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Forfait jours : avant de réclamer les heures supplémentaires, il faut contester le forfait. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : lundi 26 septembre 2022
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Dans un arrêt du 21 septembre 2022 (n° 21-14.106) publié au bulletin, la Cour de cassation affirme qu’un salarié soumis à une convention de forfait en jours dont il ne conteste pas la validité ne peut réclamer le paiement d’heures supplémentaires.

Cette solution doit être approuvée.

1) Faits et procédure.

M. [K] a été engagé par la société Ricoh France, le 10 juillet 2002, les relations contractuelles étant régies par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972.

Le salarié était soumis à une convention de forfait jours.

Il indiquait avoir travaillé les dimanches de juin et juillet 2015.

Il considérait que cela constituait des heures supplémentaires qui devaient lui être payées.

Licencié le 11 avril 2017, il a, le 12 mai 2017, saisi la juridiction prud’homale à l’effet de contester le bien-fondé de son licenciement et d’obtenir paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire et de dommages-intérêts.

Par arrêt de la Cour d’appel de Paris du 27 janvier 2021, il a été débouté de ses demandes et s’est pourvu en cassation.

2) Moyen.

Le salarié faisait grief à l’arrêt de la cour d’appel de l’avoir débouté de sa demande en paiement de rappels de salaire sur heures supplémentaires et de dommages-intérêts pour défaut d’information sur le droit au repos compensateur, ainsi que de sa demande en paiement d’une indemnité pour travail dissimulé.

Il plaidait :

1°/ que les salariés liés à leur employeur par une convention de forfait en jours bénéficient du droit au repos hebdomadaire, lequel doit être donné le dimanche ; qu’il en résulte qu’une convention de forfait en jours ne peut ni prévoir ni permettre le travail dominical du salarié, de sorte que les heures de travail accomplies le dimanche sont des heures supplémentaires échappant aux règles du forfait et doivent être rémunérées selon le droit commun ;

- qu’en déboutant le salarié de sa demande en paiement d’heures supplémentaires, incluant, selon ses propres constatations, des dimanches travaillés, au motif que "la convention de forfait en jours est exclusive de la notion de dépassements d’horaires" quand l’accomplissement d’un travail le dimanche était nécessairement constitutif d’un dépassement d’horaires par rapport à la convention de forfait en jours et devait être rémunéré selon le droit commun, la cour d’appel a violé les articles L3121-45, L3121-48 et L3132-3 du Code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, antérieure à l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

2°/ qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter à l’appui de sa demande des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ;
- qu’au vu de ces éléments, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; que constitue un élément suffisamment précis un décompte établi par le salarié récapitulant les heures de travail effectuées ;
- qu’en l’espèce, le salarié avait présenté des éléments de fait dont résultait l’accomplissement d’heures de travail les dimanches de juin et juillet 2015, nécessairement hors forfait, qui représentaient des heures supplémentaires ;
- qu’en cet état, il appartenait à la cour d’appel de former sa décision quant à la réalité des heures supplémentaires ainsi accomplies en dehors de la convention de forfait en jours convenue en vérifiant, notamment, si l’employeur justifiait de la réalité de la durée du travail du salarié ;
- qu’en le déboutant de sa demande au motif inopérant pris de ce qu’il n’alléguait "ni la nullité ni l’absence d’effet à son égard" de la convention de forfait en jours, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L3171-4 du Code du travail.

3) Réponse de la cour.

Dans son arrêt du 21 septembre 2022, la Cour de cassation affirme que selon l’article L3121-48 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours ne sont pas soumis aux dispositions relatives à la durée légale hebdomadaire.

Il en résulte qu’un salarié soumis à une convention de forfait en jours dont il ne conteste pas la validité ne peut réclamer le paiement d’heures supplémentaires.

4) Analyse.

L’article L3121-65 alinéa 1er du Code du travail dispose que

« I.-A défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l’article L3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes :
1° L’employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;
2° L’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
3° L’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération
 ».

En l’occurrence, le salarié avait travaillé les dimanches de juin et juillet 2015.

Il aurait, dans l’ordre, dû contester la validité de sa convention de forfait jours pour faire déclarer cette dernière privée d’effet puis réclamer ensuite les heures supplémentaires.

Le cas échéant, il pouvait réclamer le paiement des jours travaillés au-delà du forfait annuel, s’il l’a dépassé.

Sources.

- Cour de cassation 21 septembre 2022, n° 21-14.106.
- Code du travail article L3121-65 du Code du travail.
- Forfait jours : le suivi de la charge de travail dérive de l’obligation de sécurité de l’entreprise.
- Forfait jours : panorama de jurisprudence 2019 [1].
- Salariés, cadres : do you speak droit des forfait jours ? [2].

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum