue par le juge était notoirement restrictive, il est plus problématique de relever désormais que ce même juge, usant de son pouvoir souverain d’appréciation, tend à systématiser le rejet de toutes les demandes d’expertise judiciaire sur pièces présentées par les employeurs qui se retrouvent pourtant, du fait des carences de la Caisse dans le cadre de l’instruction du dossier litigieux, placés dans une situation objective de « preuve impossible à rapporter car il ne peut déterminer s’il existe un état pathologique évoluant pour son propre compte ou une cause totalement étrangère au travail » [2].

A titre d’exemple et dans le cadre d’un arrêt rendu le 11 mars 2022, la Cour d’Appel de Paris était justement invitée à se prononcer sur la caractérisation par l’employeur d’une cause totalement étrangère au travail suite au décès tragique d’un de ses collaborateurs à l’occasion du travail [3]. En l’espèce, lors d’un déplacement professionnel, un cadre commercial qui attendait son train sur le quai de la gare a subitement été victime d’un malaise associé à une défaillance d’ordre cardio-vasculaire ayant entrainé son décès. L’employeur qui avait fait état, dès le stade de la déclaration de l’accident, de l’existence d’un passif médical très bien documenté, a judiciairement contesté la décision de reconnaissance du caractère professionnel du sinistre arrêté par la Caisse Primaire. La société requérante se prévalait notamment de l’existence manifeste d’une cause totalement étrangère au travail, étayée par la production d’un rapport d’évaluation professionnelle documentant très précisément le lourd historique médical du salarié (antécédents cardiaques significatifs) ainsi que par un avis médico-légal initié par l’entreprise concluant expressément à l’absence de tout rôle causal joué par le travail dans la survenance du décès, ce au regard du passif de l’assuré et de sa situation objective de surpoids.

Eléments insuffisants pour renverser la présomption selon les juges du fond qui retiennent que l’employeur n’établit pas la preuve d’une origine extraprofessionnelle du malaise mortel ni-même, ne justifie donc de la nécessité d’une mesure d’expertise médicale judiciaire sur pièces en vue de trancher cette question.

D’autres illustrations récentes sur cette question :

- La Cour d’Appel d’Amiens, après avoir rappelé l’absence d’obligation pour « la caisse de procéder à une autopsie de la victime aux fins de détermination de l’élément causal du décès, sauf à ce que les ayants-droits formulent expressément une demande en ce sens », a confirmé le caractère professionnel du malaise mortel dont a été victime un salarié qui « effectuait son premier jour de travail le jour même de l’accident ».
Notons que l’employeur n’avait pas sollicité d’expertise judiciaire à titre subsidiaire en l’espèce [4] ;

- La Cour d’Appel de Versailles retient que l’employeur requérant qui « se borne à faire valoir que les conditions de travail du salarié étaient normales, que celui-ci est décédé de façon brutale avant même qu’il ne démarre son camion » et qui fait état « d’un doute sérieux quant au lien entre le malaise et le travail, ajoutant que selon les propres dires de l’épouse de la victime, cette dernière fumait une dizaine de cigarettes par jour et qu’elle avait présenté un état grippal le week end précédant son décès » n’apporte « pas la preuve qui lui incombe de l’existence d’une cause totalement étrangère au travail, seule de nature à renverser la présomption d’imputabilité ». En outre, « la demande d’expertise formulée par l’employeur doit être écartée dès lors qu’elle ne repose sur aucun élément objectif suffisamment pertinent » [5].

Maxime Thomas, Juriste en droit social, Spécialisation en droit de la protection sociale, Société Prévantis.

[1Article L442-4 du Code de la Sécurité Sociale.

[2Cour d’Appel de Poitiers - 6 décembre 2017 - n°16/02593.

[3Cour d’Appel de Paris – 11 mars 2022 – n°18/03631.

[4Cour d’Appel d’Amiens - 10 juin 2022 - n° 21/00570.

[5Cour d’Appel de Versailles - 21 avril 2022 - n° 21/02043.