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L’attribution ponctuelle des pertes d’une SCI à certains associés peut être admise. Par Natal Yitcko, Avocat.
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Parution : mercredi 23 novembre 2022
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Dans un arrêt du 18 octobre 2022, Le Conseil d’Etat vient rappeler que dans une société de personnes, les stipulations des décisions d’assemblées générales extraordinaires qui attribuent à certains associés la totalité des pertes enregistrées sur trois exercices clos ne constituent pas des clauses léonines (réputées non écrites) car ne dérogent que de manière ponctuelle au pacte social (CE, 8ème et 3ème Ch ; 18 oct.2022, req. n°462497).
Dans cette affaire, deux parents, associés d’une SCI détenaient chacun 0,5% du capital de la société. le reste de celui-ci, soit 99% était réparti entre leurs cinq enfants.
La société dégageait des déficits fonciers suite à la décision de deux assemblées générales extraordinaires, la totalité des pertes concernant deux exercices sociaux était attribuée aux seuls parents.
L’administration fiscale entendait réduire les déficits attribués à ces deux associés à la seule proportion de 1% correspondant à leurs droits dans le capital de la société.
Pour cela, elle se fondait sur deux arguments :
En premier lieu, elle faisait remarquer que les dispositions de l’article 8 du CGI (Code général des impôts) propre à la répartition du résultat dans une société de personnes impliquaient que celle-ci intervienne conformément à leurs droits dans la société, c’est à dire en fonction de leurs droits dans le capital de la SCI,
En deuxième lieu, elle se fondait sur les dispositions de l’article 1844-1 du Code civil pour soutenir que les dispositions statutaires issues des assemblées générales extraordinaires des associés et mettant à la charge des associés minoritaires la totalité des pertes était réputée non écrite.
Or, les associés ne partageaient pas ces arguments développés par l’administration fiscale.
Pour eux, les décisions prises lors des assemblées extraordinaires devaient prévaloir sur les dispositions statutaires. De sorte que, c’était à bon droit qu’ils avaient modifié la répartition des résultats pour attribuer aux seuls parents l’intégralité des pertes de ces deux exercices pour la détermination de leur revenu imposable.
Cette position a été retenue par la Cour Administrative de Paris le 26 janvier 2022 (Req. n°20PA01989).
Saisi par la voie du recours en cassation exercé par le ministre, le Conseil d’Etat a par arrêt du 18 octobre 2022, n°462497 confirmée cette décision en rejetant à son tour la prétention administrative pour valider l’attribution de l’intégralité des pertes aux seuls parents.
Dans sa décision, le CE d’Etat a considéré que :
« Pour juger que les décisions des assemblées générales extraordinaires des 30 décembre 2014, 28 décembre 2015 et 30 décembre 2016 attribuant à M. et Mme B... la totalité des pertes enregistrées par la société Duc A... pour les exercices clos respectivement en 2014, 2015 et 2016, ne pouvaient être regardées comme des stipulations réputées non écrites par l’effet des dispositions précitées du second alinéa de l’article 1844-1 du Code civil, la Cour administrative d’appel de Paris, qui a porté sur les faits de l’espèce une appréciation exempte de dénaturation, s’est fondée sur ce que ces décisions, qui concernaient tant les bénéfices que les pertes, ne dérogeaient que de manière ponctuelle au pacte social. En refusant ainsi de réputer non écrites de telles décisions qui se bornaient à déroger aux règles statutaires pour ce qui concerne la répartition des seules pertes constatées à la clôture des exercices concernés, et alors même que ces décisions ont eu pour effet d’exonérer certains associés de toute participation à ces pertes, la Cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit ».
Cet arrêt surprenant n’est pas nouvelle. En effet, dans un arrêt du 17 avril 2008 (Req. n°279274), le Conseil d’Etat avait considéré qu’un acte ou qu’une convention, passé avant la clôture de l’exercice, pouvait conférer des droits dans les résultats différents de ceux résultant de l’application du pacte social. Les résultats pouvaient ainsi être attribués aux associés conformément à la nouvelle répartition des résultats sociaux issue de la convention voulue par ces derniers.
Par cet arrêt, le Conseil d’Etat vient donc confirmer que des associés minoritaires d’une société de personnes peuvent, de manière ponctuelle, se voir attribuer la totalité des bénéfices ou pertes de la société.
Mais, est ce qu’on aurait eu la même décision si au travers des décisions de ces assemblées extraordinaires, les associés avaient décidé d’une répartition des résultats différente de celle résultant de la répartition du capital social mais sans en limiter les effets dans le temps ? il est fort probable que le juge aurait sans nul doute fait prévaloir l’article 1844-1 du Code Civil en donnant raison à l’administration.
Rappelons que l’article 1844-1 du Code civil énonce que :
« La part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social et la part de l’&associé qui n’a apporté que son industrie est égale à celle de l’associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire.
Toutefois, la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ».
L’enseignement à retenir de cette décision du Conseil d’Etat est que modifier la répartition des résultats d’une société de personnes, c’est possible. Mais à la condition que la décision soit mentionnée dans un document ayant date certaine intervenant impérativement avant la clôture de l’exercice tout en limitant dans le temps ses effets sur la répartition des résultats.
Natal Yitcko Avocat au Barreau de Paris Société d'avocats Chatel et Associés [->avocats@cabinetchatel.fr]Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).